Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Lidl a demandé au tribunal administratif de Melun :
- d'annuler la décision du 21 décembre 2020 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France en tant qu'elle préconise la suppression du dernier alinéa de l'article 1 du titre III de l'accord d'intéressement qu'elle a conclu le 25 août 2020 avec les organisations syndicales représentatives des salariés, ainsi que la décision du 12 mai 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a retiré la décision implicite de rejet née du silence qu'elle avait gardé sur le recours hiérarchique dont elle avait été saisie le 23 février 2021 et a rejeté la demande de retrait partiel de la décision du DIRECCTE du 21 décembre 2020 ;
- d'annuler la décision du 7 juillet 2021 du directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d'Ile-de-France en tant qu'elle préconise la suppression du dernier alinéa de l'article 1 du titre III de l'accord d'intéressement qu'elle a conclu le 25 août 2020 avec les organisations syndicales représentatives des salariés, ainsi que la décision du 3 novembre 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté la demande de retrait partiel de la décision du 7 juillet 2021.
Par un jugement n° 2106633, 2112042 du 31 mai 2024, le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
I- Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2024 sous le n° 24PA03372, et un mémoire en réplique enregistré le 10 mars 2025, non communiqué, la société Lidl, représentée par Me Charat, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2106633, 2112042 du 31 mai 2024 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 décembre 2020 du DIRECCTE et de la décision du 12 mai 2021 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ;
2°) d'annuler ces décisions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'accord du 25 août 2020 répond à l'ensemble des conditions prévues par la loi, notamment au caractère collectif et proportionnel de l'investissement ;
- en exigeant un rattachement des salariés à chaque unité de travail à laquelle ils ont été affectés au cours de l'année, le DITECCTE et la ministre du travail, qui se sont mépris sur la portée du principe de proportionnalité, ont commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation et ont porté atteinte à la liberté contractuelle ainsi qu'à la liberté de négociation collective.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 février 2025, la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- la société n'a pas d'intérêt à agir contre la décision du 21 décembre 2020, qui a été implicitement mais nécessairement abrogée par celle du 12 mai 2021, ni contre cette dernière décision en tant qu'elle a retiré la décision implicite de rejet née du silence gardé par la ministre sur le recours hiérarchique dont elle avait été saisie le 23 février 2021 ;
- les moyens soulevés par la société Lidl ne sont pas fondés.
II- Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2024 sous le n° 24PA03373, et un mémoire en réplique enregistré le 10 mars 2025, la société Lidl, représentée par Me Charat, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2106633, 2112042 du 31 mai 2024 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 7 juillet 2021 du DRIEETS et de la décision du 3 novembre 2021 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ;
2°) d'annuler ces décisions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'accord du 25 août 2020 répond à l'ensemble des conditions prévues par la loi, notamment au caractère collectif et proportionnel de l'investissement ;
- en exigeant un rattachement des salariés à chaque unité de travail à laquelle ils ont été affectés au cours de l'année, le DRIEETS et la ministre du travail, qui se sont mépris sur la portée du principe de proportionnalité, ont commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation et ont porté atteinte à la liberté contractuelle ainsi qu'à la liberté de négociation collective.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 février 2025, la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- la société n'a pas d'intérêt à agir contre la décision du 7 juillet 2021, qui a été implicitement mais nécessairement abrogée par celle du 3 novembre 2021 ;
- les moyens soulevés par la société Lidl ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vrignon-Villalba,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Da Silva, pour la société Lidl.
Considérant ce qui suit :
1. Le 25 août 2020, la société Lidl a conclu un accord collectif d'intéressement avec les organisations syndicales représentatives des salariés. Le 21 décembre 2020, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a demandé la mise en conformité de l'accord d'intéressement et notamment le retrait du dernier paragraphe de l'article 1er du titre III, relatif au calcul de l'intéressement en cas de changement d'unité de travail d'un salarié en cours d'exercice. Par une décision du 12 mai 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, saisie par la société Lidl d'un recours hiérarchique, a retiré la décision implicite de rejet née le 23 avril 2021 du silence qu'elle avait gardé sur le recours hiérarchique formé par la société Lidl et a rejeté la demande de retrait de la décision du 21 décembre 2020 en ce qu'elle préconise le retrait du dernier alinéa de l'article 1er du paragraphe III de l'accord d'intéressement. Pour tenir compte des observations portant sur les points autres que le dernier paragraphe de l'article 1er du titre III de l'accord, la société Lidl et les organisations syndicales représentatives des salariés ont conclu, le 7 mai 2021, un avenant de mise en conformité à l'accord collectif d'intéressement. Le 7 juillet 2021, le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités a demandé à nouveau la mise en conformité de certaines stipulations qu'il estimait contraires aux dispositions légales et notamment la modification du dernier alinéa de l'article 1er du titre III de l'accord du 25 août 2020. Par une décision du 3 novembre 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, saisie par la société Lidl d'un recours hiérarchique le 8 septembre 2021, a rejeté la demande de retrait de la décision du 7 juillet 2021 en ce qu'elle préconise la modification du dernier paragraphe de l'article 1er du titre III de l'accord d'intéressement. Par les requêtes visées ci-dessus, la société Lidl relève appel du jugement du 31 mai 2024 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces décisions.
