Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Enlèvement sur demande (ESD) a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 705 089,38 euros avec intérêts au taux légal sur 4 930 470,75 euros à compter du 31 décembre 2020 et sur 774 618,63 euros à compter du 29 mars 2021, avec capitalisation de ces intérêts et, dans l'hypothèse d'un rejet de sa précédente requête enregistrée sous le n°2002964, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 744 262,75 euros avec intérêts au taux légal à compter du 29 mars 2021 et capitalisation de ces intérêts.
Par un jugement n° 2106609 du 2 novembre 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 4 janvier 2024 et des mémoires complémentaires, enregistrés le 16 décembre 2024 et le 4 mars 2025, la société ESD, représentée par Me Job, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 2 novembre 2023 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 705 089,38 euros portant intérêts au taux légal sur 4 930 470,75 euros à compter du 31 décembre 2020 et sur 774 618,63 euros à compter du 29 mars 2021, avec capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la composition de la chambre du tribunal ayant rendu le jugement attaqué est irrégulière, faute pour son président d'être celui de la chambre concernée ;
- c'est à tort que les premiers juges n'ont pas mis en œuvre leurs pouvoirs d'instruction pour vérifier l'existence d'un préjudice indemnisable ;
- ainsi que l'a jugé le tribunal, la responsabilité contractuelle de l'Etat est engagée à son égard pour méconnaissance du délai maximum de garde fixé par le code de la route et par les stipulations de l'article 22 des conventions de délégations de service public, soit 40 jours ;
- dans l'hypothèse où un droit serait reconnu à l'autorité de fourrière par les contrats de lui imposer, gratuitement et sans limite de temps ni condition, la garde de véhicules confiés, l'article 26 des conventions, qui s'analyse en une clause léonine, entache de nullité ces conventions ; il en va de même des articles 6, 25 et 26 de la convention de renouvellement signée ;
- en dehors du contrat, la responsabilité de l'Etat est également engagée dès lors qu'elle est fondée à percevoir, conformément aux dispositions réglementaires des IV et VI de l'article R. 325-29 du code de la route, une indemnité journalière de garde fixée par l'arrêté interministériel du 14 novembre 2001 fixant les tarifs maxima des frais de fourrière pour automobiles ;
- aucune faute exonératoire de responsabilité ne peut être retenue à son encontre ;
- les fautes contractuelles commises par l'Etat lui ont causé des préjudices consécutifs à la saturation, structurelle et massive sur une longue période, de ses zones de stockage ;
- le préjudice attaché à la garde des véhicules relevant des quatre anciens secteurs jusqu'à l'échéance des conventions, le 17 mai 2019, s'élève en application des tarifs de garde fixés par l'article 26 des conventions correspondantes, à la somme de 4 930 470,75 euros pour les véhicules sortis du parc avant le 18 mai 2019 ;
- celui subi du fait de la garde au-delà d'un délai de 40 jours des véhicules enlevés sur les anciens secteurs 5 et 6 et sur le nouveau secteur 5 placés sous sa garde après le 28 avril 2019 et sortis du parc entre le 27 avril 2019 et le 31 décembre 2020 s'élève à 774 618,63 euros ;
- elle est à tout le moins fondée à obtenir une indemnité correspondant aux dépenses utiles exposées pour assurer la garde des véhicules, en déduisant, au titre du taux de marge, 18,77 % des montants demandés.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 novembre 2024 et le 28 janvier 2025, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions présentées sur le fondement de l'enrichissement sans cause sont irrecevables ;
- sa responsabilité contractuelle n'est pas engagée ;
- la demande d'indemnisation n'est pas fondée.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la route ;
- l'arrêté du 14 novembre 2001 fixant les tarifs maxima des frais de fourrière pour automobiles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jayer,
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,
- les observations de Me Job, pour la société ESD,
- et les observations de Mme A..., pour le ministre de l'intérieur.
