Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Polynésie française a déféré au tribunal administratif de la Polynésie française comme prévenus d'une contravention de grande voirie la société Poe A... et son gérant, M. B... A..., et a demandé au tribunal de les condamner à l'amende prévue à cet effet, de mettre à leur charge la somme de 15 937 F CFP correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal de contravention de grande voirie, de les condamner à réparer le dommage, soit par l'enlèvement des installations occupant le domaine public et la remise en état des lieux dans le délai d'un mois sous astreinte de 50 000 F CFP par jour de retard, soit, en cas de refus ou de carence, en autorisant la Polynésie française à procéder elle-même à ces travaux et en condamnant les contrevenants au paiement de la somme de 5 575 504 F CFP correspondant au coût de la remise en état du domaine public.
Par un jugement n° 2300230 du 14 novembre 2023, le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la société Poe A... et M. B... A..., d'une part, à payer respectivement une amende de 100 000 F CFP et 150 000 F CFP à la Polynésie française, d'autre part à verser à cette collectivité, ensemble, la somme de 15 937 F CFP au titre des frais d'établissement du procès-verbal de contravention de grande voirie et leur a enjoint de procéder à l'enlèvement des installations litigieuses et de procéder à la remise en état des lieux, dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, la Polynésie française étant autorisée à y procéder d'office aux frais des intéressés, dans la limite de la somme de 5 575 504 F CFP.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 20 février 2024, la SCA Poe A... et M. B... A..., représentés par Me Dumas, demandent à la Cour d'infirmer le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 14 novembre 2023 et de juger qu'il n'y a pas lieu à injonction et à condamnation.
Ils soutiennent que la condamnation prononcée par le jugement attaquée est injustifiée, dès lors que le démantèlement des installations litigieuses a été effectué antérieurement à ce jugement et que l'infraction présumée ne peut être imputée à M. A..., gérant de la société.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2024, la Polynésie française s'en remet à la sagesse de la Cour concernant l'action domaniale et conclut à la confirmation du jugement attaqué sur les autres dispositions. Elle demande également que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Poe A..., en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les premiers juges ont, à bon droit, condamné les requérants à payer l'amende et les frais de procès-verbal liés à la contravention de grande voirie et que ces derniers n'avaient pas indiqué, en première instance, avoir enlevé les installations et procédé à la remise en état.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 et notamment son article 22 ;
- la loi du Pays n° 2017-16 du 18 juillet 2017 réglementant les activités professionnelles liées à la production et à la commercialisation des produits perliers et nacriers en Polynésie française ;
- l'arrêté n° 1259 CM du 31 juillet 2017 relatif aux conditions d'exercice des activités du producteur d'huîtres perlières ou du producteur de produits perliers en Polynésie française ;
- la délibération n° 2004-34 APF du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de l'aménagement de la Polynésie française ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Irène Jasmin-Sverdlin,
- et les conclusions de M. Jean-François Gobeill, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., gérant de la société Poe A..., qui exploite une ferme perlière à Apataki, dans la commune de Arutua (Polynésie française) a bénéficié d'une autorisation d'occupation du domaine public par arrêté n° 993 CM du 9 juillet 2020. Le 1er octobre 2021, la Polynésie française a notifié à M. A... et à la société Poe A... un procès-verbal de contravention de grande voirie n° 4523/VP/DRM établi le 20 septembre 2021 par la direction des ressources marines pour un dépassement de la superficie d'exploitation perlicole autorisée dans le lagon d'Apataki, de 27,78 ha. La Polynésie française a déféré la société Poe A... et M. A... comme prévenus d'une contravention de grande voirie pour dépassement de la surface d'occupation autorisée, et cette collectivité a également demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner M. A... à l'amende prévue à cet effet, au versement de la somme de 15 937 F CFP correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal de contravention de grande voirie, et à la réparation du dommage, soit par l'enlèvement des installations occupant le domaine public et la remise en état des lieux dans le délai d'un mois sous astreinte de 50 000 F CFP par jour de retard, soit, en cas de carence, par la condamnation des contrevenants au paiement de la somme de 5 575 504 F CFP correspondant au coût de la remise en état du domaine public, après que la Polynésie française aura été autorisée à y procéder elle-même. Par jugement n° 2300230 du 14 novembre 2023 le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la société Poe A... et M. A..., d'une part, à payer respectivement une amende de 100 000 F CFP et de 150 000 F CFP à la Polynésie française, et, d'autre part, leur a enjoint de procéder à l'enlèvement des installations occupant irrégulièrement le domaine public dans le lagon d'Apataki et de procéder à la remise en état des lieux dans le délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement ou, à défaut, à verser à la Polynésie française la somme de 5 575 504 F CFP au titre des frais nécessaires à la remise en état du domaine public ainsi que la somme de 15 937 F CFP correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal de contravention de grande voirie. La SCA Poe A... et M. A... relèvent appel de ce jugement.
