Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 9 avril 2024 par lesquels le préfet de police lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et lui a fait interdiction de retour sur le territoire pour une durée de douze mois.
Par un jugement n° 2408222 du 18 juin 2024, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 juillet 2024, le préfet de police demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. B....
Il soutient que :
- il ressort des nouvelles pièces versées en appel que M. B... a bénéficié d'une audition le 9 avril 2024 dans la cadre de sa retenue administrative au cours de laquelle il a pu faire utilement valoir toute observation pertinente ;
- les autres moyens soulevés par M. B... en première instance ne sont pas fondés.
Cette requête a été communiquée à M. B... le 2 août 2024 et la clôture de l'instruction a été fixée au 21 janvier 2025 par ordonnance du 19 décembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Lellig a été entendu au cours de l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant sénégalais né en 1990, a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 9 avril 2024 par lesquels le préfet de police lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et lui a fait interdiction de retour sur le territoire pour une durée de douze mois. Le préfet de police relève appel du jugement du 18 juin 2024 par lequel le tribunal a fait droit à cette demande au motif d'une méconnaissance du droit de M. B... à être entendu préalablement à l'édiction de la mesure d'éloignement dont il a fait l'objet.
Sur le motif d'annulation retenu en première instance :
2. Il ressort des pièces du dossier produites en appel que M. B... a été entendu le 9 avril 2024, avant l'édiction de l'arrêté contesté, dans le cadre d'une audition administrative menée par les services de la préfecture de police. M. B... ne fait par ailleurs valoir aucun élément qu'il n'aurait pas été en mesure de présenter à l'administration à cette occasion et susceptible d'influer sur le sens de cette décision. Par suite, M. B... n'est pas fondé à invoquer la méconnaissance de son droit d'être entendu, lequel relève des droits de la défense qui figurent au nombre des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l'ordre juridique de l'Union européenne et consacrés à l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il s'ensuit que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté litigieux, au motif d'une méconnaissance du droit de M. B... à être entendu.
3. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens de la requête de première instance :
En ce qui concerne les moyens communs aux décisions contestées :
4. En premier lieu, par un arrêté n° 2024-00198 du 16 février 2024 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de Paris du même jour, le préfet de police a donné délégation à Mme A..., signataire des arrêtés attaqués et adjointe au chef de la division des reconduites à la frontière, pour signer tous arrêtés et décisions dans la limite de ses attributions, en cas d'absence ou d'empêchement d'autres délégataires, sans qu'il ne ressorte des pièces du dossier que ces derniers n'auraient pas été absents ou empêchés le 9 avril 2024. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire des arrêtés contestés doit être écarté.
5. En deuxième lieu, les arrêtés en litige comportent les considérations utiles de droit et de fait qui en constituent le fondement. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation manque dès lors en fait et doit être écarté.
6. En troisième lieu, il ne résulte ni des termes des arrêtés contestés, ni des pièces du dossier que le préfet de police n'aurait pas procédé à un examen attentif et sérieux de la situation de M. B..., alors qu'il n'est pas tenu de faire état explicitement de l'ensemble des éléments caractérisant la situation de l'intéressé.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. M. B..., qui déclare être entré en France en 2016, justifie y résider de manière habituelle depuis l'année 2017. Il est marié religieusement à une compatriote en situation irrégulière dont l'accouchement était prévu pour le 23 août 2024 selon les pièces versées au dossier. Il fait également valoir la présence sur le territoire française de son père, titulaire d'une carte de résident, d'une de ses sœurs, titulaire d'un titre de séjour et de quatre
demi-frères de nationalité française. Toutefois, d'une part, M. B... est entré et s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français sans chercher à régulariser sa situation. Il a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement en date du 26 août 2019. D'autre part, M. B... n'établit, ni même n'allègue, être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine, dans lequel il a vécu la majeure partie de sa vie, ni ne pas être mesure d'y reconstituer sa cellule familiale, sa compagne se maintenant également de manière irrégulière sur le territoire français. Par ailleurs, les pièces versées au dossier ne permettent pas de justifier de la nature et de l'intensité des liens que M. B... entretient avec les membres de sa famille présents en France. Dans ces conditions, et malgré les efforts d'intégration professionnelle déployés par M. B..., la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Elle n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :
9. En premier lieu, il résulte de ce qui a été exposé aux points 2 à 8 que M. B... n'est pas fondé à invoquer l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français au soutien de ses conclusions à fin d'annulation de la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 de ce code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, (...) qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale (...) ".
11. Pour considérer que le risque de fuite de M. B... devait être regardé comme établi, le préfet de police s'est fondé sur les dispositions précitées des 1°, 5° et 8° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ainsi qu'il a déjà été exposé, M. B... est entré irrégulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour et a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement. Dans ces conditions, alors même que M. B... présenterait, comme il le soutient, des garanties de représentation suffisantes, le préfet pouvait légalement refuser de lui octroyer un délai de départ volontaire, sans entacher en outre sa décision d'une quelconque erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
12. En premier lieu, il résulte de ce qui a été exposé aux points 2 à 8 que M. B... n'est pas fondé à invoquer l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français au soutien de ses conclusions à fin d'annulation de la décision fixant le pays à destination duquel il pourra être éloigné.
13. En second lieu, en se bornant à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, M. B... ne fait valoir aucun élément susceptible de justifier du bien-fondé de ses allégations, dépourvues de précisions suffisantes.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
14. En premier lieu, il résulte de ce qui a été exposé aux points 2 à 8 que M. B... n'est pas fondé à invoquer l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français au soutien de ses conclusions à fin d'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
15. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
16. D'une part, M. B... fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français qui n'est assortie d'aucun délai de départ volontaire. L'intéressé ne justifie d'aucune circonstance humanitaire faisant obstacle au prononcé d'une décision d'interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, c'est à bon droit que le préfet de police a décidé de prendre à l'encontre de M. B... une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français.
17. D'autre part, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 8, en fixant à douze mois la durée de l'interdiction de retour faite à M. B..., le préfet de police n'a entaché sa décision d'aucune erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé les arrêtés contestés.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2408222 du 18 juin 2024 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 13 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barthez, président de chambre,
- Mme Milon, présidente assesseure,
- Mme Lellig, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 avril 2025.
La rapporteure,
W. LELLIGLe président,
A. BARTHEZ
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA03205 2