Considérant ce qui suit :
1. Par quatre conventions qui ont pris fin le 27 avril 2019, le préfet de la Seine-Saint-Denis a délégué à la société Enlèvement sur demande (ESD) le service public de la fourrière automobile sur quatre secteurs (n°s 5, 6, 8 et 9) du département. Le 26 avril 2019, la société requérante a été désignée attributaire d'une seule concession renouvelée n° 5, correspondant aux anciens secteurs 5 et 6. Par des avenants signés le même jour, les contrats initiaux pour les anciens secteurs 8 et 9 ont toutefois été prolongés jusqu'au 17 mai 2019.
2. Par courriers du 30 décembre 2020 et du 26 mars 2021, la requérante a demandé au préfet de lui verser, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la somme totale de 5 705 089,38 euros au titre des frais de garde des véhicules des anciens secteurs concédés jusqu'au 17 mai 2019 en application des contrats de concession applicables jusqu'au 27 avril 2019, des frais de garde des véhicules des anciens secteurs n° 5 et 6 et du nouveau secteur n° 5 concédé le 26 avril 2019 sortis du parc à compter du 27 avril 2019 et, dans l'hypothèse d'un rejet de sa précédente requête n° 2002964 par le tribunal administratif de Montreuil, d'augmenter la somme allouée de 744 262,75 euros au titre des frais de garde des véhicules enlevés postérieurement au 17 mai 2019 sur les anciens secteurs n° 8 et 9. La société ESD relève appel du jugement n° 2106609 du 2 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat à lui verser la somme sollicitée.
Sur la régularité du jugement :
3. Aux termes de l'article R. 222-17 du code de justice administrative : " Les chambres mentionnées aux articles R. 221-4 et R. 221-6 sont présidées soit par le président, soit par un vice-président du tribunal (...) / En cas d'absence ou d'empêchement du président de la chambre, celle-ci peut être présidée par un magistrat désigné à cet effet par le président du tribunal et ayant au moins le grade de premier conseiller ".
4. Il ressort de l'examen de la minute que le jugement attaqué a été signé par le président de la formation de jugement, au demeurant vice-président du tribunal administratif de Montreuil. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité entachant la composition de la formation de jugement ne peut qu'être écarté.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne les conclusions présentées au titre des anciens secteurs n°8 et 9, pour les véhicules confiés avant l'échéance des concessions et gardés postérieurement :
5. Par un courrier reçu le 28 novembre 2019 par la préfecture de la Seine-Saint-Denis, la société ESD a demandé le paiement d'une somme de 169 375,65 euros au titre de prestations de garde exécutées après le terme des contrats, de mai à juillet 2019, pour les anciens secteurs n° 8 et 9. Par jugement n° 2002964 du 1er mars 2023, le tribunal administratif de Montreuil a renvoyé la société ESD devant le préfet de la Seine-Saint-Denis pour qu'il soit procédé à la liquidation des indemnités auxquelles celle-ci pouvait prétendre au titre des prestations d'enlèvement, d'expertise et de garde de véhicules exposés jusqu'au 18 mai 2019 s'agissant des concessions non renouvelées pour les anciens secteurs n° 8 et 9 et a rejeté sa demande formée sur le terrain extracontractuel portant sur l'indemnisation de prestations postérieures au terme de ces concessions. L'appel formé par la société ESD dirigé contre ce jugement a été rejeté par un arrêt n° 23PA01796 du 14 mai 2025. Les conclusions présentées aux mêmes fins par la société ESD dans le cadre de la présente instance doivent dès lors être rejetées.
