Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par cinq ordonnances des 24 et 28 mai 2019, le premier vice-président du tribunal administratif de Montreuil a renvoyé au tribunal administratif d'Orléans les demandes présentées par la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) tendant à annuler les avis des sommes à payer n° 2018-591, n° 2018-563, n° 2018-951, n° 2018-937 et n° 2018-938 émis à son encontre par D... national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) pour le paiement respectivement des sommes de 18 029,62 euros, 27 417,68 euros, 15 659,26 euros, 10 573,24 euros et 10 573,24 euros et à la décharger de l'obligation de payer ces sommes.
Par jugement n° 1902310, 1902312, 1902318, 1902319, 1902323 du 17 décembre 2020, le tribunal administratif d'Orléans a annulé l'avis des sommes à payer n° 2018-563 en tant qu'il porte sur la somme de 16 167,68 euros ainsi que l'avis des sommes à payer n° 2018-937 en tant qu'il porte sur la somme de 4 010,74 euros, déchargé la SHAM de l'obligation de payer la somme de 7 253,04 euros et rejeté le surplus des conclusions de la SHAM ainsi que les conclusions reconventionnelles présentées par l'ONIAM.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 février 2021 et des mémoires enregistrés les 11 mars 2021 et 4 juin 2021, la SHAM, représentée par Me Le Prado, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette partiellement ses demandes ;
2°) d'annuler les avis des sommes à payer n° 2018-591, n° 2018-563, n° 2018-951, n° 2018-937 et n° 2018-938 émis par l'ONIAM et de la décharger de l'obligation de payer les sommes mises à sa charge par ces avis ;
3°) de rejeter les conclusions d'appel incident présentées par l'ONIAM ;
4°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration était infondé ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que le centre hospitalier de Romorantin, celui de Tours et celui de Blois avait commis des fautes dans la prise en charge d'Amaury A... ;
- c'est également à tort que le tribunal a estimé que ces fautes avaient fait perdre à la victime toute chance de vivre plus longtemps ; son décès n'est pas imputable à sa prise en charge mais à la gravité de sa pathologie ; à titre subsidiaire, seule une perte de chance très limitée d'échapper au caractère prématuré du décès pourrait être retenue ;
- c'est également à tort qu'il a fixé les parts de responsabilité respectives des centres hospitaliers de Romorantin, de Tours et de Blois à hauteur de 25 %, 60 % et 15 % ;
- à titre subsidiaire, c'est à tort qu'après avoir prononcé l'annulation partielle des avis n° 2018- 563 et n° 2018-937 pour un montant total supérieur, il a limité le montant de la décharge qu'il a prononcée à la somme de 7 253,04 euros, en faisant une appréciation globale des indemnités pouvant être mises à la charge des établissements hospitaliers en cause alors qu'il convenait d'apprécier le bien-fondé de chacun de ces avis de manière autonome ;
- l'évaluation des préjudices est excessive ;
- c'est à juste titre que le tribunal a estimé que le préjudice correspondant aux frais d'obsèques ainsi que le préjudice d'accompagnement n'étaient pas en lien direct avec les fautes retenues, le décès étant inéluctable dans les deux années suivantes ;
- les conclusions reconventionnelles tendant à l'application de la pénalité prévue par les dispositions du 5ème alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique doivent être rejetées dès lors qu'une telle pénalité, qui ne saurait avoir de caractère automatique, ne se justifie pas en l'espèce eu égard, d'une part, aux divergences entre le rapport d'expertise et l'avis de la CCI, d'autre part, au doute sur le lien de causalité entre les manquements relevés et le décès de la victime ;
- les conclusions reconventionnelles tendant au remboursement des frais d'expertise doivent également être rejetées, de telles conclusions étant irrecevables dès lors que l'ONIAM a fait le choix d'émettre un titre exécutoire pour recouvrer sa créance, dont les frais d'expertise constituent un accessoire ; de telles conclusions soulèvent un litige distinct ;
