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12/02/2025 | FRANCE | N°24PA02379

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 12 février 2025, 24PA02379


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 22 janvier 2024 par lequel le préfet de police a procédé au retrait de sa carte de séjour pluriannuelle, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.



Par un jugement n° 2403553/8 du 30 avril 2024

, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



P...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 22 janvier 2024 par lequel le préfet de police a procédé au retrait de sa carte de séjour pluriannuelle, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2403553/8 du 30 avril 2024, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 30 mai 2024, M. A..., représenté par Me Boudjellal, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Paris du 30 avril 2024 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du préfet de police du 22 janvier 2024, mentionné ci-dessus ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de police de lui restituer son titre de séjour ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé, et n'a pas été précédé d'un examen sérieux de sa situation ;

- il repose sur une erreur manifeste d'appréciation ;

- il a été pris en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;

- l'arrêté est intervenu au terme d'une procédure irrégulière, le préfet de police n'apportant pas la preuve de ce que l'agent ayant consulté les fichiers de police et son casier judiciaire était habilité à le faire, ne justifiant pas avoir saisi les services de la police nationale ou les unités de la gendarmerie nationale compétents pour complément d'information, et ne justifiant pas davantage avoir saisi le procureur de la République sur les suites judiciaires des faits en cause, ainsi que l'article R. 40-29 du code de procédure pénale l'exigeait ; le tribunal administratif n'a pas répondu à ce moyen ;

- les décisions refusant un délai de départ volontaire et portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, reposent sur une erreur manifeste d'appréciation ;

- elles ont été prises en méconnaissance de l'autorité de la chose jugée par le juge judiciaire alors qu'il a fait l'objet d'une ordonnance d'aménagement de peine ; le jugement attaqué n'a pas répondu à ce moyen ;

- les décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français ont été prises en méconnaissance de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable en l'espèce ; le jugement attaqué n'a pas répondu à ce moyen.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête doivent être rejetés par adoption des motifs retenus par les premiers juges, et se réfère à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de procédure pénale ;

- l'ordonnance n°2020-1733 du 16 décembre 2020 ;

- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,

- et les observations de Me Boudjellal, pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 5 décembre 2023, le préfet de police a informé M. A..., ressortissant tunisien né le 4 juin 2000 à Tunis, entré en France le 1er janvier 2004 selon ses déclarations, de son intention de lui retirer sa carte de séjour pluriannuelle, valable du 4 mars 2020 au 3 mars 2024. Par un arrêté du 22 janvier 2024, le préfet de police a procédé au retrait, a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. M. A... fait appel du jugement du 30 avril 2024, par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort du mémoire complémentaire présenté par M. A... devant le tribunal administratif le 2 avril 2024 à 11h55, avant la clôture fixée le jour même à midi, que M. A... a entendu faire valoir un nouveau moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, selon lui applicable en l'espèce. Or, le tribunal n'a pas répondu à ce moyen et ne l'a pas visé. Son jugement doit donc être annulé.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris :

En ce qui concerne le retrait du titre de séjour :

4. En premier lieu, l'arrêté attaqué vise notamment l'article L. 432-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et comporte l'exposé de l'ensemble des circonstances de fait au vu desquelles il a été pris. Ainsi, il est suffisamment motivé en ce qu'il porte retrait du titre de séjour de M. A....

5. En deuxième lieu, il ne ressort pas de la motivation de l'arrêté attaqué et des autres pièces du dossier que le préfet de police ne se serait pas livré à un examen complet de la situation de M. A....

6. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale : " I. - Dans le cadre des enquêtes prévues à l'article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, (...) les données à caractère personnel figurant dans le traitement qui se rapportent à des procédures judiciaires en cours ou closes, à l'exception des cas où sont intervenues des mesures ou décisions de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenues définitives, ainsi que des données relatives aux victimes, peuvent être consultées, sans autorisation du ministère public, par : 1° Les personnels de la police et de la gendarmerie habilités selon les modalités prévues au 1° et au 2° du I de l'article R. 40-28 ; / (...) / 5° Les personnels investis de missions de police administrative individuellement désignés et spécialement habilités par le représentant de l'Etat. L'habilitation précise limitativement les motifs qui peuvent justifier pour chaque personne les consultations autorisées. Lorsque la consultation révèle que l'identité de la personne concernée a été enregistrée dans le traitement en tant que mise en cause, l'enquête administrative ne peut aboutir à un avis ou une décision défavorables sans la saisine préalable, pour complément d'information, des services de la police nationale ou des unités de la gendarmerie nationale compétents et, aux fins de demandes d'information sur les suites judiciaires, du ou des procureurs de la République compétents. Le procureur de la République adresse aux autorités gestionnaires du traitement un relevé des suites judiciaires devant figurer dans le traitement d'antécédents judiciaires et relatif à la personne concernée. Il indique à l'autorité de police administrative à l'origine de la demande si ces données sont accessibles en application de l'article 230-8 du présent code (...) ".

