Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... B... épouse F... et M. H... F..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leurs enfants C..., I... et D... F..., alors mineurs, ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à leur verser, en réparation de leurs préjudices résultant des fautes commises par l'Etat dans l'exercice de son pouvoir de police sanitaire relative au médicament Dépakine, les sommes de 1 180 353,36 euros pour I... F..., pour la période allant de sa naissance, le 14 août 2009, jusqu'à sa majorité, de 100 362,03 euros pour E... F..., 68 780,45 euros pour H... F... et de 50 000 euros chacun pour D... et C... F..., et de réserver leurs droits indemnitaires pour les postes de préjudices ne pouvant pas faire l'objet d'une évaluation à ce stade de la procédure.
Par un jugement n° 1704398 du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser à Mme et M. F..., en leur qualité de représentants légaux K... F..., la somme de 162 532,44 euros, une rente trimestrielle de 7 572,34 euros selon les modalités définies au point 26 du jugement et une rente trimestrielle de 512,20 euros selon les modalités définies au point 28 du jugement, à Mme et M. F..., en leur qualité de représentants légaux de D... F..., la somme de 2 000 euros, à Mme et M. F..., chacun, la somme de 13 008,36 euros et à M. C... F... la somme de 2 000 euros, a mis à la charge définitive de l'Etat les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 200 euros ainsi que le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande des consorts F....
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 30 juillet 2021, 22 juillet 2022, et 13 novembre et 5 décembre 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, Mme E... F... et M. H... F..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs I... et D... F..., ainsi que M. C... F..., représentés par la SELAS Dante, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler le jugement du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à leurs conclusions indemnitaires ;
2°) de condamner l'Etat à verser les sommes de 1 196 756,04 euros pour Mme J... F..., 93 589,94 euros pour Mme E... F..., 63 008,36 euros pour M. H... F..., et 22 000 euros chacun pour MM. C... et D... F... ;
3°) de réserver les droits indemnitaires pour les postes de préjudices ne pouvant pas faire l'objet d'une évaluation à ce stade de la procédure ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à chacun d'entre eux de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) de rejeter l'intervention volontaire de la société Sanofi Winthrop Industrie.
Ils soutiennent que :
- l'Etat a commis une faute dans d'exercice de son pouvoir de police sanitaire en tardant à modifier l'autorisation de mise sur le marché de la Dépakine, s'agissant tant du résumé des caractéristiques du produit, à destination des professionnels de santé, que de la notice de ce médicament, alors que les risques de malformations physiques et troubles neurodéveloppementaux en cas d'exposition in utero au valproate de sodium étaient connus depuis 1984 et, en tout état de cause, avant la fin de l'année 2008 ;
- dès lors que la faute de l'Etat porte en elle l'intégralité du dommage, et eu égard à l'étroite imbrication des agissements fautifs qui sont à l'origine du dommage, l'Etat doit être condamné à indemniser l'intégralité de leurs préjudices, à charge pour lui d'engager des actions récursoires éventuelles contre la société Sanofi-Aventis France et les médecins de Mme F..., dont la responsabilité a été reconnue par le tribunal administratif de Montreuil, qui a en conséquence fixé la part de responsabilité de l'Etat à 40 % seulement ;
- les pathologies dont souffre I... F..., née le 14 août 2009, sont imputables à son exposition in utero au valproate de sodium ;
- ils sont fondés à obtenir les sommes suivantes :
Pour I... F... :
* 890 065,80 euros au titre de la rente provisionnelle pour la tierce personne temporaire du 7 janvier 2022 jusqu'à sa majorité, versée annuellement ;
* 46 012,50 euros au titre de la rente provisionnelle pour le déficit fonctionnel temporaire, du 7 janvier 2022 jusqu'à sa majorité, versée annuellement ;
* 80 000 euros au titre du préjudice d'anxiété ;
* 180 677,74 euros au titre de la confirmation du jugement du tribunal administratif de Montreuil s'agissant des dépenses de santé actuelles, de la tierce personne temporaire jusqu'au 6 janvier 2022, du déficit fonctionnel temporaire jusqu'au 06 janvier 2022, des souffrances endurées et du préjudice esthétique temporaire ;
Pour E... F... :
* 30 581,58 euros au titre de la perte de revenus jusqu'au dépôt du rapport d'expertise ;
* 50 000 euros au titre du préjudice d'anxiété ;
* 13 008,36 euros au titre de la confirmation du jugement du tribunal administratif de Montreuil s'agissant des frais divers, du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ;
Pour H... F... :
* 50 000 euros au titre du préjudice d'anxiété ;
* 13 008,36 euros au titre de la confirmation du jugement du tribunal administratif de Montreuil s'agissant des frais divers, du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence :
Pour C... et D... F..., chacun :
* 20 000 euros au titre du préjudice d'anxiété ;
* 2 000 euros au titre de la confirmation du jugement du tribunal administratif de Montreuil s'agissant du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- l'Etat n'a pas commis de faute susceptible d'engager sa responsabilité ;
- l'évaluation des préjudices faite par le tribunal administratif de Montreuil en se fondant sur le référentiel ONIAM apparaît conforme à l'état de santé K... F... et à la situation des époux F... et de leurs autres enfants.
Par des mémoires, enregistrés les 15 novembre 2021 et 14 septembre 2022, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), représentée par Me Schmelck, a présenté des observations dans lesquelles elle demande à la cour :
1°) à titre principal, de solliciter de M. et de Mme F... et de l'ONIAM la production de l'ensemble des recours indemnitaires qu'ils ont pu exercer pour obtenir la réparation des préjudices qu'ils invoquent, notamment devant la juridiction civile ou dans le cadre du dispositif d'indemnisation amiable par l'ONIAM ; le cas échéant, de surseoir à statuer dans l'attente de ces recours ou contentieux ;
2°) à titre subsidiaire, de constater que l'ensemble des risques connus liés à l'exposition in utero de la Dépakine étaient mentionnés dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) de ce médicament à l'époque de la grossesse de Madame F... et de débouter les consorts F... de leurs demandes, en retenant l'absence de faute de l'ANSM à l'origine des dommages dont ils demandent la réparation ;
3°) à titre très subsidiaire, de retenir comme exonératoires les fautes commises par le laboratoire Sanofi et les médecins et de débouter, en conséquence, les consorts F... de l'ensemble de leurs demandes ;
4°) à titre encore plus subsidiaire, de constater que les troubles ORL et de la vue ne sont pas imputables à une exposition in utero de la Dépakine ;
5°) à titre infiniment subsidiaire, de débouter les consorts F... de leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à les indemniser intégralement de leur préjudice, à charge pour l'Etat d'exercer une action récursoire contre les co-auteurs.
Elle soutient que :
- à titre principal, il appartient à la cour de prendre toute mesure nécessaire pour éviter une double indemnisation des préjudices allégués par les consorts F... ;
- à titre subsidiaire, l'Etat n'a commis aucune faute ;
- à titre infiniment subsidiaire, les fautes commises par le laboratoire Sanofi et les médecins qui ont suivi Mme E... F... constituent des causes d'exonération de la responsabilité de l'Etat ;
- encore plus subsidiairement, les troubles ORL et de la vue ne sont pas imputables à l'exposition in utero à la Dépakine ;
- en vertu du principe selon lequel une collectivité publique ne saurait être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas, toute responsabilité in solidum est exclue, et dans l'hypothèse où un tiers et l'administration seraient co-auteurs d'un dommage, cette dernière ne saurait répondre que de la quote-part du préjudice qui lui est imputable.
