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07/02/2025 | FRANCE | N°23PA03066

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 07 février 2025, 23PA03066


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 mars 2018, implicitement confirmé sur recours gracieux, par lequel la maire de Paris a accordé à la société La Tulipe un permis de construire n° PC 075107 17 V0012 portant notamment sur la surélévation d'un hôtel de tourisme avec création d'une toiture végétalisée, 33 rue Malar dans le 7ème arrondissement de Paris.



Par un jugement n° 1815228/4-3 du 18 décembre 20

20, le tribunal administratif de Paris a fait droit à sa requête.



Procédure devant la Cour avan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 mars 2018, implicitement confirmé sur recours gracieux, par lequel la maire de Paris a accordé à la société La Tulipe un permis de construire n° PC 075107 17 V0012 portant notamment sur la surélévation d'un hôtel de tourisme avec création d'une toiture végétalisée, 33 rue Malar dans le 7ème arrondissement de Paris.

Par un jugement n° 1815228/4-3 du 18 décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a fait droit à sa requête.

Procédure devant la Cour avant cassation :

1°/ Par une requête enregistrée le 17 février 2021, sous le n° 21PA00840, et un mémoire en réplique enregistré le 1er juin 2022, la Ville de Paris, représentée par Me Falala, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 18 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé le permis de construire accordé par la maire de Paris le 14 mars 2018 à la société La Tulipe, implicitement confirmé sur recours gracieux, et a mis à sa charge une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande de première instance de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête de première instance de Mme A... était irrecevable, à défaut d'intérêt pour agir ;

- le projet est situé sur une unité foncière présentant une dent creuse, la limitation de la surélévation à 20 % de surface de plancher prévue par le plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) de Paris ne pouvant trouver à s'appliquer, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges ;

- elle renvoie, pour les autres moyens qu'elle avait soulevés devant le tribunal administratif de Paris, à ses écritures de première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2022, Mme A..., représentée par Me Cofflard, conclut à titre principal au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à l'annulation du permis de construire du 14 mars 2018 délivré par la maire de Paris à la société La Tulipe, ainsi que du rejet de son recours gracieux, et à ce que soit mise à la charge de la Ville de Paris une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a justifié de son intérêt pour agir contre le permis de construire contesté qui générera un trouble de jouissance pour son bien ; sa requête de première instance a été introduite dans le délai de recours et était donc bien recevable ;

- les autres moyens invoqués ne sont pas fondés ;

- elle reprend ses autres moyens invoqués en première instance, s'agissant de la méconnaissance de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme, de celle des articles C III 4- du règlement du plan de prévention des risques d'inondation et de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, ainsi que de celle de l'article C III 5- du règlement du plan de prévention des risques d'inondation.

Par des mémoires, enregistrés les 29 mai et 1er juin 2022, la société La Tulipe, représentée par Me Dehghani-Azar, conclut à l'annulation du jugement attaqué, et subsidiairement, à ce que la Cour sursoit à statuer sur le fondement des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme en vue de lui permettre de régulariser le permis de construire contesté, ainsi qu'à la mise à la charge de Mme A... d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation en estimant que le projet n'était pas situé sur une unité foncière présentant une dent creuse, et que s'appliquait la limitation de la surélévation à 20 % de surface de plancher prévue par le plan de prévention des risques d'inondation de Paris ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le permis de construire en litige n'était pas régularisable, alors qu'elle peut modifier la destination de la partie " habitation " du projet, vers celle de " constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif ", lesquelles entrent dans les exceptions à la limitation de la surélévation à 20 % de surface de plancher prévue par le plan de prévention des risques d'inondation de Paris, tout en respectant l'article UG 2.2.1 du plan local d'urbanisme (PLU), ce changement ne modifiant pas l'économie globale du projet.

