Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... F..., dit E..., a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 10 juin 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a ordonné son transfert au quartier de prévention de la radicalisation du centre pénitentiaire d'Alençon, et d'enjoindre à ce ministre d'ordonner son transfert au centre pénitentiaire d'Aix-en-Provence, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2214225 du 2 février 2024, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision litigieuse et rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la Cour :
Par un recours enregistré le 3 avril 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2214225 du 2 février 2024 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... E... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient qu'en retenant que la décision litigieuse a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article D. 211-28 du code pénitentiaire, les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation, dès lors que le juge d'application des peines a effectivement émis un avis favorable à l'affectation de l'intéressé au sein du quartier de prise en charge de la déradicalisation, et que le substitut du procureur de la République a également émis un tel avis.
La requête a été communiquée à M. A... E... qui n'a pas présenté d'observations en défense.
Par ordonnance du 9 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 août 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- le code pénitentiaire ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- et les conclusions de M. Gobeill, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... F..., dit E..., alors affecté au centre pénitentiaire de Moulins en quartier d'isolement, a fait l'objet, par décision du 10 juin 2022 du garde des sceaux, ministre de la justice, d'une affectation au quartier de prévention de la radicalisation du centre pénitentiaire d'Alençon Condé sur Sarthe. L'intéressé ayant saisi le tribunal administratif de Paris aux fins d'annulation de cette décision, cette juridiction a fait droit à sa demande par un jugement du 2 février 2024 dont le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel devant la Cour.
2. Pour prononcer l'annulation de la décision litigieuse, les premiers juges, se fondant sur l'article D. 211-28 du code pénitentiaire aux termes duquel : " (...) La décision de changement d'affectation est prise, sauf urgence, après avis du juge de l'application des peines et du procureur de la République du lieu de détention ", ont relevé que la décision attaquée ne vise pas ces dispositions et ne fait mention d'aucun avis du juge de l'application des peines et du procureur de la République du lieu de détention, et que le ministre n'a pas produit ces avis à l'instance.
3. Le garde des sceaux, ministre de la justice, produit devant la Cour l'avis émis le 8 juin 2022 par la première vice-présidente chargée de l'application des peines au sein du pôle spécialisé en matière de terrorisme du tribunal judiciaire de Paris, ainsi que celui émis le 10 juin 2022 par le substitut du procureur de la République antiterroriste. Par suite, il est constant que la décision litigieuse est intervenue dans le respect de la procédure prévue par les dispositions précitées de l'article D. 211-28 du code pénitentiaire.
4. Le garde des sceaux, ministre de la justice est donc fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris à prononcer l'annulation de la décision litigieuse. Il y a donc lieu de prononcer l'annulation de ce jugement et, par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés devant les premiers juges par M. E....
5. En premier lieu, M. E... soutient que la décision litigieuse a été prise par une autorité incompétente dès lors, d'une part, qu'il n'est pas établi qu'il entre dans l'un des trois cas qui, prévus par les dispositions de l'article R. 224-18 du code pénitentiaire, fondent la compétence exclusive du garde des sceaux, ministre de la justice, pour prendre une décision de placement dans un quartier de prise en charge de la radicalisation spécialisé dans l'évaluation et, d'autre part, que sa signataire ne bénéficiait pas d'une délégation régulière à cette fin.
6. Aux termes de l'article R. 224-18 du code pénitentiaire : " (...) La décision de placement dans un quartier de prise en charge de la radicalisation prévu par les dispositions du II de l'article R. 224-13 est de la compétence exclusive du garde des sceaux, ministre de la justice : / 1° Lorsqu'elle concerne : / a) Des personnes condamnées à une ou plusieurs peines dont la durée totale est supérieure ou égale à dix ans et dont la durée de détention restant à exécuter au moment où la dernière condamnation est devenue définitive est supérieure à cinq ans au jour où est formée la proposition de placement ; / b) Des personnes condamnées ou prévenues à raison d'actes de terrorisme tels que prévus et réprimés par les dispositions des articles 421-1 et suivants du code pénal ; / c) Des personnes condamnées ou prévenues ayant fait l'objet d'une inscription au répertoire des personnes détenues particulièrement signalées, prévu par les dispositions de l'article D. 223-11 ; / (...) ".
7. D'une part, il est constant que M. E... a été condamné par un arrêt de la cour d'assises de Paris en date du 22 juin 2017 à une peine de 18 ans d'emprisonnement pour terrorisme à raison de sa participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime d'atteinte aux personnes et vue de la préparation d'un acte de terrorisme, que la date prévisionnelle de sa libération est fixée au 18 mai 2028 et que l'intéressé est également inscrit au répertoire des détenus particulièrement signalés. Par suite, l'intéressé entre dans le champ d'application des dispositions réglementaires précitées qui confèrent au garde des sceaux, ministre de la justice une compétence exclusive pour prendre la décision contestée.