7. Dès lors que les dispositions citées ci-dessus prévoient la possibilité que certains traitements automatisés de données à caractère personnel soient consultés au cours de l'enquête conduite par l'administration dans le cadre de ses pouvoirs de police, préalablement aux décisions portant refus de titre de séjour, la circonstance que l'agent ayant procédé à cette consultation n'aurait pas été, en application des dispositions également citées ci-dessus du code de procédure pénale, individuellement désigné et régulièrement habilité à cette fin, si elle est susceptible de donner lieu aux procédures de contrôle de l'accès à ces traitements, n'est pas, par elle-même, de nature à entacher d'irrégularité la décision prise. Il en va de même de l'absence d'information par le procureur de la République sur les suites judiciaires.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 110-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit : " Le présent code régit, sous réserves (..) des conventions internationales, l'entrée, et le séjour l'éloignement des étrangers en France (...) ". Aux termes de l'article 11 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord. / Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent Accord, dans les conditions prévues par sa législation. " Enfin, aux termes de l'article L. 432-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour (...) pluriannuelle peut, par une décision motivée, être retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public. "

9. D'une part, aucune des stipulations de l'accord franco-tunisien ne traitant du retrait de la carte de séjour pluriannuelle délivrée à un ressortissant tunisien, le préfet de police pouvait légalement se fonder sur l'article L. 432-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour procéder au retrait du titre de séjour délivré à M. A..., en raison de la menace que sa présence en France constituait pour l'ordre public.

10. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, et notamment du bulletin B2 du casier judiciaire de M. A..., qu'il a été condamné le 22 mars 2022 par la Chambre des appels correctionnels de Paris, à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis probatoire, pour des faits de proxénétisme aggravé sur mineur de 15 à 18 ans, commis entre le 1er février 2019 et le 31 mars 2019. Il ressort également du procès-verbal d'audition devant le juge d'application des peines du 16 novembre 2022 que M. A... s'est vu imposer une obligation de soins à laquelle il a déclaré ne pas avoir encore satisfait. Compte tenu de ces faits et de leur gravité, le préfet de police n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en estimant qu'à la date de l'arrêté attaqué, la présence de M. A... sur le territoire était constitutive d'une menace pour l'ordre public.

11. En cinquième lieu, M. A... ne peut utilement invoquer les stipulations de l'article 10 de l'accord franco-tunisien relatives à la délivrance de plein droit d'un titre de séjour valable dix ans, qui sont sans rapport avec la légalité de la décision attaquée retirant son titre de séjour.

12. En sixième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

13. M. A..., se prévaut de sa présence continue en France à partir de l'année 2004, établie à partir de l'année 2006 notamment par ses certificats de scolarité, de la présence de ses parents, de son frère et de sa sœur, ainsi que son intégration professionnelle par un contrat d'apprentissage conclu pour la période du 14 novembre 2022 au 15 septembre 2024 en vue de l'obtention d'un brevet de technicien supérieur " négociation et digitalisation de la relation client ". Il ne conteste toutefois pas être célibataire et sans enfant. Dans ces conditions, et compte tenu de la menace que sa présence constitue pour l'ordre public, l'arrêté procédant au retrait de sa carte de séjour pluriannuelle, ne peut être regardé comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts qu'il a poursuivis, en méconnaissance des stipulations citées ci-dessus, ou comme reposant sur une erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour sur le territoire français :

14. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable en l'espèce, antérieure à la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 2°) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans (...) ".

15. M. A... qui invoque l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vigueur jusqu'au 1er mai 2021, repris à compter de cette date à l'article L. 611-3 de ce code, doit être regardé comme invoquant ce dernier article. Or, comme il a été dit ci-dessus, il établit, notamment par ses certificats de scolarité, sa présence continue en France à partir de l'année 2006, soit depuis l'âge de six ans. Il est donc fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai a été prise illégalement, et à en demander l'annulation, de même que, en conséquence, l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.

16. Il résulte de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour sur le territoire français.

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'injonction :

17. Le motif d'annulation retenu ci-dessus implique seulement que le préfet de police ou le préfet territorialement compétent réexamine la situation de M. A.... Il y a lieu de lui enjoindre de procéder à ce réexamen dans un délai de trois mois.

En ce qui concerne les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... d'une somme de 1 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2403553/8 du tribunal administratif de Paris du 30 avril 2024 et l'arrêté du préfet de police du 22 janvier 2024, en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour sur le territoire français, sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de police ou au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de trois mois.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris et des conclusions de sa requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Bonifacj, présidente de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme Jayer, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 février 2025.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLETLa présidente,

J. BONIFACJ

La greffière,

A. LOUNIS

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA02379


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA02379
Date de la décision : 12/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : BOUDJELLAL

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-12;24pa02379 ?
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