En ce qui concerne le surplus des conclusions indemnitaires :
S'agissant de la responsabilité contractuelle :
6. Aux termes de l'article 18 des conventions de délégations de service public signées par la société requérante et la préfecture de Seine-Saint-Denis : " Après transmission du dossier par l'autorité de police qui a prescrit la mise en fourrière, l'autorité de fourrière constate l'abandon du véhicule à l'expiration d'un délai de 10 jours pour les véhicules classés en catégorie 3 et de 30 jours pour ceux classés en catégorie 1 ou 2, conformément à l'article L. 325-7 du code de la route. / Ce délai commence à courir un jour franc après la date de notification de la mise en fourrière, aux termes de l'article R. 325-32 du code de la route ou à compter du jour où l'impossibilité d'identifier le propriétaire a été constatée (article L. 325-7 du code de la route). La notification intervient le jour de remise du pli recommandé à son destinataire. Lorsque celui-ci n'a pas retiré le pli recommandé, la notification de mise en fourrière est réputée être intervenue à la date de l'avis de passage des services postaux. / L'autorité de fourrière décide de la mise en destruction ou de la vente du véhicule par le service du Domaine de la Direction générale des Finances publiques, aux termes de l'article R. 325-43 du code de la route. ". Aux termes de l'article 22 des mêmes actes : " Sous réserve du respect des obligations prévues à l'article 11 et au deuxième alinéa 14 (...), l'autorité de fourrière s'engage (...) à constater l'abandon des véhicules à l'expiration du délai légal de 10 ou 30 jours, à compter du lendemain de la date de notification de la mise en fourrière opérée par l'autorité qui a prescrit la mise en fourrière ou à compter du jour où l'impossibilité d'identifier le propriétaire a été constatée / ; / - à décider de la destruction du véhicule ou de sa remise au service du Domaine de la Direction générale des finances publiques en vue de son alinéation ; / - à demander à l'autorité chargé "e de la prescription de la mise en fourrière de délivrer les décisions de mainlevée ; / - à établir et à délivrer le bon d'enlèvement pour destruction des véhicules destinés à la destruction ; - à établir et à délivrer, sur avis du service du Domaine de la Direction générale des finances publiques, le bon d'enlèvement pour destruction des véhicules qui n'ont pu trouver preneur. / La décision de destruction du véhicule ou de sa remise au service du Domaine de la Direction générale des finances publiques, la demande de mainlevée, et la délivrance du bon d'enlèvement pour destruction doivent intervenir dès expiration des délais légaux susmentionnés ". En vertu de l'article 23 des conventions : " L'autorité de fourrière indemnise le gardien de fourrière pour les véhicules abandonnés dont les propriétaires sont : inconnus : le propriétaire n'est pas identifiable malgré les recherches effectuées par les services de police ; / introuvables : la notification n'a pu être opérée (adresse erronée ou propriétaire ne donnant pas suite) ; / insolvables : le propriétaire ne se déplace pas pour récupérer son véhicule et ne peut s'acquitter des frais de fourrière, ou refuse de le faire. ". Selon l'article 24 intitulé " Indemnisation " le gardien de fourrière est indemnisé pour les frais d'enlèvement, d'expertise et de garde journalière des véhicules abandonnés. Pour les concessions échues au 17 mai 2019, l'article 26 des concessions échues intitulé " Montant de l'indemnisation " stipule que, pour les véhicules abandonnés en fourrière et pris en charge en application du VI de l'article R. 325-29 du code de la route, l'indemnisation au titre des frais d'enlèvement, d'expertise et de garde journalière est effectuée, dans la limite des plafonds tarifaires définis par l'arrêté du 14 novembre 2001 relatif aux tarifs maxima des frais de fourrière pour automobiles modifié selon un barème détaillé en fonction de la nature du véhicule et de la prestation réalisée, le nombre de jours de garde indemnisés étant plafonné à vingt-huit. Pour la concession n° 5 reconduite à partir du 18 mai 2019, l'article 26 stipule que l'indemnisation pour les véhicules abandonnés depuis 27 jours au plus à compter du jour de l'enlèvement s'effectue dans la limite des plafonds tarifaires définis par l'arrêté du 14 novembre 2011, et que celle des véhicules abandonnés depuis vingt-huit jours au moins à compter du jour de l'enlèvement, selon des montants forfaitaires ne pouvant dépasser 310 euros pour les voitures particulières, 430 euros pour les poids lourds et 47 euros pour les autres véhicules, soit les montants applicables pendant la durée du contrat.