2°/ Par une requête enregistrée le 17 février 2021, sous le n° 21PA00838, la société La Tulipe, représentée par la SELARL Ingelaere et Partners Avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 18 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé le permis de construire que lui a accordé la maire de Paris le 14 mars 2018, implicitement confirmé sur recours gracieux ;

2°) de rejeter la demande de première instance de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation en estimant que le projet n'était pas situé sur une unité foncière présentant une dent creuse, et que s'appliquait la limitation de la surélévation à 20 % de surface de plancher prévue par le plan de prévention des risques d'inondation de Paris ;

- le dossier de demande de permis de construire était complet ;

- le permis de construire ne méconnaît pas l'article III C 4 du règlement du plan de prévention des risques d'inondation, et en tout état de cause ce moyen est inopérant dès lors que le projet ne porte pas sur une construction neuve ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ne peut qu'être écarté dès lors que Mme A... ne démontre pas que le projet est de nature à porter atteinte à la sécurité publique ;

- le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 5 du C de l'article III du plan de prévention des risques d'inondation est inopérant dès lors que le projet ne concerne pas un établissement classé pour la protection de l'environnement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2022, Mme A..., représentée par Me Cofflard, conclut au rejet de la requête à titre principal et, à titre subsidiaire, à l'annulation du permis de construire du 14 mars 2018 délivré par la maire de Paris à la société La Tulipe, ainsi que du rejet de son recours gracieux, et doit être regardée comme demandant à ce que soit mise à la charge de la société " La Tulipe " une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a justifié de son intérêt pour agir contre le permis de construire contesté qui générera un trouble de jouissance pour son bien ; sa requête de première instance a été introduite dans le délai de recours, elle était donc bien recevable ;

- les autres moyens invoqués ne sont pas fondés ;

- elle reprend ses autres moyens invoqués en première instance, s'agissant de la méconnaissance de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme, de celle des articles C III 4- du règlement du plan de prévention des risques d'inondation et de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, ainsi que de celle de l'article C III 5- du règlement du plan de prévention des risques d'inondation.

Un mémoire présenté par la société La Tulipe a été enregistré le 1er juin 2022, postérieurement à la clôture d'instruction.

Une note en délibéré, enregistrée le 10 juin 2022, a été présentée pour Mme A... dans les affaires nos 21PA00840 et 21PA00838.

Par un arrêt n°s 21PA00840, 21PA00838 du 28 juin 2022, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté les requêtes de la Ville de Paris et de la société La Tulipe dirigées contre ce jugement.

Par une décision n° 467058 du 11 juillet 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt du 28 juin 2022 de la Cour et lui a renvoyé l'affaire.

Procédure devant la Cour après cassation :

1°/ Par un mémoire enregistré le 25 août 2023 sous le n° 23PA03066, la société La Tulipe, représentée par Me Forgar, réitère ses conclusions d'appel et demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 18 décembre 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de mettre à la charge de Mme A... le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit, l'article III-C-1 du règlement du plan de prévention des risques d'inondation du département de Paris ne s'appliquant pas aux unités foncières en dent creuse.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2024, Mme A..., représentée par Me Cofflard, conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à l'annulation de la décision implicite de rejet, par la maire de Paris, du recours gracieux du 28 avril 2018 dirigé contre l'arrêté de permis de construire PC n° 075 107 17 V0012 délivré le 14 mars 2018 ; à cette dernière fin, elle soutient, outre les moyens soulevés en première instance, que les dispositions des articles UG7 et UG 11 du plan local d'urbanisme ont été méconnues. Mme A... conclut enfin à ce que soit mis à la charge de la Ville de Paris le versement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 20 septembre 2024, la société La Tulipe, représentée par Me Forgar, conclut à titre principal aux mêmes fins que ses précédents mémoires, et soutient en outre que les deux nouveaux moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