Par des interventions enregistrées les 10 novembre 2021, 15 avril 2022, 27 juillet 2022 et 28 novembre 2024, la société Sanofi-Aventis France, aux droits de laquelle vient la société Sanofi Winthrop Industrie, demande à la cour d'infirmer le jugement du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a retenu une exonération partielle de responsabilité de l'Etat au titre de la responsabilité de la société et, en tant que de besoin, eu égard par ailleurs à la responsabilité du médecin de Mme F..., retenue par le tribunal comme cause exonératoire de la responsabilité de l'Etat à hauteur de 20 %, de condamner l'Etat à indemniser les consorts F..., à tout le moins à hauteur de 80 % des préjudices retenus par le tribunal. Elle demande également que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son intervention doit être admise ;
- la cour demeurant saisie de la demande de la société, qui tend également à l'annulation du jugement du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil, le litige n'a pas perdu son objet ;
- elle n'a commis aucune faute de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité ;
- dès lors qu'elle a respecté les décisions prises par l'autorité de santé au titre de ses pouvoir de police sanitaire, le fait de mettre à sa charge une partie de l'indemnisation due aux consorts F... constitue pour elle un préjudice anormal et spécial qui ne saurait être regardé comme une charge lui incombant normalement.
La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan, qui n'a pas produit de mémoire.
Le 13 novembre 2024, les parties, l'observateur et l'intervenant ont été informés, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur les moyens relevés d'office tirés de ce que :
- suite à la signature, par les requérants, d'un protocole d'indemnisation amiable avec l'ONIAM, dont l'article 5 stipule que " (...) Conformément aux articles L. 1142-24-26 et L. 1142-24-17 du code de la santé publique, le présent protocole produit tous les effets prévus par les dispositions des articles 2044 et suivants du code civil, notamment ceux prévus aux articles 2052 (...) / Les parties renoncent donc de manière expresse et irrévocable à tout recours, qu'il soit à l'amiable ou par la voie contentieuse, ayant pour objet d'obtenir la réparation des préjudices causés par le fait générateur examiné par le collège d'experts, à l'exception des préjudices nouveaux ou aggravés non couverts par la transaction, conformément aux dispositions de l'article R. 1142-63-33 du code de la santé publique ", leurs conclusions indemnitaires sont devenues sans objet et qu'il n'y a plus lieu pour la cour d'y statuer ;
- dès lors que, d'une part, l'ANSM n'a pas, dans la présente instance dans laquelle la responsabilité de l'Etat est recherchée, la qualité de défendeur et que, d'autre part, sa qualité d'observateur ne lui confère pas la qualité de partie dès lors qu'elle n'aurait pas, à défaut d'être présente, qualité pour faire tierce-opposition, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice sont irrecevables ;
- la société Sanofi Winthrop Industrie, intervenante, n'étant pas partie à l'instance, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice sont irrecevables.
La société Sanofi Winthrop Industrie, venant aux droits de la société Sanofi-Aventis France, a présenté, le 18 novembre et le 3 décembre 2024, des observations sur les moyens relevés d'office par la cour. Elle soutient que la cour reste saisie de la demande de la société, qui tend également à l'annulation du jugement du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil et qu'elle a la qualité de partie à l'instance.
Les consorts F... ont présenté, le 18 novembre 2024, des observations sur les moyens relevés d'office par la cour. Ils soutiennent que la cour devra, d'une part, confirmer celles des sommes au paiement desquelles l'Etat a été condamné par le tribunal administratif qui sont incluses dans les protocoles transactionnels conclus avec l'ONIAM et, d'autre part, statuer sur les demandes indemnitaires au titre des préjudices non couverts par ces protocoles.
L'ANSM a présenté, le 25 novembre 2024, des observations sur les moyens relevés d'office par la cour le 18 novembre 2024. Elle soutient que dès lors que les requérants ont déjà été indemnisés par l'ONIAM, leurs demandes indemnitaires sont irrecevables.
La ministre de la santé et de l'accès aux soins a présenté, le 28 novembre 2024, des observations sur les moyens relevés d'office par la cour. Elle soutient que les conclusions indemnitaires présentées par les consorts F... sont devenues sans objet et que les conclusions présentées par la société Sanofi Winthrop Industrie au titre de l'article L. 761 1 du code de justice sont irrecevables.
Par une ordonnance du 28 novembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 décembre 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 ;
- le code civil ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2007-613 du 26 avril 2007 ;
- la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 ;
- la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 ;
- le décret n° 79-506 du 28 juin 1979 modifié ;
- le décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004 ;
- le décret n° 2005-156 du 18 février 2005 ;
- le décret n° 2007-1860 du 26 décembre 2007 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vrignon-Villalba,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Paucod et de Me de Noray, pour les consorts F..., de Me Avigies pour la société Sanofi Winthrop Industrie, de M. G... pour la ministre de la santé et de l'accès aux soins et de Me Schmelck pour l'ANSM.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 décembre 2024, présentée pour la société Sanofi Winthrop Industrie.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... F... a été traitée par Dépakine puis Dépakine Chrono 500 mg, notamment entre novembre 2008 et août 2009, alors qu'elle était enceinte de son deuxième enfant, I.... Celle-ci, née le 14 août 2009, présente notamment des troubles du développement et du comportement, que les consorts F... attribuent à son exposition in utero au valproate de sodium contenu dans la Dépakine. Par courrier du 23 décembre 2016, reçu le 26 décembre 2016, Mme et M. F..., estimant que l'Etat avait commis une faute dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire, en ne s'assurant pas que les professionnels de santé et les patients soient correctement informés des risques pour les enfants qui ont été exposés in utero au valproate de sodium, ont saisi le ministre des affaires sociales et de la santé d'une demande indemnitaire préalable. En l'absence de réponse, ils ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil qui, par une ordonnance du 17 novembre 2017, a ordonné une expertise aux fins, notamment, d'évaluer les préjudices subis par Mme et M. F... et leurs enfants, et de fournir au tribunal, de manière générale, tous éléments susceptibles de lui permettre de statuer sur un éventuel recours en responsabilité. Par un jugement du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser à M. et Mme F..., en leur qualité de représentants légaux K... F..., la somme de 162 532,44 euros, une rente trimestrielle de 7 572,34 euros selon les modalités définies au point 26 du jugement et une rente trimestrielle de 512,20 euros selon les modalités définies au point 28 du jugement, à M. et Mme F..., en leur qualité de représentants légaux de D... F..., la somme de 2 000 euros, à M. et Mme F..., chacun, la somme de 13 008,36 euros et à M. C... F... la somme de 2 000 euros, a mis à la charge définitive de l'Etat les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 200 euros ainsi que le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté la surplus des conclusions de la demande des consorts F.... Les consorts F... relèvent appel de ce jugement, en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à leurs prétentions indemnitaires.
Sur la demande de sursis à statuer :
2. Il ne résulte d'aucune disposition légale ou réglementaire que le juge administratif serait tenu de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure d'indemnisation amiable prévue par les dispositions des articles L. 1142-24-9 et L. 1142-24-10 du code de la santé publique ou, le cas échéant, de procédures en cours devant le juge civil. Par suite, les conclusions de l'ANSM tendant au sursis à statuer doivent, en tout état de cause, être rejetées.