- pour les mêmes motifs, les conclusions reconventionnelles tendant au versement des intérêts et de leur capitalisation sur la somme globale mise à sa charge par les avis des sommes à payer émis par l'ONIAM doivent également être rejetées pour irrecevabilité ; en tout état de cause, le caractère suspensif de l'opposition aux titres exécutoires fait obstacle à ce que les intérêts courent sur la créance avant la décision du tribunal ;
- il n'y a pas lieu de mettre en cause les organismes ayant versé des prestations à la victime.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 mai 2021, l'ONIAM, représenté par Me Saumon, avocat, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête d'appel de la SHAM ;
2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a :
- annulé partiellement les avis des sommes à payer n°2018-563 et n°2018-937 ;
- déchargé la SHAM de l'obligation de payer la somme de 7 253,04 euros ;
- rejeté sa demande tendant à la condamnation de la SHAM à lui verser la somme totale de 82 253,04 euros correspondant à la somme versée aux ayant droits d'Amaury A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;
- rejeté sa demande tendant au versement des intérêts et de leur capitalisation sur la somme totale de 82 253,04 euros ;
- rejeté sa demande tendant à l'application de la pénalité prévue par les dispositions du 5ème alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;
- rejeté sa demande tendant au remboursement des frais d'expertise ;
3°) de faire droit à ces demandes ;
4°) de mettre en cause les organismes ayant versé des prestations aux ayants droit de la victime ;
5°) de mettre à la charge de la SHAM la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- tant le centre hospitalier de Romorantin que celui de Tours et celui de Blois ont commis des fautes dans la prise en charge d'Amaury A... ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il n'était pas fondé à réclamer le remboursement de l'indemnité versée aux ayants droit de la victime au titre des frais d'obsèques exposés, ces frais ayant été exposés prématurément du fait des fautes commises ;
- c'est également à tort que le tribunal a estimé qu'il n'était pas fondé à réclamer le remboursement de l'indemnité versée aux ayants droit de la victime au titre du préjudice d'accompagnement, ceux-ci n'ayant pas eu le temps de se préparer au décès de la victime ;
- c'est encore à tort que le tribunal a estimé que les souffrances endurées par la victime pouvaient être évaluées à la somme de 5 000 euros seulement ;
- en l'absence d'ambiguïté quant à la responsabilité de chacun des établissements hospitaliers, il y a lieu d'appliquer une pénalité de 15 % en application des dispositions du 5ème alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;
- les frais d'expertise, d'un montant de 845,19 euros, doivent donner lieu à un remboursement par la SHAM, compte tenu des justificatifs versés en appel ;
- sa demande de versement des intérêts et de leur capitalisation est justifiée, dès lors que ceux-ci ont couru dès la réception des titres exécutoires en litige par la SHAM, soit le 12 juillet 2018 ou le 10 août 2018 ;
- il y a lieu d'appeler en cause les organismes ayant versé des prestations à la victime.
L'ONIAM a produit des observations le 16 octobre 2023, après la clôture de l'instruction, qui n'ont pas été communiquées.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Troalen ;
- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public ;
- et les observations de Me Goldnadel, représentant la SHAM.
Une note en délibéré présenté pour l'ONIAM a été enregistrée le 16 octobre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Amaury A..., alors âgé de 13 ans, est décédé le 28 novembre 2014 des complications engendrées par une volumineuse tumeur au cerveau, après avoir été pris en charge par le centre hospitalier de Romorantin et par le centre hospitalier universitaire régional de Tours. Ses parents, B... et E... A..., et sa sœur, C... A..., ont saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) d'Ile-de-France d'une demande d'indemnisation des préjudices subis du fait de sa prise en charge par ces deux centres hospitaliers ainsi que du fait de l'absence de prise en charge par le SAMU relevant du centre hospitalier de Blois. Le neurochirurgien désigné en qualité d'expert par la CCI a rendu son rapport le 20 septembre 2016. Le 17 novembre 2016, la CCI a estimé que la réparation du dommage incombait, à parts égales, à l'assureur de chacun des centres hospitaliers de Blois, Romorantin et Tours.