2°/ Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2024 sous le n° 23PA03067, Mme A..., représentée par Me Cofflard, conclut à titre principal au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à l'annulation de la décision implicite de rejet, par la maire de Paris, du recours gracieux du 28 avril 2018 dirigé contre l'arrêté de permis de construire PC n° 075 107 17 V0012 délivré le 14 mars 2018 ; à cette dernière fin, elle soutient, outre les moyens soulevés en première instance, que les dispositions des articles UG7 et UG 11 du plan local d'urbanisme ont été méconnues. Mme A... conclut enfin à ce que soit mis à la charge de la Ville de Paris le versement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 28 septembre 2024, la Ville de Paris, représentée par Me Falala, conclut à titre principal aux mêmes fins que ses précédents mémoires, et soutient en outre que les deux nouveaux moyens soulevés par Mme A..., présentés après la cristallisation, sont irrecevables et, à titre subsidiaire, ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- l'ordonnance n° 2011-1539 du 16 novembre 2011 relative à la définition des surfaces de plancher prises en compte dans le droit de l'urbanisme ;

- le plan de prévention des risques d'inondation du département de Paris ;

- le plan local d'urbanisme de la Ville de Paris ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Ivan Luben,

- les conclusions de M. Jean-François Gobeill, rapporteur public,

- les observations de Me Forgar, avocat de la société La Tulipe, de Me Gorse substituant Me Falala, avocat de la Ville de Paris et de Me Cofflard, avocat de Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. La société La Tulipe est propriétaire et exploitante d'un hôtel de tourisme situé 33, rue Malar à Paris. Elle a déposé, le 24 mars 2017, une demande de permis de construire pour la surélévation d'un hôtel de tourisme du niveau R+2 au niveau R+4 comportant la création d'une toiture-terrasse végétalisée, l'aménagement de deux chambres supplémentaires, la mise en conformité de l'accessibilité aux personnes handicapées, l'installation de deux ascenseurs et escaliers du rez-de-chaussée au niveau R+4, la réalisation de trois appartements, le ravalement des façades sur rue et cour et le remplacement des menuiseries extérieures après démolition d'un bâtiment d'un étage. Ce permis de construire a été délivré par un arrêté de la maire de Paris du 14 mars 2018 sous le n° PC 075 107 17 V0012. Par un courrier du 28 avril 2018, Mme A... a formé un recours gracieux contre cet arrêté. Sa demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Mme A... a saisi le tribunal administratif de Paris en annulation de la décision implicite de rejet de la maire de Paris du recours gracieux du 28 avril 2018 et de l'arrêté de permis de construire n° PC 075 107 V0012 délivré le 14 mars 2018 à la société La Tulipe. Par un jugement du 18 décembre 2020, confirmé par un arrêt n°s 21PA00840 et 21PA00838 de la Cour administrative d'appel de Paris du 28 juin 2022 rejetant les appels de la Ville de Paris et de la société La Tulipe, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté. Par la décision n° 467058 du 11 juillet 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la Cour et lui a renvoyé l'affaire.

Sur la jonction :

2. Les requêtes présentées par la société La Tulipe et par la Ville de Paris concluent à l'annulation du même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la Ville de Paris tirée du défaut d'intérêt à agir de Mme A... en première instance :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ".

4. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est propriétaire résidente d'un appartement situé au 3ème étage de l'immeuble du 35, rue Malar qui se prolonge à l'arrière le long de l'hôtel de tourisme sis 33, rue Malar, objet du permis de construire litigieux, et que les fenêtres de son appartement donnent sur une cour intérieure en face de la façade arrière de cet hôtel. Il en ressort également que les travaux projetés auraient pour effet d'obstruer sa vue sur le toit presque plat de l'hôtel, rehaussé du fait de la construction de deux étages supplémentaires prévus par le permis de construire et au niveau duquel serait aménagé un toit-terrasse accessible à la clientèle. Compte tenu de ces éléments, Mme A..., voisine immédiate du projet, qui se prévalait en première instance de troubles de jouissances liés à l'obstruction de la vue dont elle jouissait et à une perte de luminosité résultant de la surélévation de l'immeuble de l'hôtel, justifie d'un intérêt à agir contre le permis de construire contesté.

Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :

6. D'une part, aux termes du a) de l'article UG.2.1 du règlement du plan local d'urbanisme de la Ville de Paris : " Dans les zones de risque délimitées par le Plan de prévention du risque d'inondation (P.P.R.I.) du Département de Paris, la réalisation de constructions, installations ou ouvrages, ainsi que les travaux sur les bâtiments existants et les changements de destination sont subordonnés aux dispositions réglementaires énoncées par ledit document (...) ". Selon le point 6 de l'article III-C-1 du règlement du plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) de Paris, qui s'applique à la zone bleue sombre dans laquelle est situé le projet litigieux : " La construction ou la reconstruction de SHON [surface hors œuvre nette] sur une unité foncière est limitée à la SHON existante à la date d'opposabilité du PPRI toutes destinations confondues augmentée de 20%, à l'exception des secteurs stratégiques pour le développement économique et social de Paris ou d'intérêt national, et des équipements publics, semi-publics ou privés à caractère social, éducatif, culturel ou sportif, qui font l'objet de mesures renforçant les dispositions générales prévues aux articles III-C-2 et III-C-3, ainsi que des unités foncières en dent creuse définies au chapitre V du règlement relatif à la terminologie ".

7. D'autre part, le chapitre V de ce même règlement relatif à la terminologie définit une " unité foncière présentant une dent creuse ", comme un " ensemble d'une ou de plusieurs parcelles cadastrales, bâti ou non bâti, répondant aux caractéristiques suivantes : / - l'unité foncière est riveraine d'une voie publique ou privée ; la hauteur de construction sur rue, existante sur l'unité foncière considérée, doit être inférieure d'au moins trois mètres, à la hauteur de la construction existante, sur les parcelles riveraines à la même voie, mitoyennes de part ou d'autre de l'unité foncière considérée (...) ". Il résulte des termes mêmes de ces dispositions que constitue une unité foncière en dent creuse, au sens de celles-ci, une parcelle riveraine d'une voie publique ou privée et qui est mitoyenne d'au moins une autre parcelle riveraine de la même voie sur laquelle est bâtie une construction dont la hauteur est supérieure d'au moins trois mètres à celle que supporte, le cas échéant, la première parcelle.

8. Le plan de prévention des risques d'inondation de Paris a pour objet la prévention des risques d'inondation dans Paris par débordement de la Seine en cas de survenance d'une crue et limite donc, à cet effet, les surfaces de construction ou reconstruction à la parcelle. Pour l'application des règles précitées du plan de prévention des risques d'inondation de Paris au projet en cause, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que l'unité foncière sur laquelle se situe le projet, riveraine de la rue Malar, au numéro 33, supporte une construction existante de deux étages, et, d'autre part, qu'elle est mitoyenne, au nord, d'un bâtiment d'un étage au numéro 31 de la rue, et au sud d'un bâtiment de six étages, au 35 de la rue. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 ci-dessus que la construction existante sis 33, rue Malar, objet du permis de construire litigieux, est constitutive d'une unité foncière en dent creuse, au sens des dispositions précitées du règlement du plan local d'urbanisme de la Ville de Paris, dès lors qu'il est constant que le bâtiment de six étages, mitoyen au sud de la construction projetée, au numéro 35, a une hauteur de construction sur la rue Malar supérieure d'au moins trois mètres à la hauteur de la construction existante sur l'unité foncière considérée, nonobstant la circonstance que le bâtiment d'un étage, mitoyen au nord de la construction projetée, au numéro 31, a une hauteur de construction sur la rue Malar inférieure d'au moins trois mètres à la hauteur de la construction existante sur l'unité foncière considérée. Par suite, les dispositions du point 6 de l'article III-C-1 du règlement du plan de prévention des risques d'inondation de Paris n'ont pas été méconnues, la construction projetée répondant à l'exception à la règle prévue en zone bleue par ces dispositions.

9. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur la méconnaissance des dispositions du point 6 de l'article III-C-1 du règlement du plan de prévention des risques d'inondation de Paris pour annuler l'arrêté du 14 mars 2018, implicitement confirmé sur recours gracieux, par lequel la maire de Paris a accordé un permis de construire à la société La Tulipe.

10. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A....

En ce qui concerne les moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Paris :

11. En premier lieu, aux termes de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme : " Le projet architectural comprend une notice précisant : / 1° L'état initial du terrain et de ses abords indiquant, s'il y a lieu, les constructions, la végétation et les éléments paysagers existants ; / 2° Les partis retenus pour assurer l'insertion du projet dans son environnement et la prise en compte des paysages, faisant apparaître, en fonction des caractéristiques du projet : / a) L'aménagement du terrain, en indiquant ce qui est modifié ou supprimé ; / b) L'implantation, l'organisation, la composition et le volume des constructions nouvelles, notamment par rapport aux constructions ou paysages avoisinants ; / c) Le traitement des constructions, clôtures, végétations ou aménagements situés en limite de terrain ; / d) Les matériaux et les couleurs des constructions ; / e) Le traitement des espaces libres, notamment les plantations à conserver ou à créer ; / f) L'organisation et l'aménagement des accès au terrain, aux constructions et aux aires de stationnement. ". La circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

12. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, la notice jointe au dossier de demande de permis de construire précise que " cette surélévation permettra de transformer l'hôtel existant de 21 chambres en un nouvel hôtel de 23 chambres dont deux chambres PMR (...). Un accès habitation sera réalisé au rez-de-chaussée afin de desservir deux logements (un à R+2 et un à R+3) ainsi qu'un logement de fonction situé à R.+4. Ces logements seront desservis par un escalier et un ascenseur indépendants de l'escalier et l'ascenseur de l'hôtel. ". Par suite, la branche du moyen tirée de ce que les dispositions précitées de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme auraient été méconnues en ce que le projet vise en réalité à créer trois appartements à destination d'habitation, sans que cela ne soit explicitement indiqué, manque en fait. D'autre part, il ressort de l'additif à la notice PC.4 jointe au dossier de demande de permis de construire que le nivellement et l'accessibilité du bâtiment y sont décrits ; la notice détaille également, d'une part, l'accès à l'hôtel et, d'autre part, l'accès aux logements. Au demeurant, ni les dispositions précitées de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme, ni celles du plan de prévention des risques d'inondation de Paris ne font obligation de joindre à une demande de permis de construire une notice de sécurité traitant des modalités d'évacuation des personnes en cas d'inondation. Enfin, la notice, ses additifs ainsi que les autres pièces du dossier de demande de permis de construire permettent de justifier des partis retenus dans le choix des matériaux de construction et leurs teintes ; ainsi " les façades seront traitées de couleur en harmonie avec celles des immeubles environnants, enduit ton pierre (...) Les garde-corps des fenêtres sont traités de façon classique et noir. Les garde-corps des terrasses sur cour, non visibles de la rue, seront noirs et de facture contemporaine. ", " les menuiseries de fenêtres en aluminium thermolaqué satiné gris anthracite (...) Les portes d'accès, porte de l'hôtel à rez-de-chaussée, porte de l'entrée habitation, ainsi que les portes coulissantes d'accès à la terrasse habitation à R+4 seront en aluminium thermo laqué gris anthracite. (...) Au rez-de-chaussée sur cour, véranda en aluminium thermo laqué gris anthracite (...) Sur la terrasse R+5, il sera réalisé une structure légère couvrant les deux escaliers et les deux cages d'ascenseurs (aucune machinerie en partie haute, commande hydraulique). Cette structure sera constituée d'une partie pleine couverte partiellement en zinc et d'une partie pergola constituée de poutres en aluminium thermo laqué gris anthracite RAL 7005. " (...) " Façades rez-de-chaussée (...) La partie hôtel sera traitée en façade commerce s'harmonisant avec le commerce actuel du 31 rue Malar et d'autres commerces situés dans cette rue. Panneaux de bois peints ton gris bleu pastel RAL 7001 ". Par suite, le moyen, en ses trois branches, tiré de ce que les dispositions de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme auraient été méconnues manque en fait.

