Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 29 mars 2024 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2404865 du 31 mai 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a annulé l'arrêté du 29 mars 2024 du préfet de la
Seine-Saint-Denis, enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et mis à la charge de l'État le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais d'instance.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée le 25 juin 2024 sous le n° 24PA02733, le préfet de la
Seine-Saint-Denis demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 31 mai 2024 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant ce tribunal.
Il soutient que :
- l'entretien dont a bénéficié Mme B... dans les locaux de la préfecture des Hauts-de-Seine le 21 décembre 2023 a, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, été mené par un agent qualifié en vertu du droit national, au sens des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- les autres moyens soulevés par Mme B... en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 octobre 2024, Mme B..., représentée par Me Arrom, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de l'Etat à verser à son conseil une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
II. Par une requête, enregistrée le 25 juin 2024 sous le n° 24PA02734, le préfet de la
Seine-Saint-Denis demande à la Cour de surseoir à l'exécution du jugement attaqué.
Il soutient que les conditions prévues aux articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative sont remplies dès lors que les moyens qu'il invoque à l'appui de sa requête au fond paraissent sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement et le rejet des conclusions accueillies par ce jugement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 octobre 2024, Mme B..., représentée par Me Arrom, conclut au rejet de la demande du préfet et à la condamnation de l'Etat à verser à son conseil une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les décisions du 21 août 2024 par lesquelles le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a accordé l'aide juridictionnelle totale à Mme B....
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bories a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 29 mars 2024, le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé du transfert aux autorités italiennes de Mme B..., ressortissante ivoirienne née le 24 février 1990, aux fins d'examen de sa demande d'asile. Par un jugement du 31 mai 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de la
Seine-Saint-Denis de procéder au réexamen de la situation de Mme B... dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement et mis à la charge de l'État une somme de 1 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par la requête n° 24PA02733, le préfet de la Seine-Saint-Denis relève appel du jugement du 31 mai 2024. Par la requête n° 24PA02734, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la cour d'en prononcer le sursis à exécution.
2. Les requêtes n° 24PA02733 et n° 24PA02734 présentées par le préfet de la
Seine-Saint-Denis étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 24PA02733 :
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
3. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
4. Pour annuler l'arrêté portant transfert de Mme B... aux autorités italiennes, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a relevé que le compte-rendu de l'entretien dont l'intéressée a bénéficié ne présente aucune indication permettant d'identifier l'agent ayant conduit l'entretien et que l'administration n'apportait en défense aucun élément de nature à établir sa qualité. Elle a par suite retenu que l'entretien individuel ne pouvait être regardé comme ayant été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Toutefois, alors qu'il ne résulte ni des dispositions citées au point 3 ni d'aucun principe que devrait figurer sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, il ressort des pièces du dossier, en particulier des mentions portées sur le compte rendu de l'entretien signé par Mme B..., des initiales de l'agent et du tampon de la préfecture des Hauts-de-Seine apposés sur ce compte rendu, et de la teneur de l'entretien, que l'intéressée a bénéficié d'un entretien mené par un agent qualifié du bureau de l'accueil de la demande d'asile de la préfecture qui, en l'absence de tout élément qui conduirait à remettre en doute sa qualification, doit être regardé comme étant une personne qualifiée en vertu du droit national au sens des dispositions citées au point précédent. La circonstance que l'identité de cet agent ne serait pas portée au compte-rendu n'a pas privé l'intéressée de la garantie tenant au bénéfice de cet entretien, notamment eu égard des exigences de confidentialité et à la possibilité de faire valoir toutes observations utiles. Dans ces conditions, le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du 29 mars 2024 au motif qu'il méconnaissait les dispositions précitées.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... en première instance.
Sur les autres moyens soulevés par Mme B... :
6. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par M. A... C..., chef du pôle instruction et mise en œuvre des mesures d'éloignement de la préfecture de la Seine-Saint-Denis, bénéficiant d'une délégation de signature du préfet de la Seine-Saint-Denis en vertu d'un arrêté n° 2024-0859 du 22 mars 2024, régulièrement publié au bulletin d'information administrative de la préfecture du même jour. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.