2. La société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), assureur de ces trois établissements, n'ayant pas adressé d'offre d'indemnisation à M. et Mmes A..., D... national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a conclu avec chacun d'entre eux trois protocoles d'indemnisation en vertu des dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique. S'agissant de M. B... A..., un premier protocole a été signé le 1er mai 2018, visant à indemniser les frais d'obsèques, le préjudice d'accompagnement, le préjudice d'affection ainsi que les souffrances endurées par la victime, pour un montant de 10 573,24 euros correspondant à la part des préjudices imputable au centre hospitalier de Romorantin, un second protocole du même montant a été signé le même jour, correspondant à la part des mêmes préjudices imputable au centre hospitalier de Blois, et un troisième protocole portant sur le même montant a été signé le 3 juillet 2018 correspondant à la part des mêmes préjudices imputable au centre hospitalier de Tours. S'agissant de Mme E... A..., trois protocoles visant à indemniser le préjudice d'accompagnement, le préjudice d'affection ainsi que les souffrances endurées par la victime ont été signés le 1er mai 2018, pour un montant de 9 014,81 euros chacun, correspondant à la part de ces préjudices imputable à chacun des centres hospitaliers. S'agissant de Mme C... A..., un premier protocole visant à indemniser le préjudice d'accompagnement, le préjudice d'affection ainsi que les souffrances endurées par la victime a été signé le 1er mai 2018, pour un montant de 7 829,63 euros correspondant à la part de ces préjudices imputable au centre hospitalier de Blois, un second protocole du même montant a été signé le 1er juin 2018, correspondant à la part des mêmes préjudices imputable au centre hospitalier de Tours, et un troisième protocole portant sur le même montant a été signé le 5 juillet 2018, correspondant à la part de ces mêmes préjudices imputable au centre hospitalier de Romorantin.
3. En vue de recouvrer ces différentes sommes versées aux ayants droit de la victime, l'ONIAM a émis à l'encontre de la SHAM, le 14 juin 2018, un premier avis des sommes à payer (n° 2018-563), pour un montant de 27 417,68 euros, correspondant aux indemnités versées à M. A... et à Mmes A... en substitution du centre hospitalier de Blois, puis, le 26 juin 2018, un deuxième avis (n°2018-591) pour un montant de 18 029,62 euros, correspondant à la somme versée à Mme E... A... en substitution du centre hospitalier régional universitaire de Tours et du centre hospitalier de Romorantin. Le 24 juillet 2018, l'ONIAM a émis à l'encontre de la SHAM deux nouveaux avis des sommes à payer, d'un montant de 10 573,24 euros chacun, correspondant aux sommes versées à M. A... en substitution, d'une part, du centre hospitalier de Romorantin (avis n° 2018-937) et, d'autre part, du centre hospitalier régional universitaire de Tours (avis n° 2018-938). Enfin, le 25 juillet 2018, un cinquième avis des sommes à payer (n° 2018-951) a été émis pour un montant de 15 659,26 euros, correspondant aux indemnités versées à Mme C... A... en substitution du centre hospitalier régional universitaire de Tours et du centre hospitalier de Romorantin.
4. Par un jugement du 17 décembre 2020, le tribunal administratif d'Orléans a annulé l'avis des sommes à payer n°2018-563 en tant qu'il porte sur la somme de 16 167,68 euros ainsi que l'avis des sommes à payer n°2018-937 en tant qu'il porte sur la somme de 4 010,74 euros, déchargé la SHAM de l'obligation de payer la somme de 7 253,04 euros et rejeté le surplus des conclusions de la SHAM ainsi que les conclusions reconventionnelles présentées par l'ONIAM.
Sur la régularité du jugement :
5. La SHAM soutient que le jugement du tribunal administratif d'Orléans est insuffisamment motivé et que c'est à tort que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration. Toutefois ces moyens, qui ont été soulevés succinctement dans sa seule requête sommaire, ne sont pas assortis des précisions permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé. Ils ne peuvent, dès lors, qu'être écartés.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le bien-fondé des titres exécutoires et la responsabilité des différents établissements hospitaliers :
S'agissant des fautes :
6. En premier lieu, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise du 20 septembre 2016, qu'Amaury, qui avait déjà souffert de migraines à plusieurs reprises au cours de l'année et était victime de céphalées et de vomissements répétés depuis a minima le 1er octobre 2014, n'a pas fait l'objet, dès sa présentation aux urgences du centre hospitalier de Romorantin le 22 octobre 2014 ou au cours de son hospitalisation jusqu'au 24 octobre, d'examen neurologique, en particulier de scanner, alors que les symptômes qu'il présentait pouvaient être évocateurs d'une hypertension intra crânienne et justifiaient un tel examen. Ce défaut d'examen est constitutif d'une faute du centre hospitalier de Romorantin.