2. Les deux requêtes visées ci-dessus, enregistrées sous les numéros 24PA03372 et 24PA03373, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur les fins de non-recevoir opposées en défense :
3. Si, par sa décision du 12 mai 2021, la ministre du travail a cru devoir retirer sa décision
implicite de rejet du recours hiérarchique dirigé par la société Lidl contre la décision du 21 décembre 2020 et si la société n'a donc pas intérêt à contester ce retrait, qui lui est favorable, il n'en demeure pas moins que l'article 2 de cette décision se borne à rejeter le recours hiérarchique introduit par la société. Contrairement à ce qu'indique la ministre en défense, il ne ressort pas des termes de sa décision du 12 mai 2021 qu'elle aurait entendu réformer la décision du 21 décembre 2020, laquelle aurait ainsi été " implicitement mais nécessairement retirée ". La ministre n'ayant pas retiré la décision initiale et ne lui ayant pas substitué sa propre décision, elle n'est pas fondée à soutenir que les conclusions dirigées par la société Lidl contre la décision du 21 décembre 2020 seraient irrecevables.
4. De la même manière, par sa décision du 3 novembre 2021, la ministre, qui s'est bornée à rejeter le recours hiérarchique qui lui été soumis, n'a pas " implicitement mais nécessairement retiré " la décision du 7 juillet 2021. La fin de non-recevoir opposée en défense aux conclusions dirigées contre cette dernière décision doit donc être écartée.
Sur la légalité des décisions attaquées :
5. Aux termes de l'article L. 3345-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " L'autorité administrative dispose d'un délai de quatre mois à compter du dépôt d'un accord d'intéressement, d'un accord de participation ou d'un règlement d'un plan d'épargne salariale pour demander, après consultation de l'organisme en charge du recouvrement des cotisations de sécurité sociale dont relève l'entreprise, le retrait ou la modification des dispositions contraires aux dispositions légales. / Sur le fondement de cette demande, l'accord ou le règlement peut être dénoncé à l'initiative d'une des parties en vue de la renégociation d'un accord conforme aux dispositions légales. ". Aux termes de l'article L. 3345-3 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " En l'absence de demande de l'autorité administrative pendant le délai de quatre mois, aucune contestation ultérieure de la conformité des termes de l'accord ou du règlement aux dispositions légales en vigueur au moment de sa conclusion ne peut avoir pour effet de remettre en cause les exonérations fiscales et sociales attachées aux avantages accordés aux salariés au titre des exercices en cours ou antérieurs à la contestation. ".
6. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 3312-1 du code du travail : " L'intéressement a pour objet d'associer collectivement les salariés aux résultats ou aux performances de l'entreprise. / Il présente un caractère aléatoire et résulte d'une formule de calcul liée à ces résultats ou performances. / Il est facultatif. ". L'article L. 3314-1 du code du travail dispose que : " les modalités de calcul de l'intéressement peuvent varier selon les établissements et les unités de travail (...) ". Enfin, selon l'article L. 3314-5 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " La répartition de l'intéressement entre les bénéficiaires peut être uniforme, proportionnelle à la durée de présence dans l'entreprise au cours de l'exercice ou proportionnelle aux salaires. L'accord peut également retenir conjointement ces différents critères. Ces critères peuvent varier selon les établissements et les unités de travail. (...) ".
7. L'accord conclu le 25 août 2020, pour la période du 1er mars 2020 au 28 février 2023, prévoit que l'intéressement sera réparti selon un calcul effectué, d'une part, au niveau de l'entreprise, selon des critères de résultat (" enveloppe résultat "), et d'autre part, au niveau d'unités de travail, selon des critères de performance économique et ressources humaines (" enveloppe performance "). Il est précisé à l'article 5 du Titre I que " La répartition du montant global d'intéressement sera effectuée en fonction de la durée de présence effective et/ou assimilée dans l'entreprise. La durée de présence d'un salarié au cours de l'exercice est égale au total des heures de travail effectives (et/ou assimilées) du salarié ". Et selon l'article 1 du Titre III : " en cas de changement d'unité de travail d'un salarié en cours d'exercice, l'intéressement sera calculé par rapport à l'unité de travail correspondant à son affectation la plus longue au cours de l'exercice considéré ".