Sur l'intervention de la société Sanofi Winthrop Industrie :
3. D'une part, en demandant, comme les consorts F..., la réformation du jugement du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil qui retient une cause exonératoire de responsabilité de l'Etat, la société Sanofi Winthrop Industrie doit être regardée comme s'associant aux conclusions de la requête, alors même que la réformation du jugement n'est pas sollicitée pour les mêmes motifs.
4. D'autre part, en l'espèce, eu égard à la nature et l'objet des questions soulevées par le litige, la société Sanofi Winthrop Industrie justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance. Par suite, son intervention est recevable.
Sur l'étendue du litige :
5. Aux termes de l'article L. 1142-24-9 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'article 150 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 : " Sans préjudice des actions qui peuvent être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices imputables au valproate de sodium ou à l'un de ses dérivés est assurée dans les conditions prévues à la présente section ". Aux termes de l'article L. 1142-24-10 du même code : " Toute personne s'estimant victime d'un préjudice en raison d'une ou de plusieurs malformations ou de troubles du développement imputables à la prescription, avant le 31 décembre 2015, de valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés pendant une grossesse, ou le cas échéant, son représentant légal s'il s'agit d'un mineur ou ses ayants droit, peut saisir l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en vue d'obtenir la reconnaissance de l'imputabilité de ces dommages à cette prescription. (...) ". Selon les dispositions de l'article L. 1142-24-11 du même code, dans leur rédaction issue de l'article 266 de la loi de finances pour 2020 : " Un collège d'experts placé auprès de l'office procède à toute investigation utile à l'instruction de la demande, dans le respect du principe du contradictoire. Il diligente, le cas échéant, une expertise, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel ou industriel. (...) ". L'article L. 1142-24-16 du code de la santé publique prévoit que les personnes considérées comme responsables par le collège d'experts ou leurs assureurs adressent à la victime ou à ses ayants droit une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis. Il précise que " sont applicables à cette offre les deuxième à huitième alinéas de l'article L. 1142-14. ". En vertu du sixième alinéa de cet article, l'acceptation de l'offre de l'assureur vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. Enfin, aux termes de l'article L. 1142-24-18 du code de la santé publique : " Les indemnisations accordées en application de la présente section ne peuvent se cumuler avec celles accordées, le cas échéant, en application des articles L. 1142-14, L. 1142-15, L. 1142-17, L. 1142-20 et L. 1142-21, ni avec les indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef des mêmes préjudices. ".
6. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 423-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Ainsi que le prévoit l'article 2044 du code civil et sous réserve qu'elle porte sur un objet licite et contienne des concessions réciproques et équilibrées, il peut être recouru à une transaction pour terminer une contestation née ou prévenir une contestation à naître avec l'administration. La transaction est formalisée par un contrat écrit. ".
7. Enfin, aux termes de l'article 2044 du code civil : " La transaction est un contrat par lequel, par des concessions réciproques, les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. / Ce contrat doit être rédigé par écrit. ". En vertu de l'article 2052 du même code, un tel contrat fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet. L'article 6 du code civil interdit de déroger par convention aux lois qui intéressent l'ordre public. Il résulte de ces dispositions que l'administration peut, ainsi que le rappelle désormais l'article L. 423-1 du code des relations entre le public et l'administration, afin de prévenir ou d'éteindre un litige, légalement conclure avec un particulier un protocole transactionnel, sous réserve de la licéité de l'objet de ce dernier, de l'existence de concessions réciproques et équilibrées entre les parties et du respect de l'ordre public.
En ce qui concerne Mme E... F..., M. H... F..., M. C... F... et M. D... F... :
8. Il résulte de l'instruction que, le 20 juin 2024, Mme E... F... et M. H... F..., en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de leur fils D..., ainsi que M. C... F..., ont accepté les offres d'indemnisation amiable qui leur ont été faites par l'ONIAM pour l'Etat en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait de l'exposition K... F... au valproate de sodium pendant la grossesse de Mme E... F..., offres qui prennent en compte les sommes au paiement desquelles l'Etat a été condamné par le jugement attaqué du tribunal administratif de Montreuil. Les protocoles d'indemnisation signés par les consorts F... comportent tous un article 5 ainsi libellé : " Renonciation de la victime à maintenir et / ou à introduire tout recours à l'amiable ou en justice, ayant pour objet d'obtenir la réparation des préjudices causés par le fait générateur examiné par le collège des experts. / Les parties reconnaissant avoir eu le temps et les informations nécessaires à la formation de leur consentement. / Conformément aux articles L. 1142-24-26 et L. 1142-24-17 du code de la santé publique, le présent protocole produit tous les effets prévus par les dispositions des articles 2044 et suivants du code civil, notamment ceux prévus aux articles 2052 (...) / Les parties renoncent donc de manière expresse et irrévocable à tout recours, qu'il soit à l'amiable ou par la voie contentieuse, ayant pour objet d'obtenir la réparation des préjudices causés par le fait générateur examiné par le collège d'experts, à l'exception des préjudices nouveaux ou aggravés non couverts par la transaction, conformément aux dispositions de l'article R. 1142-63-33 du code de la santé publique. ". La signature, par les intéressés, de ces protocoles d'indemnisation et l'acceptation des offres amiables faites par l'ONIAM pour l'Etat, qui respectent les conditions de licéité et de respect de l'ordre public mentionnées au point 7, comportent des concessions réciproques et équilibrées et visent à la réparation intégrale des préjudices subis, emporte nécessairement renonciation de Mme E... F..., de M. H... F..., de M. C... F... et de M. D... F... à toute action indemnitaire en réparation des préjudices subis du fait de la faute de l'Etat dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire, y compris ceux que l'ONIAM a refusé d'indemniser. Les créances que les intéressés entendaient faire valoir contre l'Etat ayant ainsi été éteintes par les protocoles intervenus, les conclusions indemnitaires relatives à la perte de revenus et au préjudice d'anxiété de Mme E... F..., et au préjudice d'anxiété de MM. H..., C... et D... F... sont, par suite, devenues sans objet, et il n'y a plus lieu pour la cour d'y statuer.
En ce qui concerne Mme I... F... :
9. Il résulte de l'instruction que, le 20 juin 2024, les époux F..., en leur qualité de représentants de leur fille I... F..., ont accepté l'offre d'indemnisation qui leur a été faite par l'ONIAM pour l'Etat en réparation des préjudices subis par leur fille du fait de son exposition au valproate de sodium pendant la grossesse de sa mère. Il ressort toutefois des termes du protocole que, s'agissant des dépenses liées à l'assistance par une tierce personne pour les besoins de la vie quotidienne ainsi que du déficit fonctionnel temporaire, l'offre de l'ONIAM ne porte que sur la période allant de la naissance K...-A... F... le 14 août 2009, au 6 janvier 2022, date à laquelle le comité d'expert placé auprès de l'ONIAM a rendu son avis. Il en résulte que si les conclusions indemnitaires relatives au préjudice d'anxiété d'une part, et aux dépenses liées à l'assistance par une tierce personne et au déficit fonctionnel temporaire jusqu'au 6 janvier 2022 d'autre part, sont devenues sans objet, il y a en revanche toujours lieu pour la cour de statuer sur les conclusions tendant à l'indemnisation des dépenses liées à l'assistance par une tierce personne et au déficit fonctionnel temporaire pour la période allant du 7 janvier 2022 au 13 août 2027, veille de la majorité K... F....
