Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler le tableau d'avancement à la classe exceptionnelle du grade de secrétaire administratif au titre de l'année 2022 publié le 18 février 2022, ainsi que les décisions individuelles de nomination des agents, d'ordonner sa nomination à la classe exceptionnelle du grade de secrétaire administratif avec une prise d'effet, au plus tard, au 1er janvier 2022, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et d'ordonner la reconstitution de sa carrière ainsi que la régularisation de son régime indiciaire et indemnitaire, dans le délai d'un mois à compter de la publication du tableau d'avancement à intervenir.
Par un jugement n° 2208036/5-1 du 7 juillet 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 25 août 2023, Mme B..., représentée par Me Gény, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 juillet 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, le tableau d'avancement à la classe exceptionnelle du grade de secrétaire administratif au titre de l'année 2022 ;
3°) d'annuler les décisions individuelles de nomination des agents ;
4°) d'ordonner sa nomination à la classe exceptionnelle du grade de secrétaire administratif avec une prise d'effet, au plus tard, au 1er janvier 2022, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) d'ordonner la reconstitution de sa carrière et la régularisation de son régime indiciaire et indemnitaire dans le délai d'un mois à compter de la publication du tableau d'avancement à intervenir ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce que le tribunal, au regard de sa requête, ne pouvait estimer qu'elle n'avait pas contesté les arrêtés individuels de nomination de l'ensemble des agents ; elle justifie par ailleurs qu'elle ne pouvait produire ces décisions, ses démarches auprès de l'administration étant demeurées vaines au sens de l'article R. 412-1 du code de justice administrative ;
- les premiers juges, qui n'ont pas mis en œuvre leurs pouvoirs d'instruction en ordonnant à l'administration de produire les documents nécessaires à la solution du litige, ont commis une erreur de droit en n'analysant pas sa demande et sa situation conformément aux lignes directrices de gestion, non visées dans la motivation, et ont commis des erreurs de fait et de droit dans le cadre du contrôle restreint qu'ils devaient exercer dans l'analyse comparée de ses mérites avec ceux des agents candidats au même grade, notamment avec ceux de Mme A...* au regard de la manière de servir, de la capacité respective des agents à exercer des fonctions et des responsabilités correspondant au grade auquel ils sont proposés, des missions dévolues, des compétences professionnelles que lui ont reconnu ses supérieurs hiérarchiques durant 39 ans de service, au vu des multiples tâches confiées ;
- c'est également à tort qu'ils ont estimé que la décision contestée n'était pas entachée de discrimination ;
- après mise en œuvre par la cour de ses pouvoirs d'instruction lui permettant d'analyser les mérites comparés des agents, les moyens tirés de l'erreur de fait, de droit et de l'erreur manifeste d'appréciation, de la méconnaissance du principe d'égalité entre agents placés dans la même situation, ainsi que le moyen tiré du caractère discriminatoire de son absence d'inscription en raison de sa maladie, devront être accueillis.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2024, le ministre de l'intérieur, représenté par Me Dubois, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 625 euros soit mis à la charge de Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que le jugement est régulier et que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983,
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 94-1016 du 18 novembre 1994 fixant les dispositions statutaires communes applicables à divers corps de fonctionnaires de la catégorie B ;
- le décret n° 2010-302 du 19 mars 2010 ;
- le décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jayer,
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Edery substituant Me Gény, pour Mme B....
Une note en délibéré a été enregistrée le 31 janvier 2025 pour le ministre de l'intérieur.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., entrée dans l'administration le 1er janvier 1983, a accédé aux grades de secrétaire administratif de la police nationale, de secrétaire administratif de classe normale et, enfin, de secrétaire administratif de classe supérieure à compter du 1er juillet 2007. Affectée à partir du 3 juin 1985 au sein de l'école nationale supérieure de police (ENSP) de Cannes-Ecluse, elle y a exercé, à compter de 2012, les fonctions de chargée de mission auprès du chef de site. Par un arrêté publié le 18 février 2022, le ministre de l'intérieur a établi le tableau d'avancement au grade de secrétaire administratif de classe exceptionnelle (SACE) pour l'année 2022, sans qu'elle y figure. Mme B... relève appel du jugement du 7 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ce tableau et à celle des décisions individuelles, consécutives, de nomination des agents y figurant.