8. D'autre part, il est constant que Mme C... B..., signataire de la décision litigieuse, disposait d'une délégation expresse à cette fin, en qualité d'adjointe au chef du bureau de gestion des détentions, octroyée par le III de l'article 5 de l'arrêté du directeur de l'administration pénitentiaire en date du 26 avril 2022, publié au Journal officiel de la République française le 29 avril 2022.
9. Le moyen manque ainsi en fait dans ses deux branches et doit être écarté.
10. En deuxième lieu, M. E... soutient que la décision litigieuse est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle ne se fonde sur aucun élément nouveau depuis sa dernière affectation, et d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation dès lors qu'elle repose sur des faits non établis et dont la matérialité est expressément contestée par lui, alors qu'il a mis en œuvre avec sérieux les préconisations du quartier d'évaluation de la radicalisation et qu'il s'investit auprès de son binôme de soutien.
11. Aux termes de l'article L. 224-1 du code pénitentiaire : " Lorsqu'il apparaît que leur comportement porte ou est susceptible de porter atteinte au maintien du bon ordre de l'établissement ou à la sécurité publique, les personnes détenues majeures peuvent, sur décision de l'autorité administrative, être affectées au sein de quartiers spécifiques pour bénéficier d'un programme adapté de prise en charge et soumises à un régime de détention impliquant notamment des mesures de sécurité renforcée. ". Aux termes de l'article R. 224-13 du même code : " Le quartier de prise en charge de la radicalisation constitue un quartier distinct au sein de l'établissement pénitentiaire. / (...) / II. - Lorsqu'une personne détenue majeure est dangereuse en raison de sa radicalisation et qu'elle est susceptible, du fait de son comportement et de ses actes de prosélytisme ou des risques qu'elle présente de passage à l'acte violent, de porter atteinte au maintien du bon ordre de l'établissement ou à la sécurité publique, elle peut être placée au sein d'un quartier de prise en charge de la radicalisation, dès lors qu'elle est apte à bénéficier d'un programme et d'un suivi adaptés. ". Saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre une décision de placement dans un quartier de prise en charge de la radicalisation spécialisé dans l'évaluation visé au II de l'article R. 224-13 du code pénitentiaire, le juge administratif ne peut censurer l'appréciation portée par l'administration pénitentiaire quant à la nécessité d'une telle mesure qu'en cas d'erreur manifeste.
12. D'une part, les dispositions législatives et réglementaires citées au point précédent ne subordonnent pas le placement au sein d'un quartier de prise en charge de la radicalisation à la survenue en détention d'un quelconque " élément nouveau ", mais autorisent l'administration à prendre en compte des éléments laissant présager, notamment, la possibilité d'un comportement violent. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur de droit n'est pas fondé et doit être écarté.
13. D'autre part, en prenant en compte la survenue d'incidents violents antérieurs et le prosélytisme salafiste de l'intéressé ainsi que son comportement ambivalent à l'égard de son positionnement idéologique, l'administration, qui s'est fondée sur des éléments dont l'existence matérielle est établie par les pièces du dossier, n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation. Dès lors, le moyen doit être écarté en ses deux branches.
14. En troisième et dernier lieu, le requérant soutient que la décision litigieuse méconnait son droit à la vie familiale, dès lors que toute la famille de l'exposant, dont son fils, réside à Cannes, soit à 1 080 kilomètres et plus de 10 heures de trajet pour un aller simple, et que toute possibilité de visite est ainsi supprimée, et que les dispositions de l'article D. 211-9 du code pénitentiaire n'ont pas été respectées.
15. En vertu du deuxième alinéa de l'article R. 224-17 du code pénitentiaire, les personnes détenues placées en quartier de prise en charge de la radicalisation " conservent leurs droits à l'information, aux visites, à la correspondance écrite et téléphonique, (...) sous réserve des aménagements qu'imposent les impératifs de sécurité. / (...) ".
16. D'une part, le requérant ne peut utilement invoquer les dispositions générales relatives à l'orientation des détenues prévue par l'article D. 211-9 du code pénitentiaire, issues d'un décret, à l'encontre d'une décision prise pour la mise en œuvre d'une procédure dérogatoire reposant sur le fondement combiné de dispositions législatives et issues d'un décret en Conseil d'État.
17. D'autre part, alors que le requérant n'est pas privé de son droit aux visites, il n'expose en tout état de cause aucun élément précis établissant que ses proches seraient dans l'impossibilité de se rendre dans l'établissement où il est affecté.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir, d'une part, que c'est à tort que le tribunal administratif a, par le jugement attaqué, annulé sa décision du 10 juin 2022 affectant M. A... F..., dit E..., au quartier de prévention de la radicalisation du centre pénitentiaire d'Alençon Condé sur Sarthe et, d'autre part, que la demande présentée par l'intéressé devant le tribunal administratif de Paris doit être rejetée, en ce comprises ses conclusions fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2214225 du 2 février 2024 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... F..., dit E..., devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, et à M. A... F..., dit E....
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- M. Stéphane Diémert, président-assesseur,
- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 novembre 2024.
Le rapporteur,
S. D...Le président,
I. LUBEN
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA01550