Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée Luvain a demandé au tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016.
Par un jugement n° 1909585 du 30 mars 2023, le tribunal administratif de Melun a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement de la somme de 27 590 euros intervenu en cours d'instance et rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 5 juin 2023 et les 22 mars et 12 avril 2024, la société Luvain, représentée par Me Janiaud, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 pour un montant de 679 231 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le recours gracieux formé le 23 octobre 2018 a été présenté dans le délai de recours de trente jours prévu à l'article R. 57-1 du livre des procédures fiscales suivant la réponse aux observations du contribuable qui est intervenue par deux décisions des 31 juillet et 16 octobre 2018, de sorte que la mise en recouvrement est intervenue de manière prématurée ; la mention du délai de trente jours pour former un recours hiérarchique ne figurait pas dans la réponse aux observations du contribuable et ce délai de trente jours " n'existe pas pour le recours hiérarchique ", celui-ci pouvant être demandé à tout moment ; l'administration a méconnu l'article L. 10 du livre des procédures fiscales et le principe général du droit à une procédure contradictoire ;
- elle a été privée du rendez-vous sollicité auprès de l'interlocuteur départemental par courrier du 23 octobre 2018 ;
- le vérificateur a emporté la balance comptable 2017 alors que ce document ne porte pas sur la période vérifiée ;
- le vérificateur ne pouvait par demande impérative imposer à la société de justifier de la clôture d'un compte bancaire ancien ;
- le recours formé devant la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a été vidé de sa substance dès lors que le secrétariat de la commission n'a pas informé la société de la date de la séance fixée pour l'instruction du dossier ; à cet égard, l'administration s'est engagée par une prise de position formelle, au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l'interlocuteur départemental par mail du 29 novembre 2018 par lequel elle a informé la société que son dossier serait transmis à la commission ;
- la majoration pour manquement délibéré ne pouvait tenir compte des procédures antérieures à la vérification de comptabilité et le comportement personnel du dirigeant traduit une absence d'intention d'éluder l'impôt puisqu'il a souscrit un emprunt personnel pour pallier les problèmes de trésorerie de l'entreprise.
Par des mémoires en défense enregistrés les 13 juillet 2023, 27 mars et 26 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et de souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 16 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 mai 2024.
La société Luvain a présenté un nouveau mémoire, enregistré le 2 mai 2024 concluant aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens, qui n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dubois ;
- et les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Luvain, qui exerce une activité de vente de machines, broyeurs et matériels de compostage, a fait l'objet, entre le 31 janvier et le 29 mars 2018, d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 à l'issue de laquelle lui a été notifiée, selon la procédure contradictoire, une proposition de rectification du 17 avril 2018 portant rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2016. Les impositions en cause ont fait l'objet d'un avis de mise en recouvrement du 16 octobre 2018 auquel s'est substitué, après intervention d'un dégrèvement technique le 14 novembre 2018, un nouvel avis de mise en recouvrement du 31 décembre 2018 portant sur un montant de 485 165 euros en droits, 194 066 euros de pénalités et 27 590 euros d'intérêts de retard. L'administration fiscale n'ayant pas répondu à la réclamation formée par la société par courrier du 27 février 2019, la société requérante a saisi le tribunal administratif de Melun. La société Luvain relève appel du jugement n° 1909585 du 30 mars 2023 par lequel ce tribunal a, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement intervenu en cours d'instance pour une somme de 27 590 euros, rejeté le surplus de sa demande.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la réponse aux observations présentées par la société Luvain par courrier du 15 juin 2018 est intervenue par courrier du 31 juillet 2018 notifié le 2 août suivant. La société a présenté de nouvelles observations le 30 août 2018 qui ont donné lieu à un nouveau courrier de l'administration fiscale du 16 octobre 2018, puis a sollicité par courrier du 23 octobre 2018, postérieurement à l'émission du premier avis de mise en recouvrement du 16 octobre 2018, la saisine de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, la tenue d'un entretien avec le supérieur hiérarchique du vérificateur et la saisine de l'interlocuteur départemental. Si la société requérante soutient que l'émission d'un premier avis de mise en recouvrement le 16 octobre 2018 est intervenue de manière prématurée, avant la tenue de l'entretien avec le supérieur hiérarchique du vérificateur, la sollicitation de cet entretien est intervenue après l'expiration du délai de trente jours suivant la réponse aux observations du contribuable qui lui a été adressée le 2 août 2018. A cet égard, et contrairement à ce que soutient la société requérante, la seule circonstance que l'administration ait répondu par courrier du 16 octobre 2018 aux nouvelles observations présentées le 30 août par la société ne saurait avoir eu pour effet de proroger le délai de trente jours dont elle disposait en vertu de la charte des droits du contribuable vérifié pour solliciter ce recours hiérarchique. Au demeurant, il résulte de l'instruction que l'administration fiscale, alors qu'elle n'y était pas tenue, a fait droit à la demande de la société d'entretien avec le supérieur hiérarchique, cet entretien s'étant déroulé en présence du conseil de la société le 12 novembre 2018, avant qu'intervienne le 14 novembre 2018 un dégrèvement des rappels d'imposition en cause suivi de l'émission d'un nouvel avis de mise en recouvrement le 31 décembre 2018. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'imposition en raison de l'émission prématurée d'un avis de mise en recouvrement doit être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : " Les dispositions contenues dans la charte des droits et obligations du contribuable vérifié mentionnée au troisième alinéa de l'article L. 47 sont opposables à l'administration ". Le paragraphe intitulé " En cas de désaccord avec le vérificateur " du chapitre relatif à la conclusion du contrôle de cette charte, dans sa rédaction applicable au litige, précise que : " Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagés, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur divisionnaire ou principal (...). Si après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur départemental qui est un fonctionnaire de rang élevé spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur ".
