Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société M A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à lui verser la somme de 720 056,80 euros HT au titre de la responsabilité du " fait du prince " ou de la responsabilité pour faute.
Par un jugement n° 2102996/3-3 du 13 décembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 février 2023 et un mémoire enregistré le 16 juillet 2024, la société M. A..., représentée par la SARL Athena, mandataire judiciaire en la personne de Me Camille Steiner, ayant pour avocat Me Hourcabie, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 décembre 2022 ;
2°) de condamner la ville de Paris à lui verser la somme de 720 056,80 euros HT augmentée des intérêts légaux capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de la ville de Paris une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors qu'il existait bien un différend qui l'opposait à la ville de Paris et qui l'a conduite à produire un mémoire en réclamation conformément aux dispositions de l'article 37 du CCAG FCS ;
- la responsabilité sans faute de la ville de Paris est engagée en raison du changement de sa politique répressive en matière d'enlèvement des véhicules gênants qui s'est traduite par une augmentation des demandes d'enlèvement de véhicules à deux roues, caractérisant ainsi l'existence d'un " fait du prince " ;
- rien dans les documents de la consultation ne lui permettait d'anticiper le changement de la politique répressive appliquée en matière de stationnement ;
- les clauses du marché imposaient, au contraire, l'utilisation massive d'engins dédiés à l'enlèvement de véhicules à quatre roues en raison du caractère originellement accessoire de l'enlèvement des véhicules à deux roues, rémunéré à seulement 50 % du prix applicable à l'enlèvement des véhicules à quatre roues ;
- elle peut prétendre au rétablissement de l'équilibre financier du contrat et, à ce titre, à la perception d'une indemnité réparant intégralement le préjudice qu'elle a subi ;
- la responsabilité pour faute de la ville de Paris est engagée pour n'avoir pas fait en sorte que soit portée à la connaissance des soumissionnaires les informations nécessaires au chiffrage éclairé d'une offre financière permettant une juste rémunération sur toute la durée du marché, et pour avoir modifié la politique répressive, sans tenir compte des informations à la lumière desquelles les candidats ont répondu à la consultation ;
- en s'abstenant de fixer un maximum tant en valeur qu'en quantité concernant l'enlèvement des véhicules à deux-roues, le pouvoir adjudicateur a méconnu son obligation d'indiquer la valeur maximale du marché résultant des dispositions de la directive 2014/24 telle qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, ce qui constitue une faute contractuelle ;
- la ville de Paris a également commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle en ce qu'elle a procédé à la modification substantielle du marché en méconnaissance des dispositions de l'article 72 paragraphe 4, a) de la directive 2014/24, dès lors que la hausse drastique du nombre d'enlèvements des véhicules à deux-roues apporte au marché initial des modifications telles que ses caractéristiques substantielles s'en trouvent modifiées ;
- l'enlèvement des trottinettes électriques n'était pas prévu au contrat initial de sorte que cette prestation aurait dû faire l'objet d'un avenant, voire d'un nouveau marché ;
- son préjudice, lié à la nature des enlèvements demandés, présente un caractère certain compte tenu de la marge unitaire d'enlèvement qui est de 10,40 euros par véhicule deux-roues ;
- un expert pourrait être désigné pour évaluer la marge bénéficiaire escomptée sur toute la durée des conventions de délégation de service public.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mai 2024, la ville de Paris, ayant pour avocat Me FALALA conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2000 euros soit mise à la charge de la société M A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande de première instance de la société M A... était irrecevable en l'absence de production d'un mémoire en réclamation dans le délai de deux mois courant à compter du jour où le différend est apparu, conformément aux dispositions de l'article 37 du CCAG FCS ;
- les moyens soulevés par la société M A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 6 août 2024, la clôture d'instruction a été fixée au
9 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 19 janvier 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures et de services ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bruston,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de Me Toussaint substituant Me Hourcabie, représentant la
société M A..., et de Me Falala, représentant la ville de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié au bulletin officiel des annonces des marchés publics et au journal officiel de l'Union européenne le 8 décembre 2015, la préfecture de police a lancé une consultation en vue de l'attribution d'un marché public à bons de commande, pour une durée de quatre ans, portant sur " les opérations d'enlèvement de la voie publique des engins à moteur à deux, trois ou quatre roues, remorques et caravanes en stationnement illicite à Paris désignés par la préfecture de police et les opérations de transfert de préfourrières en fourrières ". Le lot n°1, correspondant aux secteurs " Louvre Samaritaine " (1er secteur) et " Charléty " (2e secteur), a été attribué à la société M A.... Par un courrier du 17 juin 2019, la société M A... a demandé à la ville de Paris, substituée à la préfecture de police dans l'exécution du marché en application de la loi n°2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain qui lui a transféré la compétence relative à l'enlèvement et la garde des véhicules mis en fourrière à compter du 1er janvier 2018, réparation, à hauteur de 649 272 euros, du préjudice qu'elle estime avoir subi, résultant de la décision de la ville de Paris de privilégier désormais l'enlèvement des véhicules à deux roues plutôt que l'enlèvement des véhicules à quatre roues. La société a, ensuite, saisi le comité consultatif interrégional de Paris de règlement amiable des différends relatifs aux marchés publics qui a rendu un avis négatif du 15 janvier 2021. La société M A... relève appel du jugement du 13 décembre 2022 par
lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, l'objet du marché attribué à la société M A..., tel que mentionné tant dans les documents de la consultation que dans l'acte d'engagement, porte sur les opérations d'enlèvement de la voie publique des engins à moteur quelles que soient leurs caractéristiques, à deux, trois ou quatre roues, stationnés de façon illicite sur le territoire parisien, les quantités minimum et maximum d'enlèvements mentionnées dans ces documents ne distinguant pas selon le type de véhicule concerné. En outre, contrairement à ce que soutient la société requérante, si le contrat prévoit une distinction entre les types de véhicules pour la fixation du prix unitaire qui est minoré de 50 % pour l'enlèvement des véhicules à deux-roues et majoré pour les utilitaires et 4x4, il résulte de l'instruction que ces différences de prix se justifient par la difficulté d'enlèvement et l'encombrement des véhicules, et non par un engagement de la préfecture lors de la signature du contrat sur un ratio de véhicules à quatre roues destinés à être enlevés par rapport aux autres types de véhicules. La description des moyens matériels d'enlèvement dans le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) ne traduit pas davantage un tel engagement dès lors qu'est prévu, dans chaque secteur, la mise à disposition de dix grues devant toutes permettre l'enlèvement de tout type de véhicule. De même, la note de la préfecture de police du 13 mars 2008 destinée aux services de police et ayant pour objet " Tolérance à l'égard du stationnement des véhicules à deux roues sur certains trottoirs " ne saurait, compte tenu de sa date, antérieure de près de dix ans au contrat, et de l'évolution de la population parisienne et de ses pratiques de déplacement, démontrer un quelconque engagement de la préfecture de police vis-à-vis de son cocontractant. Dans ces conditions, la modification des proportions d'enlèvement entre les différents types de véhicules stationnés illégalement ne pouvait être regardée comme imprévisible au regard des dispositions contractuelles, qui ne prévoyaient pas de proportions ainsi qu'il a été dit, et dès lors, ainsi que le fait valoir la ville de Paris, que les modes de déplacement ont évolué, la part de la voiture dans les déplacements à Paris ayant largement diminué. En tout état de cause, l'indemnité demandée par la société M A..., d'un montant, au demeurant non justifié, de 720 056,80 € HT, alors que son offre a été estimée à 18 182 017,92 € HT, ne saurait traduire une rupture de l'équilibre financier du contrat. Dès lors, la société M A... n'est pas fondée à soutenir que le changement de sa politique répressive en matière d'enlèvement des véhicules gênants caractériserait l'existence d'un " fait du prince " susceptible d'engager sa responsabilité sans faute.
3. En deuxième lieu, la modification de la politique répressive de la ville de Paris, au titre de ses pouvoirs de police, laquelle répond à des considérations d'intérêt général ne saurait constituer une faute contractuelle. En outre, l'administration n'est pas tenue, lorsqu'elle contracte, d'informer son cocontractant de l'évolution possible de ses besoins, en cours d'exécution du contrat, dès lors que les stipulations du contrat ne sont ni méconnues ni modifiées et prévoient, comme en l'espèce, toutes les hypothèses. La société requérante ne démontre pas, à cet égard, qu'elle aurait été victime d'une " tromperie " de la part de son cocontractant.
4. En troisième lieu, la requérante soutient également qu'en s'abstenant de fixer un maximum tant en valeur qu'en quantité concernant l'enlèvement des véhicules deux-roues, le pouvoir adjudicateur a méconnu son obligation d'indiquer la valeur maximale du marché résultant des dispositions de la directive 2014/24 telles qu'interprétées par la Cour de justice de
l'Union européenne. Toutefois, cette exigence, qui vise seulement à protéger la société attributaire d'un accord cadre de demandes de prestations dépassant ses capacités, n'oblige pas le pouvoir adjudicateur à fixer un minimum et un maximum pour chaque prestation objet du marché mais s'apprécie au regard de l'ensemble du marché. L'obligation ainsi énoncée n'a donc pas été méconnue dès lors qu'en l'espèce, l'avis d'appel public à la concurrence indique une quantité estimée " globale " sur quatre ans, tandis que l'acte d'engagement comme le cahier des clauses administratives particulières (CCAP), a fixé un minimum et un maximum, indiqué en nombre d'enlèvements par an, et qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'un nombre supérieur d'enlèvements auquel la société n'aurait pas été en mesure de répondre, lui aurait été demandé.
5. Enfin, la société soutient que la ville de Paris a également commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle en ce qu'elle a procédé à la modification substantielle du marché en méconnaissance des dispositions de l'article 72 paragraphe 4, a) de la directive 2014/24, dès lors que la hausse drastique du nombre d'enlèvements des véhicules deux-roues apporte au marché initial des modifications telles que ses caractéristiques substantielles s'en trouvent modifiées. Elle ajoute que l'enlèvement des trottinettes électriques n'était pas prévu au contrat initial et qu'en conséquence cette prestation aurait dû faire l'objet d'un avenant, voire d'un nouveau marché. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que l'enlèvement des véhicules à deux roues, au nombre desquels figurent les trottinettes électriques, était prévu au marché. La ville de Paris, qui n'a pas procédé à une modification des clauses contractuelles, n'a ainsi commis aucune faute.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête de première instance, que la société M A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais de l'instance :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la ville de Paris, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société M A... au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société M A... une somme de 1500 euros à verser à la ville de Paris sur ce fondement.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société M A... est rejetée.
Article 2 : La société M A... versera une somme de 1500 euros à la ville de Paris sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société M A..., au mandataire judiciaire,
la SELARL Athena en la personne de maître Camille Steiner, et à la ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Doumergue, présidente,
Mme Bruston, présidente assesseure,
Mme Saint-Macary, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 octobre 2024.
La rapporteure,
S. BRUSTON
La présidente,
M. DOUMERGUE La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA00598 2