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07/11/2024 | FRANCE | N°23PA04126

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 07 novembre 2024, 23PA04126


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile de construction vente (SCCV) Veneux-les-Sablons Noyer a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 14 juin 2022 par lequel le maire de Moret-Loing-et-Orvanne a refusé de lui délivrer un permis de construire deux bâtiments comportant 39 logements sur un terrain situé rue du Noyer Creux à Moret-Loing-et-Orvanne ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux et d'enjoindre au maire de cette commune de lui délivrer un certificat

de permis de construire tacite.



Par un jugement n° 2209800 du 21 juillet 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile de construction vente (SCCV) Veneux-les-Sablons Noyer a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 14 juin 2022 par lequel le maire de Moret-Loing-et-Orvanne a refusé de lui délivrer un permis de construire deux bâtiments comportant 39 logements sur un terrain situé rue du Noyer Creux à Moret-Loing-et-Orvanne ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux et d'enjoindre au maire de cette commune de lui délivrer un certificat de permis de construire tacite.

Par un jugement n° 2209800 du 21 juillet 2023, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 14 juin 2022 du maire de Moret-Loing-et-Orvanne et la décision de rejet du recours gracieux de la société Veneux-les-Sablons Noyer et a enjoint au maire de cette commune de délivrer à la société pétitionnaire le certificat de permis de construire tacite prévu par l'article R. 424-13 du code de l'urbanisme.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 septembre 2023 et 29 mai 2024, la commune de Moret-Loing-et-Orvanne, représentée par Me de Froment, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun du 21 juillet 2023 ;

2°) de rejeter les demandes de première instance de la SCCV Veneux-les-Sablons Noyer et d'annuler, par conséquent, le permis de construire tacite accordé ;

3°) de mettre à la charge de la SCCV Veneux-les-Sablons Noyer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative dès lors qu'il est insuffisamment motivé ;

- le dépôt par la SCCV Veneux-les-Sablons Noyer de pièces de substitution, qui ont modifié substantiellement la demande initiale, ayant eu pour effet de faire courir un nouveau délai d'instruction ; en outre, la demande de pièces complémentaires a été adressée au pétitionnaire dans le délai d'un mois prévu par l'article R. 423-38 du code de l'urbanisme, la commune disposait donc d'un nouveau délai d'instruction de trois mois ; par suite, aucun permis tacite n'est intervenu le 1er mars 2022 ;

- en tout état de cause, quand bien même la demande de pièces serait tardive, cette irrégularité ne pourrait avoir pour effet de conférer au pétitionnaire un permis tacite, dès lors que le projet est illégal et irréalisable ;

- la décision de refus de permis de construire n'est pas entachée d'illégalité ;

- l'injonction faite à la commune est infondée.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 mars 2024, la SCCV Veneux-les-Sablons Noyer, représentée par Me Pelloquin, conclut à la confirmation du jugement attaqué, au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune requérante, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Gobeill, rapporteur public,

- et les observations de Me Chevreul substituant Me de Froment, pour la commune de Moret-Loing-et-Orvanne.

Considérant ce qui suit :

1. La SCCV Veneux-les-Sablons Noyer a déposé, le 29 novembre 2021, une demande de permis de construire un ensemble immobilier de deux bâtiments comportant 39 logements, pour une surface totale créée de 2 419,79 m2, sur un terrain situé rue du Noyer Creux à Moret-Loing-et-Orvanne. La société Veneux-les-Sablons Noyer ayant déposé spontanément, le 20 décembre 2021, deux pièces correspondant à la mise à jour du plan de masse et de la notice de gestion des eaux pluviales, se substituant à celles figurant dans le dossier initial, la commune a demandé des pièces complémentaires à la société pétitionnaire, relatives au terrain d'assiette du projet, aux servitudes grevant un terrain appartenant à l'OPDHLM de Seine-et-Marne et à la notice hydraulique, par une lettre du 27 décembre 2021, réceptionnée le 3 janvier 2022. A la suite de la remise en mains propres par la SCCV Veneux-les-Sablons Noyer, le 25 mars 2022, des documents demandés, le maire de Moret-Loing-et-Orvanne a pris, le 14 juin 2022, un arrêté par lequel il a refusé de lui délivrer le permis sollicité. La SCCV Veneux-les-Sablons Noyer a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 14 juin 2022 ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux en date du 3 août 2022. La commune de Moret-Loing-et-Orvanne relève appel du jugement n° 2209800 du 21 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 14 juin 2022 et la décision de rejet du recours gracieux et a enjoint au maire de cette commune de délivrer à la société pétitionnaire le certificat de permis de construire tacite prévu par l'article R. 424-13 du code de l'urbanisme.