7. Il résulte de ces stipulations que, sauf à ce que ceux-ci soient détruits, le concédant est tenu de remettre les véhicules mis en fourrière et abandonnés au service du Domaine, en émettant à l'expiration des délais susvisés une demande de mainlevée et un bon d'enlèvement pour destruction des véhicules concernés. Ainsi que l'a relevé le tribunal, dès lors qu'il résulte de l'instruction que ces délais n'ont pas été respectés, la préfecture a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat pour méconnaissance de l'obligation contractée d'émettre un bon d'enlèvement pour destruction dès l'expiration des délais prévus par les conventions.
8. Contrairement à ce que soutient le ministre, aucune faute imputable à la société concessionnaire n'est en revanche établie dès lors que celle-ci justifie avoir dressé des états mensuels de 2017 à 2019 et avoir adressé à l'administration les rapports annuels d'activité conformément aux stipulations des articles 41 des conventions. Celle-ci justifie par ailleurs avoir signalé à de nombreuses reprises à la préfecture de la Seine-Saint-Denis les retards constatés et la méconnaissance par l'autorité de fourrière des délais précités. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la responsabilité de l'Etat était totalement engagée.
S'agissant du préjudice :
9. La société ESD soutient que la faute de l'administration l'ayant contrainte à garder des véhicules abandonnés au-delà du nombre de jours de garde rémunérés lui a causé un préjudice et sollicite à ce titre l'indemnisation des charges d'exploitation et du manque-à-gagner consécutif à l'encombrement de son parc sur le fondement des tarifs fixés par les articles 26 susvisés des contrats pour les véhicules enlevés sur les anciens secteurs 5 et 6 devenus le nouveau secteur 5 concédé, et sortis du parc entre le 27 avril 2019 et le 31 décembre 2020.
10. Le ministre soutient toutefois, sans être contredit, que la rétribution forfaitaire citée au point 6 du présent arrêt, contractuellement allouée à la société ESD dans la limite de 28 jours, pour la garde des véhicules mis en fourrière, a été versée. La société requérante n'est dès lors pas fondée à demander une augmentation de cette rémunération à due concurrence de la durée de garde des véhicules confiés au-delà de cette durée, quand bien même cet allongement est-il imputable à l'autorité de fourrière.
11. Enfin, si la société ESD soutient que les articles 26 des conventions fixant forfaitairement la rétribution des prestations de garde effectuées au-delà du 28ème jour doivent être regardées comme des clauses " léonines " et sont dès lors inapplicables, il ne résulte pas de l'instruction que ces stipulations entraîneraient une charge manifestement disproportionnée et excessive pour le concessionnaire.
S'agissant de la responsabilité extracontractuelle :
12. La société ESD se prévaut de la responsabilité pour enrichissement sans cause de l'administration, des dépenses utiles à la collectivité qu'elle aurait exposées pour le stockage de véhicules. Elle ne conteste toutefois pas ne pas avoir invoqué en première instance la mise en cause de la responsabilité de l'administration sur un fondement quasi-contractuel. De telles conclusions, qui reposent sur une cause juridique distincte, invoquée pour la première fois en appel et qui n'est pas d'ordre public, sont dès lors irrecevables. La fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur doit, par suite, être accueillie.
13. Il résulte ainsi de tout ce qui précède que la société ESD n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande d'indemnisation.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme à verser à la société ESD au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Enlèvement sur demande est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Enlèvement sur demande et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Bonifacj, présidente de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Jayer, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 mai 2025.
La rapporteure,
M-D. JAYERLa présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°24PA00051