Sur le principe de responsabilité :
En ce qui concerne le régime applicable :
10. En premier lieu, l'article L. 5121-8 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au présent litige, prévoyait que toute spécialité pharmaceutique ou tout autre médicament fabriqué industriellement dont la mise sur le marché n'avait pas été autorisée par la Communauté européenne devait faire l'objet, avant sa commercialisation ou sa distribution à titre gratuit, en gros ou au détail, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, renouvelable par période quinquennale et que l'agence pouvait modifier, suspendre ou retirer cette autorisation. Ainsi que le prévoient les dispositions de l'article R. 5121-21 de ce code, dans leur rédaction issue du décret du 6 mai 2008 relatif à la mise sur le marché des spécialités pharmaceutiques à usage humain, la demande d'autorisation de mise sur le marché comporte un résumé des caractéristiques techniques du produit (RCP). Ce document doit mentionner en particulier les contre-indications, les effets indésirables et les préconisations à tenir en cas de grossesse. Selon les dispositions de l'article R. 5121-25 de ce même code, dans sa rédaction issue du même décret, la demande d'autorisation comprend également un projet de notice. L'article R. 5121-147 du même code, dans sa rédaction également issue du décret du 6 mai 2008, dispose que : " Le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché se conforme aux bonnes pratiques de notice établies, par décision du directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. ". Aux termes des dispositions de l'article R. 5121-149 du code, dans sa rédaction également issue du décret du 6 mai 2008 : " La notice est établie en conformité avec le résumé des caractéristiques du produit. Elle comporte, dans l'ordre, les indications suivantes : (...) / 3° L'énumération des informations nécessaires avant la prise du médicament relatives aux contre-indications, aux précautions d'emploi, aux interactions médicamenteuses et autres interactions susceptibles d'affecter l'action du médicament et aux mises en garde spéciales. / Cette énumération doit : / a) Tenir compte de la situation particulière des catégories suivantes d'utilisateurs : enfants, femmes enceintes ou allaitant, personnes âgées, personnes présentant certaines pathologies spécifiques ; (...) / 5° Une description des effets indésirables pouvant être observés lors de l'usage normal du médicament ou du produit et, le cas échéant, la conduite à tenir, ainsi qu'une invitation expresse pour le patient à communiquer à son médecin ou à son pharmacien tout effet indésirable qui ne serait pas mentionné dans la notice. (...) ".
11. En vertu de l'article L. 5311-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 15 avril 2008 ratifiant l'ordonnance n° 2007-613 du 26 avril 2007 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament, l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est notamment chargée de procéder à l'évaluation des bénéfices et des risques liés à l'utilisation des médicaments à tout moment opportun et notamment lorsqu'un élément nouveau est susceptible de remettre en cause l'évaluation initiale. Elle assure la mise en œuvre des systèmes de vigilance et prépare la pharmacopée. L'article L. 5311-2 du même code, lui aussi issue de la loi du 26 février 2007, prévoit que l'agence " procède à l'évaluation des bénéfices et des risques liés à l'utilisation [des médicaments] à tout moment opportun et notamment lorsqu'un élément nouveau est susceptible de remettre en cause l'évaluation initiale ". Son article L. 5311-2 prévoyait, en outre, que cette agence " procède ou fait procéder à toute expertise et à tout contrôle technique " relatifs, notamment, aux médicaments et qu'elle " recueille et évalue les informations sur les effets inattendus, indésirables ou néfastes " des médicaments.
12. En vertu des dispositions de l'article R. 5121-150 du code de la santé publique, dans leur rédaction issue du décret du 26 décembre 2007 relatif à la pharmacovigilance pour les médicaments à usage humain et modifiant le code de la santé publique, et de celles de l'article R. 5121-151 du même code, dans leur rédaction codifiée par le décret précité du 29 juillet 2004, la pharmacovigilance a pour objet la surveillance du risque d'effet indésirable résultant, notamment, de l'utilisation des médicaments et comporte à ce titre le signalement de ces effets indésirables et le recueil des informations les concernant, ainsi que la réalisation de toutes études et de tous travaux concernant la sécurité de ces médicaments. L'article R. 5121-155 du même code, dans sa rédaction issue du décret du 26 décembre 2007, dispose que " l'Agence française du médicament assure la mise en œuvre du système national de pharmacovigilance. Elle définit les orientations de la pharmacovigilance, anime et coordonne les actions des différents intervenants et veille au respect des procédures de surveillance organisées par le présent chapitre. / Elle reçoit les déclarations et les rapports qui sont adressés à son directeur général (...) par les entreprises et organismes exploitant des médicaments (...), ainsi que les informations qui lui sont transmises (...) par les centres régionaux de pharmacovigilance. / Le directeur général de l'agence peut demander aux centres régionaux de pharmacovigilance de mener à bien toutes enquêtes et tous travaux de pharmacovigilance. (...) / Les entreprises et organismes exploitant des médicaments (...) doivent, sur demande motivée du directeur général de l'agence, fournir toute information mentionnée au 2° et au dernier alinéa de l'article R. 5121-151 ou effectuer toutes enquêtes et tous travaux concernant les risques d'effets indésirables que ces médicaments ou produits sont susceptibles de présenter. Les informations, enquêtes ou travaux ainsi demandés doivent être nécessaires à l'exercice de la pharmacovigilance. ". Aux termes de l'article R. 5121-156 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Après exploitation des informations recueillies, le directeur général de l'Agence (...) prend, le cas échéant, les mesures appropriées pour assurer la sécurité d'emploi des médicaments (...) et pour faire cesser les incidents et accidents qui se sont révélés liés à leur emploi, ou saisit les autorités compétentes. ".
13. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 5121-171 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret du 26 décembre 2007 : " Toute entreprise ou tout organisme exploitant un médicament ou produit mentionné à l'article R. 5121-150 est tenu d'enregistrer et de déclarer sans délai au directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, et au plus tard dans les quinze jours suivant la réception de l'information : / 1° Tout effet indésirable grave et toute transmission d'agents infectieux, survenus en France et susceptibles d'être dus à ce médicament ou produit, ayant été portés à sa connaissance par un professionnel de santé ; / 2° Tous les autres effets indésirables graves survenus en France et susceptibles d'être dus à ce médicament ou produit, dont il peut prendre connaissance, compte tenu notamment de l'existence de publications en faisant état ou de leur enregistrement dans des bases de données accessibles, ou qui ont fait l'objet d'une déclaration répondant aux critères fixés par les bonnes pratiques de pharmacovigilance définies en application de l'article R. 5121-179 ; / 3° Tout effet indésirable grave et inattendu ainsi que toute transmission d'agents infectieux, survenus dans un pays tiers et susceptibles d'être dus à ce médicament ou produit, ayant été portés à sa connaissance ; (...) ". Et aux termes de l'article R. 5121-73 du même code, dans sa version issue du décret du 26 décembre 2007 : " Toute entreprise ou tout organisme exploitant un médicament ou produit mentionné à l'article R. 5121-150 est tenu de transmettre au directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, sous la forme d'un rapport périodique actualisé de pharmacovigilance, les informations relatives aux effets indésirables susceptibles d'être dus à ce médicament ou produit qu'il a déclarés ou qui lui ont été signalés ainsi que toutes les informations utiles à l'évaluation des risques et des bénéfices liés à l'emploi de ce médicament ou produit. Sans préjudice des dispositions de l'article R. 5121-175, ce rapport est transmis, accompagné d'une évaluation scientifique de ces risques et bénéfices : / 1° Immédiatement, sur demande ;/ 2° Semestriellement / a) Pendant la période comprise entre la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché et la mise sur le marché effective du médicament ou du produit dans au moins un Etat membre de la Communauté européenne ou un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen. / b) Pendant les deux premières années suivant la première mise sur le marché dans au moins un Etat membre de la Communauté européenne ou un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen. / c) Pendant les deux premières années suivant la modification de l'autorisation de mise sur le marché lorsque celle-ci est consécutive à un changement de composants, à de nouvelles indications thérapeutiques ou à de nouveaux modes d'administration ; / 3° Annuellement, pendant les deux années suivantes ; / 4° Tous les trois ans pour les années suivantes ".