13. En deuxième lieu, aux termes de l'article III-C-4 du plan de prévention des risques d'inondation de la Ville de Paris : " 4. Dispositions spécifiques aux constructions neuves en zone bleue. / Les niveaux situés en dessous de la cote des PHEC [plus hautes eaux connues] excluent tout logement. / Les techniques de construction et les matériaux employés doivent garantir une pérennité structurelle des bâtiments malgré une immersion prolongée de plusieurs jours ; à titre informatif, la crue de 1910 a duré 40 jours. / Les bâtiments doivent, à chaque fois que possible, prévoir un accès donnant sur une voirie qui permette de rejoindre les zones non inondées par des voiries submergées par moins d'un mètre d'eau. ".

14. Dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que le projet autorisé consiste en des travaux de surélévation d'un bâtiment existant, il n'est pas soumis aux dispositions précitées de l'article III-C-4 du plan de prévention des risques d'inondation de Paris, qui ne concernent que les constructions neuves, et dont la méconnaissance ne peut ainsi être utilement invoquée. Au surplus, d'une part, les trois logements créés le seront aux niveaux R+2, R+3 et R+4, soit à une cote, respectivement, de 37.22 NGP pour le R+2, de 39.88 NGP pour le R+3 et de 42.54 NGP pour le R+4, alors que la cote des plus hautes eaux connues dans la zone des travaux projetés est de 33 mètres et, d'autre part, il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport de la SOCOTEC, que les matériaux de constructions utilisés pour la surélévation de l'immeuble seraient pérennes malgré une immersion exceptionnelle de plusieurs jours.

15. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ".

16. Comme il a été dit ci-dessus, les dispositions de l'article III-C-4 du plan de prévention des risques d'inondation de la Ville de Paris ne s'appliquent pas en l'espèce et, au surplus, les logements projetés par le permis de construire litigieux se situent tous à une cote plus élevée que la cote des plus hautes eaux connues dans cette zone et la pérennité des matériaux de construction est garantie. La seule circonstance qu'un accès habitation, indépendant de celui de l'hôtel, destiné à la desserte des trois logements créés, sera réalisé au rez-de-chaussée, soit à un niveau inférieur à la cote des plus hautes eaux connues, ne saurait faire regarder la surélévation projetée comme méconnaissant les dispositions précitées de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, dont Mme A... n'est ainsi pas fondée à soutenir qu'elles auraient été méconnues.

17. En quatrième lieu, aux termes de l'article III-C-5 du règlement du plan de prévention des risques d'inondation de la Ville de Paris : " 5 - Dispositions spécifiques en zone bleu sombre. / Ne peuvent plus être autorisés parmi les établissements relevant de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement que / 1. les extensions d'établissements existants à la date d'approbation du présent plan, 2. les établissements non soumis à autorisation, 3. les établissements soumis à autorisation et relevant des rubriques de la nomenclature visée à l'article V du présent règlement. / Ces établissements doivent prendre toutes les dispositions utiles pour supporter une submersion prolongée et pour garantir l'absence de dommages portés à l'environnement pendant cette submersion. Ces dispositions doivent être détaillées avec précision dans le dossier de demande d'autorisation ou de déclaration établi au titre de la législation sur les ICPE. / Le changement de destination de locaux ayant leur plancher en dessous de la cote des PHEC ne peut s'effectuer au profit de logements. ".