8. Pour prendre les décisions attaquées, l'administration a considéré qu'en prévoyant que, s'agissant de l'enveloppe performance, les salariés qui ont changé d'unité de travail sur la période considérée seraient rattachés à celle de ces unités qui correspond à leur affectation la plus longue et qu'ils en bénéficieront en fonction de temps de présence dans l'entreprise, l'accord opère une déconnexion entre le périmètre des salariés qui ont participé à la performance d'une unité travail et le périmètre des salariés qui recevront le produit de cette performance. Selon elle, dès lors qu'il n'y a plus adéquation entre le montant de l'intéressement versé à un salarié et sa participation à la performance de l'unité à laquelle il a ainsi été " rattaché ", cette déconnexion méconnaît le critère de proportionnalité prévu à l'article L. 3314-1 du code du travail et, par suite, le caractère collectif de l'intéressement. Elle a en conséquence demandé à la société Lidl de prévoir un dispositif dans lequel le salarié qui a travaillé dans plusieurs unités de travail sur la période considérée pourra bénéficier de l'intéressement se rattachant à chacune de ces unités de façon strictement proportionnelle à la durée de sa présence dans chacune d'entre-elles.
9. Pour contester les décisions attaquées, la société requérante soutient que lorsqu'il est recouru, comme en l'espèce, à une répartition proportionnelle à la durée de présence dans l'entreprise, cela implique uniquement, d'une part, que la prime d'intéressement due à chaque salarié ne soit pas réduite plus que proportionnellement à son nombre d'absences dans l'entreprise au cours de l'exercice concerné et, d'autre part, que la prime d'intéressement versée ne soit pas supérieure à la durée réelle de présence dans l'entreprise au cours de l'exercice. Selon elle, en revanche, les dispositions du code du travail citées au point 4, en particulier celles de l'article L. 3314-5 de ce code, n'imposent pas une répartition de l'intéressement proportionnelle à la durée de présence de chaque salarié dans chaque unité de travail.
10. L'appréciation du bien-fondé de ce moyen dépend du point de savoir si les dispositions citées au point 6, des articles L. 3312-1, L. 3314-4 et L. 3314-5 du code du travail, s'opposent aux modalités de répartition prévues, en cas de changement d'unité de travail d'un salarié en cours d'exercice, par l'article 1er du titre III de l'accord du 20 août 2020, selon lequel : " Enfin, il est précisé qu'en cas de changement d'unité de travail d'un salarié en cours d'exercice, l'intéressement sera calculé par rapport à l'unité de travail correspondant à son affectation la plus longue au cours de l'exercice considéré ". Cette appréciation soulève une question qui ne peut être résolue au vu d'une jurisprudence établie et qui soulève une difficulté sérieuse qu'il n'appartient qu'à l'autorité judiciaire de trancher.
11. Aux termes de l'article R. 771-2 du code de justice administrative : " Lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction judiciaire, la juridiction administrative initialement saisie la transmet à la juridiction judiciaire compétente. Elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle ".
12. Eu égard au caractère sérieux de la contestation soulevée, il y a lieu pour la cour administrative de surseoir à statuer sur les requêtes de la société Lidl tendant à l'annulation des décisions en litige, jusqu'à ce que le tribunal judiciaire de Créteil se soit prononcé sur cette question préjudicielle, dans les conditions prévues par l'article 126-15 du code de procédure civile.
D É C I D E :
Article 1er : Il est sursis à statuer sur les requêtes de la société Lidl jusqu'à ce que le tribunal judiciaire de Créteil se soit prononcé sur la validité des stipulations de l'article 1er du titre III, relatif au calcul de l'intéressement en cas de changement d'unité de travail d'un salarié en cours d'exercice, de l'accord du 20 août 2020, selon lequel : " Enfin, il est précisé qu'en cas de changement d'unité de travail d'un salarié en cours d'exercice, l'intéressement sera calculé par rapport à l'unité de travail correspondant à son affectation la plus longue au cours de l'exercice considéré ".
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au tribunal judiciaire de Créteil, à la société Lidl et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Copie en sera transmise au directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 19 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juin 2025.
La rapporteure,
C. Vrignon-VillalbaLa présidente,
A. Menasseyre
La greffière,
N. Couty
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 24PA03372, 24PA03373