Sur la recevabilité des conclusions à fin d'annulation des décisions individuelles de nomination des agents inscrits au tableau d'avancement :
2. Aux termes de l'article R. 412-1 du code de justice administrative : " La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de l'acte attaqué ou, dans le cas mentionné à l'article R. 421-2, de la pièce justifiant de la date de dépôt de la réclamation. (...) ".
3. En application de ces dispositions, la requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de la décision ou de l'acte attaqué. Dans le cas où, à la suite d'une fin de non-recevoir opposée par le défendeur ou, à défaut, d'une invitation à régulariser qu'il appartient alors au tribunal administratif de lui adresser, la ou les pièces requises n'ont pas été produites, la requête doit être rejetée comme irrecevable, n'est pas régularisable en appel, hors le cas où le juge d'appel annulerait le jugement et statuerait sur la demande de première instance par la voie de l'évocation.
4. Au cas d'espèce, il ressort des pièces du dossier que, devant le tribunal, le ministre de l'intérieur a opposé à la demande de Mme B... une fin de non-recevoir tirée du défaut de production des décisions individuelles contestées. Ce mémoire a été régulièrement communiqué à la requérante, mis à sa disposition dans l'application Télérecours le 21 septembre 2022 et il en a été accusé réception le jour même. En réponse, Mme B... s'est toutefois bornée à répliquer au fond, sans répondre à la fin de non-recevoir opposée et sans produire les pièces datées des 22 février, 15 mars et 25 avril 2022 dont elle disposait alors et dont elle se prévaut désormais, pour justifier des démarches effectuées auprès de l'administration afin d'obtenir la communication des décisions individuelles des agents promus. La requérante ne pouvant, en tout état de cause, se prévaloir de pièces communiquées dans le cadre d'une procédure, distincte, de référé, les premiers juges pouvaient ainsi, pour ce seul motif, écarter comme irrecevables les conclusions de la requête dont ils étaient saisis, dirigées contre les décisions individuelles de nomination des agents inscrits au tableau d'avancement litigieux.
Sur les conclusions à fin d'annulation du tableau d'avancement :
5. D'une part, aux termes de l'article 58 de la loi susvisée du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa version en vigueur du 8 août 2019 au 1er mars 2022 : " L'avancement de grade a lieu de façon continue d'un grade au grade immédiatement supérieur. Il peut être dérogé à cette règle dans les cas où l'avancement est subordonné à une sélection professionnelle. (...) / Sauf pour les emplois laissés à la décision du Gouvernement, l'avancement de grade a lieu, selon les proportions définies par les statuts particuliers, suivant l'une ou plusieurs des modalités ci-après : 1° Soit au choix, par voie d'inscription à un tableau annuel d'avancement, établi par appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l'expérience professionnelle des agents. Sans renoncer à son pouvoir d'appréciation, l'autorité chargée d'établir le tableau annuel d'avancement tient compte des lignes directrices de gestion prévues à l'article 18 ; (...) Les promotions doivent avoir lieu dans l'ordre du tableau ou de la liste de classement. ". Aux termes de l'article 18 de la même loi : " L'autorité compétente édicte des lignes directrices de gestion, après avis du comité social d'administration. Les lignes directrices de gestion déterminent la stratégie pluriannuelle de pilotage des ressources humaines dans chaque administration et établissement public, notamment en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Les lignes directrices de gestion fixent, d'une part, dans chaque administration, les orientations générales en matière de mobilité et, d'autre part, dans chaque administration et établissement public, les orientations générales en matière de promotion et de valorisation des parcours, sans préjudice du pouvoir d'appréciation de cette autorité en fonction des situations individuelles, des circonstances ou d'un motif d'intérêt général. Les lignes directrices de gestion en matière de mobilité respectent les priorités énumérées au II de l'article 60. Ces deux catégories de lignes directrices de gestion sont communiquées aux agents. ". Aux termes de l'article 12 du décret du 28 juillet 2010 relatif aux conditions générales de l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l'Etat : " Le tableau d'avancement prévu à l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée est préparé, chaque année, par l'administration en tenant compte notamment : / 1° Des comptes rendus d'entretiens professionnels ou des notations pour les agents soumis au régime de la notation ; / 2° Des propositions motivées formulées par les chefs de service, notamment au regard des acquis de l'expérience professionnelle des agents au cours de leur carrière ; / 3° Pour les périodes antérieures à l'entrée en vigueur du présent décret, des comptes rendus d'entretien professionnel ou des notations et, pour les agents qui y étaient soumis, des évaluations retracées par les comptes rendus de l'entretien d'évaluation ".
6. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 19 mars 2010 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux corps des secrétaires administratifs des administrations de l'Etat et à certains corps analogues relevant du décret n° 2009-1388 du 11 novembre 2009 portant dispositions statutaires communes à divers corps de fonctionnaires de la catégorie B de la fonction publique de l'Etat : " Les corps de secrétaires administratifs et corps analogues, inscrits en annexe au présent décret, sont classés dans la catégorie B prévue à l'article 29 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée. / Ils sont régis par les dispositions du décret du 11 novembre 2009 susvisé et par celles du présent décret. ". L'article 2 du même décret prévoit que le corps des secrétaires administratifs comprend les grades de secrétaire administratif de classe normale, de classe supérieure et de classe exceptionnelle. Aux termes de l'article 11 du décret du 18 novembre 1994 fixant les dispositions statutaires communes applicables à divers corps de fonctionnaires de catégorie B : " II. - Peuvent être promus à la classe exceptionnelle ou au grade assimilé : (...) b) Au choix, les fonctionnaires de classe supérieure ou du grade assimilé ayant atteint le 4e échelon de leur grade ".
7. Le juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un recours tendant à l'annulation d'une décision portant inscription au tableau d'avancement et nomination dans un grade supérieur ne peut se borner, dans le cadre de son contrôle restreint, à apprécier la valeur professionnelle d'un candidat écarté, et doit analyser les mérites comparés de cet agent et de ceux des autres agents candidats à ce même grade.
8. Il en résulte que, si pour l'établissement d'un tableau d'avancement, l'autorité administrative dispose d'un large pouvoir d'appréciation compte tenu de la diversité des compétences à évaluer, de considérations tenant à l'équilibre entre les différents profils pouvant répondre aux besoins de l'institution, ainsi que de la sélection à opérer entre les nombreux candidats, celle-ci doit toutefois mettre à même le juge d'exercer son office s'agissant de l'appréciation des mérites comparés des agents candidats au grade revendiqué. En l'espèce, alors même que la requérante se prévaut et justifie d'éléments circonstanciés de nature à laisser présumer que sa candidature était d'un niveau égal à celui de candidats retenus, en réponse à la demande faite par la Cour le 22 octobre 2024 de produire le tableau comparatif préparatoire des mérites respectifs des candidats et le procès-verbal de réunion de la CAP consultée en vue de l'établissement du tableau d'avancement litigieux, l'administration n'a pas communiqué les pièces dont elle était en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction mais s'est bornée à produire, outre une liste établie de façon alphabétique, des pièces relatives à la seule situation de Mme A...*. Dans ces circonstances, faute pour l'administration d'avoir mis la Cour en mesure d'exercer son office, Mme B... est fondée à soutenir que la décision du 18 février 2022 du ministre de l'intérieur est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation du tableau d'avancement au grade de secrétaire administratif de classe exceptionnelle (SACE) pour l'année 2022.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. L'annulation par le présent arrêt de la décision du ministre de l'intérieur portant tableau d'avancement à la classe exceptionnelle du grade de secrétaire administratif au titre de l'année 2022 sur lequel ne figure pas le nom de Mme B..., n'implique pas nécessairement qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de procéder à la nomination de cette dernière à la classe exceptionnelle du grade de secrétaire administratif et à la reconstitution consécutive de sa carrière ainsi qu'à la régularisation de son régime indiciaire et indemnitaire, dès lors que celle-ci ne peut se prévaloir d'un droit à être nommée à un grade supérieur ou d'être inscrite sur un tableau d'avancement. En revanche, il implique, conformément aux dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, que le ministre de l'intérieur réexamine la candidature de Mme B... dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de Mme B..., qui n'est pas la partie principalement perdante à la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par le ministre de l'intérieur.
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté du 18 février 2022 du ministre de l'intérieur portant tableau d'avancement au grade de secrétaire administratif de classe exceptionnelle (SACE) pour l'année 2022 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la situation de Mme B... en vue de son inscription au grade de secrétaire administratif de classe exceptionnelle (SACE) pour l'année 2022 dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le jugement n°2208036/5-1 du 7 juillet 2023 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à Mme C... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Bonifacj, présidente de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Jayer, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 février 2024.
La rapporteure,
M-D. JAYERLa présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA03833