Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... A... a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à titre principal à l'annulation de l'arrêté du 21 juin 2023 par lequel le préfet de police l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2316623/1-1 du 20 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 20 février 2024, 29 mars 2024 et 25 novembre 2024, Mme A..., représentée par Me Ka, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 septembre 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté mentionné ci-dessus du 21 juin 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard , à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de 10 jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Ka au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier car le premier juge n'a pas répondu aux moyens dirigés contre la décision fixant le pays de destination ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît son droit d'être entendue ;
- elle n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 6 § 2 de la directive retour du fait de la protection obtenue en Grèce ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant à trente jours le délai de départ volontaire qui lui a été accordé méconnaît son droit d'être entendue ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle
- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu des risques encourus dans son pays d'origine, alors que de ce fait elle a obtenu la protection internationale de la Grèce.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme A... sont infondés.
Par une décision du 3 janvier 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle totale à Mme A....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pagès a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante somalienne, née le 1er janvier 1985, a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 21 juin 2023 par lequel le préfet de police l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière. Par un jugement du 20 septembre 2023, dont Mme A... relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Dans sa requête introductive de première instance Mme A... soulevait à l'encontre de chacune des décision faisant objet de l'arrêté du préfet de police du 21 juin 2023, dont la décision fixant le pays de destination, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation, du défaut examen de sa situation personnelle, de la méconnaissance du principe du droit d'être entendu, de l'erreur manifeste d'appréciation et de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Or le premier juge n'a pas répondu à ces moyens dirigés contre la décision fixant le pays de destination. La requérante est donc fondée à soutenir que le jugement est irrégulier en tant qu'il a statué sur les conclusions à fin d'annulation de cette dernière décision et doit être annulé dans cette mesure.
3. Il y a donc lieu pour la Cour de statuer par la voie de l'évocation partielle s'agissant de ces dernières conclusions et par la voie de l'effet dévolutif de l'appel s'agissant des autres conclusions à fin d'annulation.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le délai de départ volontaire à 30 jours :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
4. En premier lieu, il ressort des termes de la décision attaquée que celle-ci comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté.
5. En deuxième lieu, le droit d'être entendu préalablement à toute décision qui affecte sensiblement et défavorablement les intérêts de son destinataire constitue l'une des composantes du droit de la défense, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne ayant la même valeur que les traités. Il garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative, afin que l'autorité compétente soit mise à même de tenir compte de l'ensemble des éléments pertinents pour fonder sa décision. Ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation, pour l'administration, d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales. Enfin, une atteinte à ce droit n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle la décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, ce qu'il lui revient, le cas échéant, d'établir devant la juridiction saisie. En l'espèce, la requérante ne précise pas en quoi elle disposait d'informations pertinentes tenant à sa situation personnelle qu'elle aurait été empêchée de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit pris l'arrêté attaqué et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à la décision portant obligation de quitter le territoire français. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du droit d'être entendu doit être écarté.
6. En troisième lieu, il ne ressort pas des termes de l'arrêté attaqué que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de la requérante.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° (...) ".
8. Pour prendre la décision attaquée, le préfet de police a relevé que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté la demande de protection internationale de l'intéressée le 29 avril 2022 et que ce rejet a été confirmé par la Cour nationale du droit d'asile le 17 mars 2023. Dans ces conditions, c'est par une exacte application des dispositions précitées du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le préfet de police a tiré les conséquences de ces décisions et obligé Mme A... à quitter le territoire français. Par ailleurs, il n'est pas établi que Mme A... aurait sollicité une réadmission en Grèce, pays qui lui a accordé la protection subsidiaire le 2 décembre 2020.Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 6 § 2 de la " directive retour " doit également être écarté.
9. En dernier lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Le moyen doit donc être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant à trente jours le délai de départ volontaire :
10. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux précédemment énoncés au point 5, le moyen tiré de la méconnaissance du droit de la requérante d'être entendue doit être écarté.
11. En second lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision attaquée sur la situation personnelle de l'intéressée en retenant ce délai de départ volontaire qui est le délai de droit commun. Par suite, ce moyen doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le délai de départ volontaire.
Sur l'évocation partielle en ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de la décision fixant le pays de destination :
13. En premier lieu, la décision litigieuse énonce les motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement. Le moyen tiré de l'insuffisance de sa motivation doit donc être écarté.
14. En deuxième lieu, les moyens tirés du défaut d'examen personnel de sa situation, de la méconnaissance du droit d'être entendu et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés comme dépourvus des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.
15. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
16. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'ordonnance de la Cour nationale du droit d'asile du 9 mars 2023, que Mme A..., eu égard aux risques de traitements, contraires à l'article 3 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en cas de retour en Somalie, s'est vu accorder la protection subsidiaire en Grèce le 2 décembre 2020 et sur ce fondement s'est vu remettre un titre de séjour valable du 2 décembre 2000 au 1er décembre 2021 ainsi que des documents de voyage valides jusqu'au 17 octobre 2024. Dès lors, la requérante est fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination est entachée d'illégalité en tant qu'elle concerne la Somalie et doit, pour ce motif et dans cette mesure, être annulée.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
17. Le présent arrêt, qui annule seulement l'arrêté du 21 juin 2023 du préfet de police en tant qu'il fixe la Somalie comme pays de renvoi de Mme A..., n'implique aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions susvisées doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
18. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Ka avocat de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Ka de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2316623/1-1 du 20 septembre 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision fixant le pays de renvoi de Mme A....
Article 2 : L'arrêté du 21 juin 2023 du préfet de police est annulé en tant qu'il fixe la Somalie comme pays de renvoi de Mme A....
Article 3 : L'Etat versera à Me Ka une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Ka renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
- Mme Bonifacj, présidente de chambre,
- M. Niollet, président assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 février 2025.
Le rapporteur,
D. PAGES La présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°24PA00846