Sur la régularité du jugement :

2. La commune de Moret-Loing-et-Orvanne invoque, s'agissant de l'injonction prononcée par le tribunal, le défaut de motivation du jugement, en ce qui concerne le moyen tiré des illégalités entachant le permis tacite délivré à la SCCV Veneux-les-Sablons Noyer. Il résulte toutefois des motifs mêmes du jugement, exposés au point 11, que les premiers juges, estimant que l'arrêté attaqué avait illégalement retiré ce permis tacite, ont enjoint au maire de délivrer un certificat de permis tacite à la société pétitionnaire. L'appréciation portée par les premiers juges sur le bien-fondé de la qualification de permis tacite et sur la légalité du retrait de ce permis ne relève pas de la régularité du jugement. Par suite, la commune de Moret-Loing-et-Orvanne n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait, dans cette mesure, insuffisamment motivé et, pour cette raison, entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. En premier lieu, d'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 424-2 du code de l'urbanisme : " Le permis est tacitement accordé si aucune décision n'est notifiée au demandeur à l'issue du délai d'instruction. ". Aux termes de l'article R. 423-23 de ce code : " Le délai d'instruction de droit commun est de : (...) c) Trois mois pour les autres demandes de permis de construire et pour les demandes de permis d'aménager. ".

4. D'autre part, selon les articles R. 423-19 et R. 423-22 du code de l'urbanisme : " Le délai d'instruction court à compter de la réception en mairie d'un dossier complet " et " (...) le dossier est réputé complet si l'autorité compétente n'a pas, dans le délai d'un mois à compter du dépôt du dossier en mairie, notifié au demandeur ou au déclarant la liste des pièces manquantes (...) ". Aux termes de l'article R. 423-38 de ce code: " Lorsque le dossier ne comprend pas les pièces exigées en application du présent livre, l'autorité compétente, dans le délai d'un mois à compter de la réception ou du dépôt du dossier à la mairie, adresse au demandeur ou à l'auteur de la déclaration une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, indiquant, de façon exhaustive, les pièces manquantes ". L'article R. 423-41 du même code dispose que : " Une demande de production de pièce manquante notifiée après la fin du délai d'un mois prévu à l'article R*423-38 ou ne portant pas sur l'une des pièces énumérées par le présent code n'a pas pour effet de modifier les délais d'instruction définis aux articles R*423-23 à R*423-37-1 et notifiés dans les conditions prévues par les articles R*423-42 à R*423-49 ". Selon les articles R. 423-46 et R. 423-47 de ce code : " Les notifications et courriers prévus par les sous-sections 1 et 2 ci-dessus sont adressés par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. " et " Lorsque les courriers sont adressés au demandeur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, l'intéressé est réputé en avoir reçu notification à la date de la première présentation du courrier. ". Enfin, aux termes de l'article R. 424-1 dudit code : " A défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction déterminé comme il est dit à la section IV du chapitre III ci-dessus, le silence gardé par l'autorité compétente vaut, selon les cas : (...) / b) Permis de construire, permis d'aménager ou permis de démolir tacite. (...) ".

5. En application de ces dispositions, le demandeur d'un permis de construire n'est réputé être titulaire d'un permis tacite que lorsqu'aucune décision ne lui a été notifiée avant l'expiration du délai réglementaire d'instruction de son dossier.

6. Il ressort des pièces du dossier que le récépissé de dépôt de sa demande de permis de construire, délivré à la SCCV Veneux-les-Sablons Noyer le 29 novembre 2021, mentionnait que le délai d'instruction de son dossier était de trois mois et qu'en l'absence de courrier de l'administration dans ce délai, elle serait titulaire d'un permis tacite, sauf si dans le mois qui suivait le dépôt de cette demande, l'administration lui écrivait, soit pour l'avertir qu'un autre délai était applicable, soit pour lui indiquer qu'il manquait une ou plusieurs pièces à son dossier, soit pour l'informer que son projet correspondait à l'un des cas dans lesquels un permis tacite n'est pas possible.