14. Eu égard tant à la nature des pouvoirs conférés par les dispositions précitées aux autorités chargées de la police sanitaire relative aux médicaments qu'aux buts en vue desquels ces pouvoirs leur ont été attribués, la responsabilité de l'Etat peut être engagée pour toute faute commise dans l'exercice de ces attributions, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain.
15. En second lieu, une présomption d'imputabilité a été instituée par l'article L. 1142-24-12 du code de la santé publique issu de l'article 266 de la loi de finances pour 2020 du 28 décembre 2019, aux termes duquel : " S'il constate un ou plusieurs dommages mentionnés à l'article L. 1142-24-10 qu'il impute à la prescription, avant le 31 décembre 2015, de valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés pendant une grossesse, le collège d'experts émet un avis sur les circonstances, les causes, la nature et l'étendue de ces dommages ainsi que sur la responsabilité de l'une ou de plusieurs des personnes mentionnées au premier alinéa de l'article L. 1142-5 ou de l'Etat, au titre de ses pouvoirs de sécurité sanitaire./ Les malformations congénitales sont présumées imputables à un manque d'information de la mère sur les effets indésirables du valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés lorsqu'il a été prescrit à compter du 1er janvier 1982. Les troubles du développement comportemental et cognitif sont présumés imputables à un manque d'information de la mère sur les effets indésirables du valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés lorsqu'il a été prescrit à compter du 1er janvier 1984. (...) ". Cette présomption ne s'impose toutefois qu'au collège d'experts se prononçant sur l'imputabilité des dommages à l'exposition au valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés dans le cadre de la procédure amiable d'indemnisation des victimes et n'a donc pas d'incidence sur l'appréciation faite par le juge, saisi d'une action en responsabilité fondée sur d'éventuels manquements de l'Etat dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire.
En ce qui concerne l'existence d'une faute de l'Etat :
16. En premier lieu, le résumé des caractéristiques du produit (RCP) de la Dépakine 200 mg résultant de l'autorisation de mise sur le marché du 25 janvier 2006, dont il n'est pas contesté qu'il était applicable dans les mêmes conditions à la Dépakine Chrono 500 mg, en vigueur durant la deuxième grossesse de Mme F... du 16 novembre 2008 au 14 août 2009, comportait la mise en garde selon laquelle " l'utilisation de valproate de sodium est déconseillée tout au long de la grossesse et chez les femmes en âge de procréer sans contraception efficace ". Le résumé mentionnait également au titre de la rubrique " grossesse " des risques de malformations " 3 à 4 fois supérieur à celui de la population générale qui est de 3 % ", un descriptif des " malformations les plus souvent rencontrées ", à savoir " des anomalies de fermeture du tube neural (de l'ordre de 2 à 3 %), des dysmorphies faciales, des fentes faciales, des crâniosténoses, des malformations cardiaques, des malformations rénales et urogénitales et des malformations des membres ". Il y était souligné que des posologies supérieures à 1 000 mg par jour et l'association d'autres anticonvulsivants étaient des " facteurs de risque importants dans l'apparition de ces malformations ". Cette même rubrique faisait état de l'absence de " diminution du quotient intellectuel global chez les enfants exposés in utero au valproate de sodium " mise en évidence par les études épidémiologiques mais aussi d'une " légère diminution des capacités verbales et/ou une augmentation de la fréquence du recours à l'orthophonie ou au soutien scolaire ont été décrites chez ces enfants. ". Il était également indiqué que " par ailleurs, quelques cas isolés d'autisme et de troubles apparentés ont été rapportés chez les enfants exposés in utero au valproate de sodium. Des études complémentaires sont nécessaires pour confirmer ou infirmer l'ensemble de ces résultats ". Enfin, il était signalé que si une grossesse est envisagée, " toutes les mesures seront mises en œuvre pour envisager le recours à d'autres thérapeutiques en vue de cette grossesse. / Si le valproate de sodium devait absolument être maintenu (absence d'alternative) : Il convient d'administrer la dose journalière minimale efficace et de privilégier des formes à libération prolongée, ou à défaut de la répartir en plusieurs prises afin d'éviter les pics plasmatiques d'acide valproïque ".
17. Le RCP ainsi libellé déconseillait très clairement l'usage du valproate de sodium pendant la grossesse et préconisait le recours à une alternative thérapeutique lorsque cela est possible. Il mentionnait également la relation dose-effet mise en évidence, notamment, par les études Samrén (1999) et Arpino (étude " MADRE " de 2000), et préconisait en conséquence, en l'absence d'alternative thérapeutique, une diminution des doses journalières. Il listait les principales malformations congénitales associées à l'époque, de façon certaine ou probable, à une exposition in utero au valproate de sodium, telles qu'elles seront d'ailleurs reprises dans le Protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) " Embryo-foetopathie au Valproate " de 2017, ainsi que leur fréquence, évaluée dans des proportions similaires à celles reprises dans ce même PNDS, qu'il s'agisse des malformations congénitales en général ou de spina bifida en particulier. Dans un contexte où, d'une part, ainsi que le rappelle l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans son rapport intitulé " Enquête relative aux spécialités pharmaceutiques contenant du valproate de sodium " de février 2016, les morts soudaines inattendues dans l'épilepsie demeuraient l'une des causes les plus fréquentes de décès brutal non accidentel chez les jeunes adultes, avec un risque accru chez les femmes enceintes pour lesquelles les doses de médicaments étaient diminuées, ce qui justifiait les alertes déconseillant tout arrêt brutal d'un traitement antiépileptique et, d'autre part, il n'y avait pas ou peu de recul sur les éventuels effets indésirables des antiépileptiques de seconde génération, l'absence de mention, dans le RCP de certaines malformations, relativement moins graves que les précédentes auxquelles elles sont en général associées et / ou dont le lien avec l'exposition au valproate n'était alors que suggéré, comme les angiomes et lésions cutanées, les malformations dentaires, les mamelons espacés, les hernies ou les reflux gastro-œsophagien, la maladie d'Arnold Chiari, l'hydrocéphalie et la microcéphalie, n'apparaît pas fautive. S'agissant des risques de troubles neurodéveloppementaux, le RCP les mentionnait pour la première fois, dans des termes prudents que les requérants contestent, en soutenant que cela ne reflétait pas l'état des connaissances scientifiques en 2006 et, à plus forte raison, en 2008. Toutefois il résulte de l'instruction, et notamment du rapport précité de l'IGAS, que si, notamment, les études Moore de 2000 et Abad de 2001 et 2004 ont mis en évidence des " suspicions sérieuses d'imputabilité des retards de développement au valproate de sodium ", selon les termes du rapport de l'IGAS, qui justifiaient une mention dans le RCP, ces suspicions ne seront précisées, s'agissant en particulier des troubles du développement, des troubles du spectre autistique et des troubles du comportement, qu'après la réalisation de plusieurs études prospectives menées après ces publications et qui aboutissent à partir de la fin des années 2000, notamment l'étude multicentrique sur les effets neurodéveloppementaux des antiépileptiques dite " Etude NEAD " (Neurodevelopmental Effects of Antiepileptic Drugs), dont les résultats seront publiés de façon échelonnée entre 2006 et 2013. Par suite, à la date de la grossesse de Mme F..., le RCP était conforme à l'état des données scientifiques disponibles, s'agissant tant des risques de malformations congénitales que des risques de troubles du développement et du comportement encourus en cas de grossesse sous Depakine.
