Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 27 juin 2024 par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer a prononcé à son encontre une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance pour une durée de trois mois.
Par un jugement n° 2410461 du 8 août 2024, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 20 août 2024, M. C..., représenté par Me Ory, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il a été rendu avec des conclusions du rapporteur public ;
- l'arrêté contesté méconnaît les dispositions de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 octobre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Un mémoire a été enregistré pour M. C... le 10 décembre 2024, soit après la clôture de l'instruction, qui n'a pas été communiqué.
Par un mémoire distinct, enregistré le 27 septembre 2024, M. C... a demandé à la cour de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du dernier alinéa de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure.
Par un mémoire enregistré le 10 octobre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête et fait valoir que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance n° 24PA03764 du 31 octobre 2024, la première vice-présidente, présidente de la 4ème chambre, a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. C....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz, rapporteur,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 27 juin 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a, sur le fondement des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, prononcé à l'encontre de M. C..., une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance, d'une durée de trois mois, ayant pour objet de lui interdire de se déplacer en dehors de la commune de Montreuil (93), sans avoir obtenu préalablement une autorisation écrite, de lui faire obligation de se présenter dans un commissariat de police de cette commune une fois par jour à
8 heures 30, tous les jours, y compris les dimanches, jours fériés ou chômés, de confirmer et justifier son lieu d'habitation ainsi que tout changement d'adresse auprès du commissariat et de lui interdire de paraître sur l'itinéraire du passage de la flamme olympique à Montreuil le
25 juillet 2024 de 10h00 à 12h00. M. C... relève appel du jugement n° 2410461 du
8 août 2024 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure : " Toute décision de renouvellement des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article est notifiée à la personne concernée au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur. La personne concernée peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat qu'il délègue l'annulation de la décision dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa notification. Il est statué sur la légalité de la décision au plus tard dans un délai de soixante-douze heures à compter de la saisine du tribunal. Dans ce cas, la mesure ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué sur la demande. (...). L'audience est publique. Elle se déroule sans conclusions du rapporteur public. Lorsque la présence du requérant à l'audience est susceptible de méconnaître les obligations résultant de la mesure de surveillance, le requérant peut solliciter un sauf-conduit pour s'y rendre. Le sauf-conduit n'est pas délivré si le déplacement du requérant constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. / La personne soumise aux obligations prévues aux 1° à 3° du présent article peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, ou à compter de la notification de chaque renouvellement lorsqu'il n'a pas été fait préalablement usage de la faculté prévue au huitième alinéa, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine. Ces recours, dont les modalités sont fixées au chapitre III ter du titre VII du livre VII du code de justice administrative, s'exercent sans préjudice des procédures prévues au huitième alinéa du présent article ainsi qu'aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du même code ".
3. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant aurait entendu faire usage de la faculté offerte par l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure de saisir le tribunal administratif compétent d'une demande d'annulation de l'arrêté du ministre de l'intérieur dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa notification, dont la procédure prévoit la tenue d'une audience publique se déroulant sans conclusions du rapporteur public. Dans ces conditions, en l'absence de précision expresse de la part de l'intéressé en ce sens, la demande de première instance doit être regardée comme un recours pour excès de pouvoir de droit commun qui n'était pas susceptible d'être dispensé de conclusions du rapporteur public. Par suite, le requérant ne peut utilement soutenir que le jugement aurait été rendu au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'il aurait dû être rendu sans conclusions du rapporteur public.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure : " Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre. ". L'article L. 228-2 du même code énonce que : " Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République antiterroriste et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de : / 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. La délimitation de ce périmètre permet à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s'étend, le cas échéant, aux territoires d'autres communes ou d'autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ; / 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; / 3° Déclarer son lieu d'habitation et tout changement de lieu d'habitation. / Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. (...) ".
5. Il résulte des dispositions de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure que les mesures qu'il prévoit doivent être prises aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme et sont subordonnées à deux conditions cumulatives, la première tenant à la menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics résultant du comportement de l'intéressé, la seconde aux relations qu'il entretient avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ou, de façon alternative, au soutien, à la diffusion ou à l'adhésion à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.