7. Tout d'abord, la commune de Moret-Loing-et-Orvanne soutient que le point de départ du délai d'instruction a été modifié par la production spontanée de pièces complémentaires, le 20 décembre 2021, par la société Veneux-les-Sablons Noyer, dès lors que ces pièces transformaient substantiellement le projet. Il ressort toutefois des pièces du dossier que ces pièces, produites par la société pétitionnaire trois semaines après le dépôt du dossier initial, consistent en une mise à jour du plan de masse et en une modification de la notice hydraulique. D'une part, la mise à jour du plan de masse modifie le tracé du chemin piéton desservant le projet au nord, comme la commune en a, du reste, été informée par mail du 9 juillet 2021 et fait figurer la mention " BI (borne incendie) " de manière plus visible que sur le plan de masse initial. D'autre part, si la modification de la notice hydraulique mentionne que le bassin de rétention des eaux pluviales a un volume disponible de 42 m3 contre 49 m3 dans le projet initial, il ressort des pièces du dossier que la tranchée d'infiltration passe d'un volume initial de 5,03 m3 à 7,20 m3 et que le projet modifié prévoit la création d'une noue d'infiltration d'un volume utile de stockage de 8,87 m3. En outre, si le temps de vidange du bassin de rétention est supérieur dans le projet modifié par rapport au projet initial, il reste dans la limite tolérée, soit inférieur à 48 heures. Par ailleurs, la modification de la notice hydraulique porte également sur le raccordement des eaux usées et pluviales au bâtiment existant et non à la rue du Noyer Creux comme dans le projet initial. Si la commune requérante soutient que la société pétitionnaire ne justifie pas de la nécessité d'opérer ce changement, il ne ressort pas des pièces du dossier que celui-ci apporterait une modification substantielle au projet. Ainsi, aucune des modifications introduites au projet initial n'étant substantielle, le dépôt spontané de pièces par la société Veneux-les-Sablons Noyer, en substitution de celles figurant dans le dossier initial, n'a pas modifié le point de départ du délai d'instruction.

8. Ensuite, la commune requérante soutient que la lettre du 27 décembre 2021 par laquelle elle a informé la société pétitionnaire que son dossier était incomplet a interrompu le délai d'instruction dès lors qu'il lui a été adressé en recommandé dans le délai d'un mois suivant le dépôt de son dossier et que, en tout état de cause, cette lettre lui a été transmise par courrier électronique le 28 décembre 2021. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'avis de réception postal, que ce courrier n'a été notifié à la société pétitionnaire que le 3 janvier 2022 par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, alors que la société pétitionnaire n'a pas coché, sur le formulaire Cerfa de demande, la case indiquant qu'elle acceptait de recevoir les documents transmis par l'administration au cours de l'instruction de son dossier par courrier électronique. Ainsi, la réception par la société pétitionnaire de la décision de modification du délai d'instruction étant intervenue postérieurement à l'expiration du délai d'un mois à compter du dépôt de son dossier de demande, par application des articles L. 424-2, R. 423-23 et R. 423-41 du code de l'urbanisme, le délai d'instruction n'a pas été interrompu.

9. Il résulte de ce qui précède que la commune de Moret-Loing-et-Orvanne n'est pas fondée à soutenir que la société Veneux-les-Sablons Noyer n'était pas bénéficiaire d'un permis de construire tacite en date du 1er mars 2022.

10. En second lieu, aux termes de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme : " La décision de (...) permis de construire (...), tacite ou explicite, ne peuvent être retirés que s'ils sont illégaux et dans le délai de trois mois suivant la date de ces décisions. Passé ce délai, la décision de non-opposition et le permis ne peuvent être retirés que sur demande expresse de leur bénéficiaire ".

11. Il résulte de ce qui vient d'être dit que, l'arrêté du 14 juin 2022 ayant implicitement mais nécessairement retiré le permis de construire tacite dont était bénéficiaire la société Veneux-les-Sablons Noyer et ce retrait étant intervenu après l'expiration du délai de trois mois suivant le 1er mars 2022, date à laquelle la société pétitionnaire a obtenu ce permis de construire tacite, la commune requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté du 14 juin 2022 n'est pas entaché d'illégalité au regard des dispositions précitées de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme et que les premiers juges ont, à tort, enjoint au maire de cette commune de délivrer à la société Veneux-les-Sablons Noyer le certificat de permis tacite prévu à l'article R. 424-13 du code de l'urbanisme.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Moret-Loing-et-Orvanne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 14 juin 2022 et la décision de rejet du recours gracieux de la SCCV Veneux-les-Sablons Noyer et a enjoint au maire de cette commune de délivrer à la société pétitionnaire le certificat de permis de construire tacite prévu par l'article R. 424-13 du code de l'urbanisme.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la SCCV Veneux-les-Sablons Noyer, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que demande la commune de Moret-Loing-et-Orvanne au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

14. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la commune requérante le versement à la société Veneux-les-Sablons Noyer d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la commune de Moret-Loing-et-Orvanne est rejetée.

Article 2 : La commune de Moret-Loing-et-Orvanne versera à la SCCV Veneux-les-Sablons Noyer une somme de 1 500 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Moret-Loing-et-Orvanne et à la SCCV Veneux-les-Sablons Noyer.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- M. Stéphane Diémert, président-assesseur,

- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2024.

La rapporteure,

I. A...Le président,

I. LUBEN

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au préfet de Seine-et-Marne, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA04126


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23PA04126
Date de la décision : 07/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Irène JASMIN-SVERDLIN
Rapporteur public ?: M. GOBEILL
Avocat(s) : DE FROMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-07;23pa04126 ?
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