Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société JCDecaux France a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler le titre de recette n° 250028 émis le 27 octobre 2021 par la Ville de Paris pour un montant de 980 308 euros et, d'autre part, de la décharger totalement ou, à titre subsidiaire, à hauteur d'un montant de 137 243,12 euros, de l'obligation de payer cette somme.
Par un jugement n° 2202602 du 31 mars 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de cette société.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et trois mémoires enregistrés les 2 juin, 6 août et 17 décembre 2023 ainsi que le 21 janvier 2024, la société JCDecaux France, représentée par Me Salon, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 2202602 du 31 mars 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 4 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier, dès lors que, d'une part, la minute n'a pas été signée par les personnes mentionnées à l'article R. 741-7 du code de justice administrative et que, d'autre part, il est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'erreur de droit, dès lors qu'il méconnaît, d'une part, le 7° de l'article 6 de l'ordonnance du 25 mars 2020, et, d'autre part, l'article L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques ;
- il est entaché d'erreur d'appréciation, en estimant que le montant du titre attaqué n'excède pas les avantages de toute nature procurés par l'autorisation dont elle bénéficie.
Par deux mémoires en défense enregistrés les 13 novembre 2023 et 5 janvier 2024, la Ville de Paris, représentée par la SCP Foussard-Froger, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société requérante de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
La clôture de l'instruction a été fixée au 7 février 2024 par une ordonnance du même jour.
Un mémoire présenté pour la société JCDecaux France a été enregistré le 8 novembre 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- l'ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Irène Jasmin-Sverdlin,
- les conclusions de M. Jean-François Gobeill, rapporteur public,
- et les observations de Me Salon pour la société JCDecaux France et de Me Froger pour la Ville de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. Par une convention du 14 octobre 2014, la Ville de Paris a autorisé la société JCDecaux France à occuper son domaine pour y exploiter de l'affichage publicitaire sur les palissades, échafaudages, panneaux de protection, barrières, dépendances de chantiers relatifs à des travaux hors du domaine public routier. Le 19 janvier 2021, la Ville et la société JCDecaux France ont signé un avenant à cette convention, mentionnant, à l'article 11 relatif à la redevance : " Exceptionnellement, en raison de la pandémie de covid-19 et au titre des mesures mises en place par la Ville de Paris, le co-contractant bénéficie de trois mois d'exonération de la redevance minimum garantie due au titre de l'exercice 2020. ". Par un titre de recettes n° 250028 émis le 27 octobre 2021, la Ville de Paris a demandé à la société JCDecaux France de verser la somme de 980 308 euros, correspondant à la redevance due au titre du troisième trimestre 2021. La société JCDecaux France a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant, d'une part, à annuler ce titre exécutoire et, d'autre part, à la décharger totalement de l'obligation de payer la somme de 980 308 euros ou, à titre subsidiaire, à hauteur d'un montant de 137 243,12 euros. La société JCDecaux France relève appel du jugement n° 2202602 du 31 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ". Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué du 31 mars 2023 a été signée par le rapporteur de l'affaire, le président de la chambre et la greffière d'audience. Ce jugement n'est donc pas entaché d'irrégularité.
3. En second lieu, si la société JCDecaux France soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé, en ne prenant pas en compte les arguments qu'elle a présentés au soutien du moyen tiré de la méconnaissance du 7° de l'article 6 de l'ordonnance du 25 mars 2020 et en n'indiquant pas ce qui a conduit les premiers juges à estimer que la comparaison des résultats de l'exercice 2021 avec ceux du seul exercice 2019 n'était pas pertinente, ce moyen, tel qu'il est formulé, relève du bien-fondé du jugement et est, par suite, sans incidence sur sa régularité. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement en litige sera écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020 : " Sauf mention contraire, les dispositions de la présente ordonnance sont applicables aux contrats soumis au code de la commande publique ainsi qu'aux contrats publics qui n'en relèvent pas, en cours ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu'au 23 juillet 2020 inclus. / Elles ne sont mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences, dans la passation et l'exécution de ces contrats, de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation. ". Selon l'article 6 de cette ordonnance : " En cas de difficultés d'exécution du contrat, les dispositions suivantes s'appliquent, nonobstant toute stipulation contraire, à l'exception des stipulations qui se trouveraient être plus favorables au titulaire du contrat : / (...) / 7° Lorsque le contrat emporte occupation du domaine public et que les conditions d'exploitation de l'activité de l'occupant sont dégradées dans des proportions manifestement excessives au regard de sa situation financière, le paiement des redevances dues pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public est suspendu pour une durée qui ne peut excéder la période mentionnée à l'article 1er. A l'issue de cette suspension, un avenant détermine, le cas échéant, les modifications du contrat apparues nécessaires. ".