18. En second lieu, toutefois, la notice du 25 janvier 2006 se bornait à préciser, au titre des " mises en garde spéciales ", que " En début de traitement, le médecin s'assurera que vous n'êtes pas enceinte et vous prescrira si besoin une méthode de contraception (cf rubrique Grossesse et allaitement). ". Selon la rubrique " grossesse " : " L'utilisation de ce médicament est déconseillée, sauf avis contraire de votre médecin, pendant la grossesse. Si vous découvrez que vous êtes enceinte pendant le traitement, consultez rapidement votre médecin lui seul pourrait adapter le traitement à votre état (...) ". Ces seules mentions, qui n'étaient pas conformes au RCP, ne permettaient pas à Mme F... de prendre directement connaissance des risques encourus en cas de grossesse, s'agissant tant des malformations congénitales que des troubles du développement et du comportement. Les difficultés d'ordre réglementaire invoquées par l'ANSM et qui l'auraient empêchée, jusqu'en 2004, de modifier de manière unilatérale l'autorisation de mise sur le marché du médicament, ne peuvent, en tout état de cause, être utilement invoquées dans le présent litige, s'agissant d'une grossesse postérieure à 2004.
19. Il résulte de ce qui précède qu'en ne modifiant pas ou en ne faisant pas modifier l'autorisation de mise sur le marché de la Dépakine afin que la notice soit conforme au RCP et reflète ainsi l'état des connaissances scientifiques et informe directement les utilisatrices des risques en cas d'exposition du fœtus à ce médicament, l'agence exerçant au nom de l'Etat ses missions de pharmacovigilance a manqué à ses obligations de contrôle, et, ce faisant, commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
En ce qui concerne l'existence de causes exonératoires de responsabilité :
20. Estimant que tant la société Sanofi-Aventis France que les médecins assurant le suivi de Mme F... avaient commis des fautes qui avaient concouru à la réalisation du dommage, le tribunal a limité la part de responsabilité de l'Etat à 40 %. D'une part, alors que la responsabilité de l'Etat est engagée sur le fondement de la faute, ni ces médecins ni la société Sanofi ne peuvent être regardés comme collaborant étroitement avec l'Etat dans le cadre de la mise en œuvre d'un service public, la société étant seulement soumise au contrôle d'une autorité agissant au nom de l'Etat. D'autre part, si le manquement de l'Agence a rendu possible la délivrance d'un médicament dans des conditions qui ne permettaient pas aux patientes d'en mesurer les graves effets potentiels en cas de grossesse, les fautes de l'Agence, de la société Sanofi et des médecins ne peuvent être regardées comme portant chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites. Ainsi le tribunal a pu, à bon droit, considérer que des agissements fautifs de tiers pouvaient, le cas échéant, être de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat. Les appelants ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que l'Etat devrait être condamné à indemniser l'intégralité de leurs préjudices, à charge pour lui d'engager des actions récursoires contre d'éventuels tiers responsables.
S'agissant de l'existence de fautes commises par la société Sanofi :
21. D'une part, il résulte de l'instruction que, le 23 décembre 2004, la société Sanofi a, sur le fondement des dispositions de l'article R. 5121-29 du code la santé publique, soumis à l'AFSSAPS une demande de modification de l'autorisation de mise sur le marché de la Dépakine, incluant la révision de la notice dans les termes suivants : " Une grossesse non planifiée n'est pas souhaitable chez une femme traitée par un antiépileptique. Avant d'interrompre une méthode contraceptive efficace, il est recommandé de prévenir votre médecin de votre désir de grossesse./ Les femmes traitées par un antiépileptique ont un risque plus élevé de mettre au monde un enfant malformé. Le risque de survenue de malformations est augmenté si vous prenez simultanément plusieurs antiépileptiques./ La prise de Dépakine au cours de la grossesse est susceptible d'entrainer des anomalies dans le développement du fœtus : anomalies de la colonne vertébrale (spina bifida), des membres ou du cœur. Cependant ces anomalies peuvent habituellement être détectées par les examens de surveillance réalisés au cours de la grossesse. / Un risque de trouble du développement psychomoteur de l'enfant a également été évoqué. / Il est donc essentiel de prévenir votre médecin avant votre grossesse afin qu'il puisse éventuellement adapter votre traitement et programmer une surveillance particulière de cette grossesse. ". Toutefois, plus d'un an après cette demande, l'Agence, qui a accepté la modification du RCP dans les termes rappelés au point 16, a en revanche rejeté la proposition de la société Sanofi-Aventis France pour la notice et a validé la formulation suivante, encore plus éloignée du RCP que celle proposée par le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché : " L'utilisation de ce médicament est déconseillée, sauf avis contraire de votre médecin, pendant la grossesse. Si vous découvrez que vous êtes enceinte pendant le traitement, consultez rapidement votre médecin lui seul pourrait adapter le traitement à votre état. / D'une façon générale, il convient, au cours de la grossesse et de l'allaitement, de toujours demander l'avis à votre médecin ou à votre pharmacien avant de prendre un médicament. ". En octobre 2008 et en mars 2009, la société Sanofi a de nouveau sollicité, en vain, la modification de la notice, pour y mentionner, de manière générale, les différents risques associés à une exposition in utero au valproate de sodium. Ce n'est qu'en 2010 que la notice sera finalement modifiée pour intégrer l'information selon laquelle " La prise de ce médicament au cours de la grossesse est susceptible d'entraîner des malformations du fœtus, des troubles de la coagulation chez le nouveau-né et des troubles du développement de l'enfant et des troubles autistiques chez l'enfant. ". Ainsi que le relève l'IGAS dans son rapport précité, les refus opposés par l'Agence aux demandes de décembre 2004, octobre 2008 et mars 2009 sont conformes aux préconisations de l'Agence à l'époque selon lesquelles les effets secondaires en cas de grossesse et allaitement n'étaient mentionnés dans la notice qu'en cas de contre-indication et qu'à défaut, il convenait d'utiliser des formules-types préconisant la consultation d'un médecin. Il ne saurait être reproché à la société Sanofi, ainsi que le fait l'ANSM, de ne pas avoir fait appel de ces refus successifs.