Sur l'action publique :
2. Aux termes de l'article 2 de la délibération n° 2004-34 de l'assemblée de la Polynésie française du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française : " Le domaine public naturel comprend : (...) le domaine public maritime qui se compose notamment des rivages de la mer, des lais et relais de mer, des étangs salés communiquant librement ou par infiltration ou par immersion avec la mer, du sol et du sous-sol des eaux intérieures dont les havres et rades non aménagés et les lagons jusqu'à la laisse de basse mer sur le récif côté large, du sol et du sous-sol des golfes, baies et détroits de peu d'étendue, et du sol et du sous-sol des eaux territoriales ; (...)". Aux termes de l'article 6 de la même délibération : " Nul ne peut sans autorisation préalable délivrée par l'autorité compétente, effectuer aucun remblaiement, travaux, extraction, installation et aménagement quelconque sur le domaine public, occuper une dépendance dudit domaine ou l'utiliser dans les limites excédant le droit d'usage qui appartient à tous. / Les autorisations d'occupation d'une dépendance du domaine public peuvent être accompagnées d'un cahier des charges, approuvé par l'autorité compétente, fixant les conditions et prescriptions techniques de l'occupation. ". En vertu de l'article 62 de la loi organique du 12 avril 1996, dont les dispositions ont été reprises et précisées à cet égard par l'article 22 de la loi organique du 27 février 2004, l'assemblée de la Polynésie française peut édicter des contraventions de grande voirie pour réprimer les atteintes au domaine public qui lui est affecté, le produit des condamnations étant alors versé à son budget. L'article 27 de la délibération du 12 février 2004 précitée dispose que : " Les infractions à la réglementation en matière de domaine public (...) constituent des contraventions de grande voirie et donnent lieu à poursuite devant le tribunal administratif (...) Les contrevenants pourront être punis des peines d'amende ou des peines privatives ou restrictives de droit, telles que définies dans le code pénal pour les contraventions de la cinquième classe. En cas de récidive, le montant maximum de l'amende pourra être doublé. / En outre, l'auteur d'une contravention de grande voirie pourra être tenu de réparer le dommage causé, au besoin sous astreinte. ".
3. Il ressort des pièces versées au dossier que deux agents assermentés de la direction des ressources marines, chargés du contrôle du respect de la réglementation applicable aux activités en matière de perliculture, de pêche et d'aquaculture, signataires du procès-verbal de contravention de grande voirie n° 4523/VP/DRM du 20 septembre 2021, ont constaté, le 7 avril 2021, que
la société Poe A... exploitait irrégulièrement dans le lagon d'Apataki une superficie supplémentaire totale de 27,78 ha par rapport à la superficie autorisée de 100 ha. Cette atteinte caractérisée à l'intégrité du domaine public maritime de la Polynésie française constitue l'infraction prévue à l'article 6 de la délibération précitée du 12 février 2004 et est réprimée sur le fondement de l'article 27 de cette même délibération.
4. En vertu de l'article 9 du code de procédure pénale, l'action publique tendant à la répression des contraventions se prescrit par une année révolue à compter du jour où l'infraction a été commise. La prescription d'infractions continues ne court qu'à partir du jour où elles ont pris fin.
5. Il résulte de l'instruction que le dépassement par la société Poe A... de 27,78 ha de la superficie de 100 ha autorisée pour son exploitation perlicole, constitue une infraction continue qui peut donner lieu à des poursuites à tout moment, tant qu'elle n'a pas pris fin. Ainsi, le président du gouvernement de la Polynésie française était fondé à faire constater, par un procès-verbal en date du 20 septembre 2021, une contravention de grande voirie à raison de l'occupation sans droit ni titre du domaine public maritime.
6. D'une part, les requérants, qui soutiennent qu'ils avaient procédé au démantèlement des installations litigieuses antérieurement au jugement attaqué, n'en justifient pas, dès lors qu'ils se bornent à produire le rapport établi par un agent de police municipale constatant ce démantèlement en date du 19 janvier 2024, soit postérieurement au jugement attaqué.
7. D'autre part, M. A... soutient qu'il ne peut pas être mis en cause, l'infraction étant reprochée à la société Poe A.... Si la responsabilité de la personne morale n'exclut pas celle de la personne physique qui la représente, il résulte, en l'espèce, de l'instruction que les deux procès-verbaux de constatation de l'infraction ne mentionnent que la société Poe A.... Par suite, M. A... est fondé à soutenir que la Polynésie française ne pouvait légalement lui infliger l'amende litigieuse.
Sur l'action domaniale :
8. Il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment du rapport établi par un agent de police municipale constatant le démantèlement des installations litigieuses le 19 janvier 2024, que les travaux de remise en état de la dépendance du domaine public maritime auraient été entièrement exécutés par la société Poe A.... Par suite, les conclusions de la requête tendant à l'annulation du jugement attaqué, en tant qu'il a condamné cette société à remettre en état des lieux occupés ne peuvent qu'être rejetées. En revanche, compte tenu de ce qui a été dit au point 7, M. A... est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il l'a condamné à remettre en état les lieux illégalement occupés.
Sur les frais d'établissement du procès-verbal :
9. La société Poe A... ne soulevant aucun moyen de nature à établir que le tribunal l'aurait, à tort, condamné à verser à la Polynésie française une somme de 15 937 F CFP correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal de contravention de grande voirie, elle n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a prononcé une telle condamnation. En revanche, compte tenu de ce qui a été dit au point 7, M. A... est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné à verser à la Polynésie française cette même somme.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Poe A... et M. A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné M. A... à payer à la Polynésie française une amende de 150 000 F CFP ainsi que la somme de 15 937 F CFP correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal de contravention de grande voirie et lui a enjoint de procéder à l'enlèvement des installations occupant irrégulièrement le domaine public dans le lagon d'Apataki et de procéder à la remise en état des lieux. Par suite, les requérants ne sont fondés à demander la réformation du jugement attaqué qu'en ce qu'il concerne M. A....
Sur les frais liés au litige :
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Poe A... la somme que demande la Polynésie française sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française n° 2300230 du 14 novembre 2023 du tribunal est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Les conclusions de la Polynésie française à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Poe A..., à M. B... A... et à la Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère,
- Mme Hélène Brémeau-Manesme, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juin 2025.
La rapporteure,
I. JASMIN-SVERDLINLe président,
I. LUBEN
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au Haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA00838