7. En deuxième lieu, il ne ressort d'aucune pièce du dossier, notamment pas de l'arrêté attaqué, que ce dernier n'aurait pas été précédé d'un examen complet de la situation personnelle de Mme B....
8. En troisième lieu, l'arrêté litigieux vise les textes dont il est fait application et expose les éléments sur lesquels le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est fondé pour estimer que l'examen de la demande d'asile de Mme B... relevait de la responsabilité d'un autre État. Dès lors, cet arrêté comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision attaquée et permet ainsi à l'intéressée d'en contester utilement le bien-fondé. Par suite, le moyen tiré de son insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
10. Le préfet de la Seine-Saint-Denis a produit en première instance copie des documents que Mme B... s'est vu remettre. La signature de l'intéressée a été apposée sur la première page des documents produits sans aucune mention quant au fait que les pages suivantes ne lui auraient pas été communiquées. Il ressort des mentions du résumé de l'entretien individuel signé par Mme B... le 21 décembre 2023 qu'elle a bien reçu les documents constituant la brochure visée au paragraphe 3 de l'article 4 du règlement précité en langue française. Si Mme B... fait valoir que les brochures devaient être remises dans une langue qu'elle comprend, les documents remis étaient rédigés en français et ont été traduits à l'oral en dioula, langue que l'intéressée a déclaré comprendre. En outre, Mme B... a signé le résumé de l'entretien individuel, et a déclaré " avoir compris la procédure engagée à son encontre ". Dès lors, Mme B... doit être regardée comme ayant bénéficié de toutes les informations prévues par l'article 4 du règlement, relatives aux modalités d'application de la procédure de transfert et de détermination de l'État membre responsable de l'examen de sa demande d'asile. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
11. En cinquième lieu, aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'un Etat membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre Etat membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre Etat membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (" hit "), en vertu de l'article 9 paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013. " Aux termes de l'article 25 du même règlement : "1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. " Aux termes de l'article 26 du même règlement : " 1. Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale ".
12. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a sollicité l'asile en France le 21 décembre 2023, et que l'autorité préfectorale a saisi les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge de l'intéressée le 28 décembre 2023, sous le numéro d'enregistrement 9930807784-920, ainsi qu'en atteste l'accusé de réception électronique délivré par l'application informatique " DubliNet " le jour même. Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation des dispositions des articles 23 et 25 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
13. En dernier lieu, aux termes du premier paragraphe de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
14. Mme B... invoque, d'une part, une circulaire du 5 décembre 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur italien a annoncé à ses interlocuteurs européens une " suspension temporaire " des transferts à destination de l'Italie, en raison de motifs techniques liés à la saturation des centres d'accueil des demandeurs d'asile dans ce pays, ce qui aurait pris effet dès décembre 2022. Toutefois cette circulaire ne saurait, par elle-même, établir qu'il existerait en Italie des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile. D'autre part, si Mme B... se prévaut de sa situation de vulnérabilité et de problèmes de santé rencontrés lors de son séjour en Italie, elle n'établit par aucun document, ni aucune précision, que sa propre demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, ni qu'elle serait personnellement exposée à un risque réel et avéré de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en cas de transfert aux autorités italiennes.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du 29 mars 2024 décidant le transfert de Mme B... aux autorités italiennes, lui a enjoint de réexaminer sa situation et a mis à la charge de l'État le versement au conseil de Mme B... de la somme de 1 000 euros au titre des frais d'instance. Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Montreuil.
Sur la requête n° 24PA02734 :
16. La cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête n° 24PA02733 du préfet de la Seine-Saint-Denis tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Montreuil du 31 mai 2024, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24PA02734 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
17. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de Mme B... présentées sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 24PA02734.
Article 2 : Le jugement n° 2404865 du 31 mai 2024 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 3 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Montreuil est rejetée.
Article 4 : Les conclusions de Mme B... relatives aux frais de l'instance sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme D... B....
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 6 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Vidal, présidente de chambre,
- Mme Bories, présidente assesseure,
- M. Segretain, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 novembre 2024.
La rapporteure,
C. BORIESLa présidente,
S. VIDAL
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Nos 24PA02733, 24PA02734