5. Il ressort des termes de la convention d'occupation du 14 octobre 2014, notamment de son article 11.2, que la redevance d'occupation domaniale en litige est payable " par acompte trimestriel au début des mois de janvier, avril, juillet et octobre de chaque année ". Si la société JCDecaux France se prévaut des dispositions précitées de l'article 6 de l'ordonnance du 25 mars 2020, celles-ci prévoient, non une dispense du règlement des redevances domaniales réclamées, mais une période de suspension de l'exigibilité de ces dernières courant du 12 mars 2020 jusqu'au 23 juillet 2020. Dès lors que le titre de recettes en litige, émis le 27 octobre 2021, porte sur la redevance d'occupation du domaine public due pour le troisième trimestre de l'année 2021, la créance en litige n'entre pas dans le champ d'application de ces dispositions. Au demeurant, il ressort de ces mêmes dispositions que la Ville de Paris n'était pas tenue de conclure avec la société requérante un nouvel avenant au contrat, à l'issue de la suspension prévue par l'avenant du 19 janvier 2021, mais qu'elle avait la faculté, le cas échéant, de conclure un tel avenant. Dans ces conditions, la société JCDecaux France ne peut davantage soutenir qu'un avenant aurait dû être signé après ladite suspension afin de revenir à l'équilibre contractuel antérieur à la crise sanitaire. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6 de l'ordonnance du 25 mars 2020 doit être écarté.
6. En second lieu, aux termes de l'article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 donne lieu au paiement d'une redevance (...) ". Aux termes de l'article L. 2125-3 du même code : " La redevance due pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation. ".
7. Qu'elle détermine ou qu'elle révise le tarif d'une redevance d'occupation domaniale, l'autorité compétente doit tenir compte des avantages de toute nature que le titulaire de l'autorisation est susceptible de retirer de l'usage privatif du domaine public. Cette fixation ou cette révision du tarif ne saurait aboutir à ce que le montant de la redevance atteigne un niveau manifestement disproportionné au regard de ces avantages.
8. Il ressort des termes du dernier alinéa de l'article 11 de la convention du 14 octobre 2014 que le montant de la redevance minimum garantie " ne pourra être renégocié au cours de l'exécution de [la convention], quelles que soient les circonstances sauf en cas de force majeure et de bouleversement imprévisible de l'équilibre du contrat qui résulterait d'une modification de la réglementation parisienne relative à la publicité ". La société JCDecaux France fait valoir que le montant de la redevance réclamée est manifestement disproportionné au regard des avantages qu'elle retire de l'occupation du domaine public de la Ville, dès lors qu'elle justifie d'une baisse de chiffre d'affaires imputable à la pandémie de covid-19. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que si le déficit d'exploitation de la société requérante était de 4 164 012 euros au titre de l'exercice 2021, supérieur à celui de 3 413 866 euros en 2020, ce déficit s'élevait à 3 712 571 euros en 2019, à 3 166 422 euros en 2018 et à 3 839 990 euros en 2017. Au demeurant, la société JCDecaux France indique dans ses écritures (page 18 du mémoire complémentaire) que ce contrat connaît un déficit structurel. En outre, la circonstance que la perte de chiffre d'affaires de la société JCDecaux France s'élève à 29% en 2021 au regard de la même période en 2019, le nombre de dispositifs publicitaires exploités étant identique au cours de ces deux exercices, ne suffit pas à établir une diminution des avantages de toutes natures procurés par l'occupation du domaine public dans le cadre de la convention d'exploitation publicitaire sur les palissades de chantier " hors domaine public routier ", alors, du reste, que le chiffre d'affaires dépend également d'autres facteurs, tels les tarifs facturés aux annonceurs pour la vente des espaces publicitaires ou le nombre et le montant des prestations techniques associées à ces espaces. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que le montant de la redevance définie contractuellement serait disproportionné par rapport aux avantages de toutes natures induits par l'occupation du domaine public. Par suite, la société JCDecaux France n'est pas fondée à soutenir que le titre de recettes en litige a été pris en méconnaissance de l'article L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques, ni qu'il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ces dispositions.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société JCDecaux France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant l'annulation du titre de recette n° 250028 émis le 27 octobre 2021 par la Ville de Paris pour un montant de 980 308 euros et à la décharge de l'obligation de payer cette somme.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Ville de Paris qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société JCDecaux France demande au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société requérante une somme de 1 000 euros à verser à la Ville de Paris en application de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête présentée par la société JCDecaux France est rejetée.
Article 2 : La société JCDecaux France versera une somme de 1 000 euros à la Ville de Paris, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société JCDecaux France et à la Ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 13 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère,
- Mme Hélène Brémeau-Manesme, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 mai 2025.
La rapporteure, Le président,
I. JASMIN-SVERDLIN I. LUBEN
La greffière,
C. POVSE
La République mande et ordonne au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02449