22. D'autre part, aux termes de l'article R. 5121-41 du code de la santé publique, dans sa version applicable du 8 août 2004 au 7 août 2008 puis à compter du 8 août 2008 : " Le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché soumet au directeur général de l'Agence (...) tout projet de modification d'un élément relatif à l'étiquetage ou à la notice, autre que les modifications du résumé des caractéristiques du produit, prévu aux articles R. 5121-23 et R. 5121-24. / Si le directeur général de l'agence ne s'est pas prononcé dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de présentation de la demande, le demandeur peut procéder à la mise en œuvre des modifications ".
23. Il résulte de ces dispositions, ainsi que de celles de la directive 2001/83/CE pour la transposition desquelles elles ont été prises, en particulier ses articles 59 et 61, qu'elles ne sont pas applicables lorsque la modification de la notice porte sur les éléments, qui doivent en principe y être repris, qui figurent dans le RCP, en particulier les éléments relatifs aux indications thérapeutiques, aux instructions nécessaires et habituelles pour une bonne utilisation (posologie, voie et fréquence d'administration, durée du traitement...) et à la description des effets indésirables. Il suit de là qu'en l'espèce, contrairement à ce que l'ANSM soutient dans ses observations, s'agissant de la mention dans la notice des effets indésirables de la Dépakine, la société Sanofi-Aventis France n'aurait ainsi, en tout état de cause, pas pu passer outre le refus opposé par l'Agence à sa demande de modification de décembre 2004 en se prévalant de ces dispositions.
24. Il résulte de ce qui précède que, pour la période en cause, la société Sanofi n'a pas commis de faute de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité.
S'agissant de l'existence de fautes commises par les médecins de Mme E... F... :
25. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) ". Aux termes de l'article R. 4127-35 de ce même code : " Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. / (...) ".
26. Le régime spécifique de preuve prévu par l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, qui prévoit qu'en cas de litige, il appartient au professionnel de santé d'apporter la preuve que l'information prévue par cet article a été délivrée à l'intéressé, ne trouve pas à s'appliquer dans des litiges autres que ceux où un patient reproche à un médecin ou à un établissement un défaut d'information médicale. Il suit de là que, dans le cadre du présent litige, auquel les médecins qui ont pris en charge Mme F... ne sont pas partie, leur faute éventuelle ne saurait être retenue que si elle résulte de l'instruction, en particulier du ou des expertises judiciaires, de l'avis du collège d'experts placé auprès de l'ONIAM si un tel avis a été rendu ou des pièces médicales versées au dossier de l'instance.
27. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et notamment des pièces médicales versées au dossier de l'instance, d'une part, que Mme E... F... n'a pas pris de Dépakine pendant plusieurs années, notamment pendant sa première grossesse en 2001, sans avoir de nouvelle crise d'épilepsie, d'autre part, que si elle a repris son traitement suite à une crise épileptique généralisée le 21 décembre 2006, sa situation n'a pas été revue lors de sa seconde grossesse, pendant laquelle son neurologue a continué de lui prescrire de la Dépakine chrono, en considérant, après avoir relevé que l'arrêt du traitement pouvait être envisagé mais n'était pas souhaitable " si on réfléchit aux problèmes médico-légaux d'aptitude à la conduite ", que le risque tératogène était mineur pour des posologies inférieures ou égales à 1 000 mg par jour, qu'il pouvait en outre être réduit par la prise d'acide folique, et que le Lamictal ne constituait pas, le cas échéant, une alternative en l'absence de certitudes scientifiques sur ce médicament à l'époque. De telles recommandations n'apparaissent pas cohérentes avec les mentions du RCP s'agissant des risques tératogènes et des alternatives existantes en 2008 et 2009.
28. Dans ces conditions, le neurologue de Mme F... a commis une faute, qui, dans les circonstances de l'espèce, apparaît de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité à hauteur de 30 %.
29. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la part de responsabilité de l'Etat doit être portée à 70 %.
Sur le lien entre la faute et le dommage :
30. D'une part, au regard des critères de suspicion d'une embryofoetopathie au valproate de sodium dégagés par le Protocole national de diagnostic et de soins de mai 2017 auquel se réfère l'expertise judiciaire du 27 décembre 2018 ordonnée par le tribunal administratif de Montreuil, doivent être regardés comme imputables à l'exposition in utero au valproate de sodium, les anomalies morphologiques faciales, squelettiques et des extrémités, les malformations, les anomalies associées touchant d'autres organes comme les anomalies cutanées, les infections oto-rhino-laryngologiques (ORL) ou le strabisme, ainsi que les troubles du neurodéveloppement, dès lors qu'ils ne sont imputables à aucune autre cause et que le traitement au valproate de sodium s'est poursuivi au cours de la grossesse.
31. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que I... F... souffre d'une dysmorphie faciale, de malformation des extrémités, d'une malformation cérébrale, de troubles neurodéveloppementaux, à savoir des troubles de la motricité, un retard de développement, des troubles de l'attention et des troubles du comportement, ainsi que des troubles ORL et visuels, des troubles du tonus et des troubles gastriques, qui ne peuvent être imputés à une autre cause qu'à son exposition in utero à la Dépakine. S'agissant plus particulièrement des troubles oculaires et ORL, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, qu'eu égard à leur spécificité, les affections présentées par I... F..., notamment une myopie, un astigmatisme et un strabisme, d'une part, ainsi que des otites séreuses à répétition d'autre part, sont imputables à l'exposition in utero à la Dépakine.
32. D'autre part, la non-conformité au RCP des mentions de la notice de la Dépakine n'a pas permis à Mme F... de prendre directement connaissance des risques encourus en cas de grossesse, s'agissant tant des malformations congénitales que des troubles du développement et du comportement. Cette faute n'a entraîné, pour la victime et les victimes indirectes, qu'une perte de chance de se soustraire aux risques qui se sont réalisés. Compte tenu de l'état de santé de Mme F..., de son évolution prévisible en l'absence de traitement, du fait qu'elle a mené sa première et sa troisième grossesses sans Dépakine, traitement qu'elle n'a pris que de façon intermittente et qu'elle a arrêté en 2015, et des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées à la date de sa seconde grossesse, la chance perdue par I... F..., du fait du manquement de l'Etat, d'éviter les conséquences d'une exposition in utero au valproate de sodium doit être évaluée, dans les circonstances de l'espèce, à 90 %.
Sur l'évaluation des préjudices de Mme I... F... pour la période du 7 janvier 2022 à sa majorité :
En ce qui concerne le déficit fonctionnel temporaire :
33. Il résulte de l'instruction que Mme I... F... présente, pour la période en cause, un déficit temporaire partiel de 75 %.
34. Pour réparer le déficit fonctionnel temporaire K... F..., les premiers juges ont retenu un taux journalier de 13 euros, qu'il n'y a pas lieu, en l'espèce, de porter, comme demandé par les requérants, à une somme supérieure. Ce taux a été pondéré par application du pourcentage de déficit fonctionnel. Ils ont ensuite, pour déterminer la rente due au titre de la réparation du déficit fonctionnel partiel de l'intéressée, retenu une part de responsabilité de 40 %. Toutefois, il résulte, d'une part, de ce qui a été dit au point 29 que la part du dommage que l'Etat doit supporter doit être portée à 70 % de ce dommage et, d'autre part, de ce qui a été dit au point 32 que la faute commise par l'Etat est seulement à l'origine d'une perte de chance de 90 %, pour l'intéressée, d'échapper au dommage qui est advenu. Il suit de là que la part de la réparation du dommage K... F... incombant à l'Etat doit être portée de 40 à 63 %.