4. La société requérante soutient qu'elle a été privée de l'interlocution départementale. Il résulte toutefois de l'instruction, qu'en réponse à la demande formée par le conseil de la société Luvain, l'interlocutrice départementale lui a proposé au moins six dates de rendez-vous à la fin du mois de novembre et au cours du mois de décembre 2018, dates systématiquement déclinées par la société au seul motif de l'indisponibilité de son représentant légal M. A..., laquelle n'est pas établie à la lecture de son emploi du temps versé au dossier. Dans ces conditions, l'interlocutrice départementale n'étant pas tenue de faire droit à la demande de la société Luvain de reporter au mois de janvier 2019 le rendez-vous ainsi sollicité, celle-ci n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été privée du bénéfice de l'interlocution départementale en méconnaissance des dispositions précitées de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales : " Lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis soit de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts (...) ". L'article R. 59-1 du même code dispose
que : " Le contribuable dispose d'un délai de trente jours à compter de la réception de la réponse de l'administration à ses observations pour présenter la demande prévue au premier alinéa de l'article L. 59 (...) ".
6. Lorsque le contribuable demande, au-delà du délai de trente jours prévu à l'article
R. 59 -1 du livre des procédures fiscales, la saisine de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, l'administration fiscale peut refuser de procéder à cette saisine, quand bien même elle aurait dans un premier temps indiqué au contribuable qu'elle donnerait une suite favorable à cette demande.
7. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la société Luvain a sollicité la saisine de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires par un courrier électronique du 23 octobre 2018, plus de trente jours après la notification, le 2 août précédent, du courrier du 31 juillet 2018 de réponse de l'administration à ses observations sur la proposition de rectification. Dans ces conditions, et en application de ce qui a été dit au point 6, quand bien même l'interlocutrice départementale avait dans un premier temps, par un courrier électronique du 29 novembre 2018, accepté de saisir cette commission, l'administration pouvait légalement refuser de procéder à cette saisine, ce dont elle a informé la société Luvain par deux courriers électroniques de la cheffe de brigade en date du 29 octobre 2018 et de l'interlocutrice départementale en date du 6 décembre 2018. La société Luvain n'est ainsi pas fondée à soutenir qu'elle a été illégalement privée de la garantie que représente la saisine de la commission prévue à l'article L. 59 du livre des procédures fiscales.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : " L'administration des impôts contrôle les déclarations ainsi que les actes utilisés pour l'établissement des impôts, droits, taxes et redevances. / Elle contrôle, également les documents déposés en vue d'obtenir des déductions, restitutions ou remboursements, ou d'acquitter tout ou partie d'une imposition au moyen d'une créance sur l'Etat. / A cette fin, elle peut demander aux contribuables tous renseignements, justifications ou éclaircissements relatifs aux déclarations souscrites ou aux actes déposés (...) ".
9. D'une part, la société soutient qu'au cours de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, le vérificateur lui aurait illégalement demandé la remise de la balance comptable pour l'exercice clos en 2017 alors que la vérification portait sur la seule période courant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016. Toutefois, aucune disposition non plus qu'aucun principe n'interdisait au vérificateur de prendre connaissance de documents comptables antérieurs ou postérieurs à la période concernée. A supposer que la société requérante entende reprocher au vérificateur d'avoir procédé à l'emport de l'original d'un document dans des conditions irrégulières, elle ne rapporte en tout état de cause pas la preuve d'un tel emport de document comptable, se rapportant au demeurant à une période postérieure à la période vérifiée, par la seule circonstance que le document comporterait la mention " remis le 9 mars 2018 ".
10. D'autre part, et ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, l'administration fiscale pouvait légalement, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, solliciter de la société Luvain des explications et justifications quant à la clôture le 31 août 2015 d'un compte bancaire dont elle était titulaire.
Sur les pénalités :
11. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
12. Au soutien de son moyen tenant à l'absence de caractère délibéré des insuffisances de déclaration de taxe sur la valeur ajoutée collectée qui lui sont reprochées au titre des années 2015 et 2016, la société Luvain fait valoir qu'elle a procédé à une régularisation partielle, en octobre 2016, de la taxe collectée due au titre de l'année 2015. Toutefois, pour justifier de l'infliction des pénalités de 40% prévues par les dispositions précitées, l'administration fiscale a relevé, outre l'importance des montants éludés au titre des années 2015 et 2016, la circonstance que la société Luvain avait déjà fait l'objet de deux vérifications de comptabilité aux cours des années précédentes ayant mis au jour d'importantes insuffisances de déclaration de taxe sur la valeur ajoutée collectée au titre des années 2010, 2011 et 2014. En outre, la régularisation partielle de taxe collectée opérée en octobre 2016 au titre de l'année 2015 s'est accompagnée d'une nouvelle volonté d'éluder l'impôt dû au titre de l'année 2016. Dans ces conditions, le service administre la preuve qui lui incombe du caractère délibéré des manquements reprochés à la société au titre des années 2015 et 2016.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Luvain n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent ainsi être rejetées par voie de conséquence.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Luvain est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Luvain et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée à l'administrateur général des finances publiques de la direction régionale du contrôle fiscal d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Barthez, président de chambre,
- M. Delage, président assesseur,
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.
Le rapporteur,
J. DUBOISLe président,
A. BARTHEZLa greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 23PA02474