18. D'une part, la construction projetée ne portant pas sur un établissement classé pour la protection de l'environnement, Mme A... ne peut utilement soutenir qu'elle méconnaitrait les dispositions précitées de l'article III-C-5 du règlement du plan de prévention des risques d'inondation de la Ville de Paris, hormis pour ce qui concerne la dernière phrase qui ne se rapporte pas aux établissements classés pour la protection de l'environnement. D'autre part, si, comme il a été dit, la construction projetée porte notamment sur la création de trois logements et consiste ainsi, pour une part, en un changement de destination d'hôtel à habitation, la circonstance que l'accès, indépendant de celui de l'hôtel, à ces trois logements sera réalisé au rez-de-chaussée, soit à un niveau inférieur à la cote des plus hautes eaux connues (33 mètres dans la zone des travaux projetés) ne méconnaît pas les dispositions de la dernière phrase précitée de l'article III-C-5 du règlement du plan de prévention des risques d'inondation de la Ville de Paris dès lors que les trois logements eux-mêmes seront, comme il a été dit précédemment, aux niveaux R+2, R+3 et R+4, soit à une cote, respectivement, de 37.22 NGP pour le R+2, de 39.88 NGP pour le R+3 et de 42.54 NGP pour le R+4, c'est-à-dire à une cote supérieure à celle des plus hautes eaux connues dans la zone.

En ce qui concerne les deux moyens soulevés par Mme A... devant la Cour dans son mémoire en défense enregistré le 6 septembre 2024 au greffe de la Cour :

19. Aux termes de l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme : " Par dérogation à l'article R. 611-7-1 du code de justice administrative, et sans préjudice de l'application de l'article R. 613-1 du même code, lorsque la juridiction est saisie d'une requête relative à une décision d'occupation ou d'utilisation du sol régie par le présent code, ou d'une demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant une telle décision, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Cette communication s'effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article R. 611-3 du code de justice administrative. / Lorsqu'un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation est contesté dans les conditions prévues à l'article L. 600-5-2, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux à son encontre passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense le concernant. / Le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu'il désigne à cet effet, peut, à tout moment, fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l'affaire le justifie. / Le présent article n'est pas applicable aux décisions contestées par le pétitionnaire. ".

20. Dès lors que le premier mémoire en défense, dans l'instance n° 21PA00838, a été produit le 25 mai 2022 et communiqué aux parties le jour même et que le premier mémoire en défense, dans l'instance n° 21PA00840, a été produit le 24 mai 2022 et communiqué aux parties le lendemain 25 mai 2022, les parties ne pouvaient plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter du 25 mai 2022, sans qu'ait d'incidence, dans le calcul de ce délai, la circonstance que, par une décision n° 467058 du 11 juillet 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé le premier arrêt du 28 juin 2022 de la Cour et lui a renvoyé l'affaire, d'autres mémoires étant ultérieurement produits. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance par le permis de construire litigieux des dispositions des articles UG7 et UG11 du plan local d'urbanisme de la Ville de Paris, invoquée par Mme A... dans son mémoire en défense enregistré le 6 septembre 2024 au greffe de la Cour, sont irrecevables.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la Ville de Paris et la société La Tulipe sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 18 décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 14 mars 2018, implicitement confirmé sur recours gracieux, par lequel la maire de Paris a accordé un permis de construire à la société La Tulipe.

Sur les frais de l'instance :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme A..., qui succombe dans la présente instance, en puissent invoquer le bénéfice. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à sa charge le versement d'une somme de 1 000 euros à la Ville de Paris et de 1 000 euros à la société La Tulipe, respectivement, sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 18 décembre 2020 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.

Article 3 : Mme A... versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, d'une part une somme de 1 000 euros à la Ville de Paris et d'autre part une somme de 1 000 euros à la société La Tulipe.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société La Tulipe, à la Ville de Paris et à Mme B... A....

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- M. Stéphane Diémert, président-assesseur,

- M. Emmanuel Laforêt, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 février 2025.

Le président-rapporteur,

I. LUBEN

L'assesseur le plus ancien,

S. DIEMERT La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au préfet de Paris, préfet de la région Ile-de-France, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 23PA03066, 23PA03067


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03066
Date de la décision : 07/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: M. GOBEILL
Avocat(s) : INGELAERE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-07;23pa03066 ?
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