6. Pour prononcer la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance du 27 juin 2024, le ministre s'est fondé sur la circonstance que l'intéressé, depuis 2022, s'est signalé par son changement de comportement, à savoir qu'il souhaite n'interagir qu'avec des hommes, avoir une seconde épouse et emmener son enfant au Maroc, qu'il a été interpellé le 4 avril 2023 pour des faits de violences conjugales, qu'il a tenu un discours antirépublicain en affirmant que le vote irait à l'encontre de la religion en ce qu'il reviendrait à donner son accord aux " mécréants ", qu'il a été administrateur d'un groupe religieux et communautaire sur le réseau social Telegram qui comptait, parmi ses membres, un individu incarcéré en Belgique de 2014 à 2016 en raison de son rôle actif dans la direction de l'organisation pro-djihadiste Sharia4Belgium qui appelait à instaurer un califat et à appliquer les règles de la charia en Belgique, et dont certains adhérents ont rejoint la zone syro-irakienne afin d'intégrer les rangs du groupe terroriste Daesh, que, sur ce même réseau Telegram, il a fait la connaissance d'un individu radicalisé prônant un islam rigoriste et tenant des propos en faveur de groupuscules djihadistes, et dont il est devenu le référent religieux, que, depuis décembre 2023, il a adopté un comportement inquiétant en raison de l'effacement de toute activité sur les réseaux sociaux et d'une rupture avec son entourage virtuel habituel et ses amis en ligne. Le ministre a déduit de l'ensemble de ces éléments qu'il existe de sérieuses raisons de penser que le comportement de M. C... constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre public, qu'il doit être regardé comme entrant en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ainsi que comme soutenant, diffusant, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, et adhérant à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes, motifs qui relèvent des deux conditions cumulatives mentionnées au point 5.
7. M. C... soutient cependant qu'il ne représente pas une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre public, dès lors que les motifs du conflit conjugal qu'il traverse sont sans rapport avec une prétendue radicalisation et une menace de nature terroriste, qu'il ne refuse pas de parler aux femmes, ce qui serait incompatible avec l'exercice de ses mandats syndicaux pour défendre les salariés de son entreprise sans distinction de sexe, que son retrait des réseaux sociaux s'explique par son état dépressif chronique et n'est pas en lien avec une quelconque menace de nature terroriste, que l'exploitation des supports numériques trouvés à la suite de la perquisition à son domicile n'a apporté aucun élément relatif à des contenus terroristes violents de nature à faire présumer une radicalisation, que le caractère habituel de ses relations avec M. D... n'est pas établi, cette personne ne présentant en tout état de cause aucune menace concernant la commission d'actes de nature terroriste, non plus d'ailleurs que sa prétendue proximité avec M. A..., lequel n'a d'ailleurs, selon la note des services de renseignement, jamais été condamné pour des actes de nature terroriste ou en lien avec de tels actes, et enfin qu'il n'a jamais été l'administrateur d'un groupe religieux et communautaire sur le réseau Telegram. Toutefois, l'ensemble de ces éléments ne suffisent pas à remettre en cause les motifs du ministre précisés au point 6, qui s'appuient sur la note des services de renseignements, faisant état de faits précis et circonstanciés, produite en première instance. Au demeurant, s'agissant du retrait de l'intéressé des réseaux sociaux, il ne saurait être la conséquence de sa seule dépression dès lors qu'il résulte du certificat médical du 23 avril 2024, produit par M. C... lui-même, que ses troubles dépressifs sont anciens et ne sauraient dès lors constituer la cause principale de ce retrait. Par ailleurs, s'agissant de l'engagement syndical du requérant, le seul courriel d'une salariée, antérieur de plus d'un an à la date de la décision attaquée, et remerciant l'intéressé pour sa prestation jugée " intelligente " lors d'un entretien préalable à licenciement, n'est pas de nature à établir que les faits retenus à son encontre seraient matériellement inexacts.
8. Par suite et compte tenu de l'ensemble de ces éléments qui doivent être appréciés au regard d'un contexte national et international dans lequel la menace terroriste demeure à un niveau particulièrement élevé, notamment en considération du conflit israélo-palestinien à la suite de l'attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre 2023 et de la tenue des Jeux Olympiques et Paralympiques à l'été 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a pu légalement, sur le fondement des dispositions de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, prendre à l'encontre de M. C... une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Sa requête doit donc être rejetée dans l'ensemble de ses conclusions, y compris celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 20 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Doumergue, présidente,
- Mme Bruston, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 janvier 2025.
Le rapporteur,
P. MANTZ La présidente,
M. DOUMERGUE
La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA03764