35. Ainsi, sur la période allant du 7 janvier 2022 au 13 août 2027, veille de la majorité K... F..., soit 2 045 jours, l'assiette de la somme due doit être portée à 19 938,75 euros, soit 12 561,41 euros compte tenu de la part de responsabilité de l'Etat et du taux de perte de chance de 90 %. Cette somme sera versée sous forme d'un capital dont seront déduites, le cas échéant, les rentes trimestrielles déjà versées par l'Etat pour cette période en exécution du jugement du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil.
En ce qui concerne l'assistance par une tierce personne :
36. En vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des victimes d'un dommage dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire de l'indemnisation allouée à la victime d'un dommage corporel au titre des frais d'assistance par une tierce personne le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. Il en est ainsi alors même que les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage. La déduction n'a toutefois pas lieu d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune.
37. Les règles rappelées au point précédent ne trouvent à s'appliquer que dans la mesure requise pour éviter une double indemnisation de la victime. Par suite, lorsque la personne publique responsable n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, notamment parce que la faute qui lui est imputable n'a entraîné qu'une perte de chance d'éviter ce dommage, la déduction ne se justifie, le cas échéant, que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l'indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne.
38. Le montant de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) et de son complément éventuel peuvent être déduits d'une rente ou indemnité allouée au titre de l'assistance par tierce personne. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, lorsque l'auteur de la faute n'est tenu de réparer qu'une fraction du dommage corporel, cette déduction n'a lieu d'être que lorsque le montant cumulé de l'indemnisation incombant normalement au responsable et des allocations excéderait le montant total des frais d'assistance par une tierce personne. L'indemnisation doit alors être diminuée du montant de cet excédent.
39. Pour réparer le préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne, les premiers juges ont retenu la nécessité d'un accompagnement quotidien à hauteur de 7 heures et 10 minutes, sur la base d'un taux horaire de 14 euros, et d'une année de 412 jours pour tenir compte des congés payés et jours fériés et la nécessité d'une aide scolaire quotidienne de 1 heure 30 pour les 180 jours scolaires annuels, sur la base d'un taux horaire évalué à 19 euros.
40. Toutefois, d'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 29 que la part du dommage que l'Etat doit supporter doit être portée à 70 % de ce dommage et, d'autre part, de ce qui a été dit au point 32 que la faute commise par l'Etat est seulement à l'origine d'une perte de chance de 90 %, pour l'intéressée, d'échapper au dommage qui est advenu. Il suit de là que la part de la réparation du dommage K... F... incombant à l'Etat doit être portée de 40 à 63 %.
41. D'autre part, il résulte de l'instruction que Mme I... F... a besoin d'un accompagnement pour les gestes de la vie quotidienne qui peut être évalué, eu égard au rapport d'expertise et au fait que, depuis septembre 2019, l'intéressée est scolarisée à domicile et n'a plus besoin d'être conduite à l'école, à 6 heures par jour. Elle a également besoin d'une aide spécialisée au titre de sa scolarité à domicile, qui peut être évaluée, selon le bilan réalisé par l'association Epsilon qui accompagne Mme E... et Mme I... F..., à 24 heures par semaines. A cela s'ajoutent un besoin de surveillance qui peut être évalué à 6 heures par jour. Compte tenu du taux horaire moyen du salaire minimum interprofessionnel de croissance au cours de cette période, augmenté des charges sociales, le taux horaire de l'assistance par une tierce personne doit être porté à 18 euros pour l'aide non spécialisée et à 20,50 euros pour l'aide spécialisée, et fixé à 10 euros pour la surveillance. Afin de tenir compte des congés payés et des jours fériés prévus par l'article L. 3133-1 du code du travail, il y a lieu de calculer l'indemnisation sur la base d'une année de 412 jours, y compris s'agissant de l'aide spécialisée, laquelle correspond, en réalité, à une aide dans tous les apprentissages, y compris durant les week-ends et les vacances scolaires. Sur la période allant du 7 janvier 2022 au 13 août 2027, veille de la majorité K... F..., soit 2045 jours, l'indemnité au titre de la tierce personne non spécialisé doit être portée à 249 299,50 euros, l'indemnité au titre de la tierce personne spécialisée doit être portée à 162 242,53 euros, et l'indemnité au titre de la surveillance doit être fixée à 138 499,72 euros, soit une somme totale de 550 041,77 euros, et 346 526 euros compte tenu de la part de responsabilité de l'Etat et du taux de perte de chance de 90 %.
42. Eu égard au montant des allocations mensuelles susceptibles d'avoir été versées ou d'être versées au titre de l'AEEH pour I... F... entre le 7 janvier 2022 et la veille de sa majorité, le montant cumulé de l'indemnisation incombant à l'Etat et des allocations qu'elle aura ainsi perçues n'excèdera pas le montant total des frais d'assistance par une tierce personne s'élevant à la somme de 452 190,54 euros. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de procéder à une réfaction sur le montant alloué. L'indemnité mise à la charge de l'Etat, pour la période demeurant en litige, doit donc être portée à la somme de 346 526 euros. Cette somme sera versée sous forme d'un capital dont seront déduites, le cas échéant, les rentes trimestrielles déjà versées par l'Etat pour cette période en exécution du jugement du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil.
43. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à demander que les sommes au paiement desquelles l'Etat a été condamné, en réparation des préjudices temporaires correspondant à l'assistance d'une tierce personne et au déficit fonctionnel temporaire de Mme I... F..., pour la période du 7 janvier 2022 jusqu'à la majorité de leur fille, soient réévaluées dans les conditions exposées aux points précédents.
Sur les frais de l'instance :
44. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Sanofi Winthrop Industrie, qui n'aurait pas pu faire tierce opposition si elle n'avait pas été présente à l'instance et qui n'a donc pas la qualité de partie à l'instance, obtienne le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
45. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement aux consorts F... d'une somme de 3 000 euros au titre de ces mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : L'intervention de la société Sanofi Winthrop Industrie est admise.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions indemnitaires de la requête des consorts F... à l'exclusion de celles concernant le déficit fonctionnel temporaire et les dépenses liées à l'assistance par une tierce personne pour les besoins de la vie quotidienne de Mme I... F..., pour la période allant du 7 janvier 2022 au 13 août 2027.
Article 3 : Les sommes au paiement desquelles l'Etat a été condamné par le tribunal administratif de Montreuil en réparation des préjudices temporaires correspondant à l'assistance d'une tierce personne et au déficit fonctionnel temporaire de Mme I... F..., pour la période du 7 janvier 2022 jusqu'au 13 août 2027, sont réévaluées dans les conditions exposées aux points 33 à 42 du présent arrêt.
Article 4 : L'article 1er du jugement du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : L'Etat versera aux consorts F... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B... épouse F... et à M. H... F..., en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux K... et de D... F..., à M. C... F..., à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, à la société Sanofi Winthrop Industrie et à la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan.
Copie en sera adressée à l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
Délibéré après l'audience du 9 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 janvier 2025.
La rapporteure,
C. Vrignon-VillalbaLa présidente,
A. Menasseyre
La greffière,
N. CoutyLa République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA04398