7. En deuxième lieu, le scanner prescrit, le 29 octobre 2014, par le psychiatre du centre médico-psycho-pédagogique a mis en évidence une volumineuse tumeur de la région pinéale provoquant une hydrocéphalie. Amaury a alors été transféré dans le service de neurochirurgie pédiatrique du centre hospitalier régional universitaire de Tours, où une intervention de ventriculocisternostomie, destinée à soulager l'hydrocéphalie, a été pratiquée et au cours de laquelle des prélèvements visant à déterminer la nature de la tumeur ont été réalisés. Si le rapport d'expertise du 20 septembre 2016 indique que la ponction lombaire, pratiquée le 10 novembre 2014, était contre-indiquée dans la mesure où l'enfant présentait une œdème papillaire, il ne précise pas la recommandation médicale sur laquelle il s'appuie à cet égard et ne fournit aucune source de littérature scientifique, tandis que les praticiens consultés par la SHAM, dont l'un est neurochirurgien, estiment que la ponction lombaire était nécessaire pour déterminer la nature de la tumeur et le protocole thérapeutique à mettre en place pour la traiter, d'autre part, qu'elle ne présentait en elle-même pas de risque dans la mesure où une intervention de ventriculocisternostomie avait déjà été pratiquée et que l'IRM du 5 novembre avait confirmé qu'elle était efficace. Le neurologue consulté par l'ONIAM le 29 mai 2020 confirme également que ce geste n'était pas contre-indiqué du fait de la réalisation préalable d'une ventriculocisternostomie fonctionnelle. Dans ces conditions, il ne saurait être retenu que la réalisation de la ponction lombaire était fautive. En revanche, tant le rapport d'expertise du 20 septembre 2016 que l'avis du neurologue du 29 mai 2020 indiquent que l'enfant aurait dû faire l'objet d'une surveillance particulière en milieu hospitalier après la ponction, ce que les praticiens consultés par la SHAM ne contestent pas sérieusement en se contentant de mentionner le fait que des recommandations ont été données oralement aux parents. Ce défaut de surveillance constitue également une faute de la part du CHRU de Tours.
8. En troisième lieu, le rapport d'expertise du 20 septembre 2016 indique que le 12 novembre 2014 au matin, le service de neurochirurgie du CHRU de Tours, contacté par la mère d'Amaury en raison des vomissements importants de ce dernier, a demandé à celle-ci de prendre contact avec le SAMU pour que son fils soit amené dans le service. Lorsque Mme A... a appelé le 15, à 8h24, l'interlocuteur du SAMU de Blois a refusé de faire procéder à ce transfert par son service et invité la famille à avoir recours à une ambulance privée pour l'emmener au centre hospitalier de Romorantin. Ce refus, eu égard aux symptômes que présentait l'enfant, au diagnostic de tumeur cérébrale avec hydrocéphalie, à la ponction lombaire pratiquée trente-six heures plus tôt et aux recommandations du CHRU de Tours qui le suivait, constitue une faute du centre hospitalier de Blois.
9. En quatrième lieu, le rapport d'expertise du 20 septembre 2016 indique que lorsque l'enfant est arrivé au centre hospitalier de Romorantin, le 12 novembre 2014, à 9h30, il était dans le coma avec une hémiplégie gauche, une mydriase gauche et un score de Glasgow à 6 et que malgré la gravité de son état, le médecin des urgences n'a pas signalé au SAMU qu'il a alors appelé cette mydriase, qui constitue pourtant un signe d'urgence absolue, ni l'urgence extrême de la situation. En outre, le service des urgences du centre hospitalier de Romorantin n'a pas pratiqué l'intubation qui aurait dû s'imposer compte tenu du score de Glasgow à 6. Cette défaillance dans la prise en charge de la victime par le service des urgences du centre hospitalier de Romorantin est également fautive.
S'agissant du lien de causalité :
10. Compte tenu de la gravité de la pathologie dont souffrait Amaury, le rapport d'expertise du 20 septembre 2016 estime que, dans l'hypothèse d'une prise en charge adéquate, son décès serait tout de même intervenu dans un délai de deux ans. Le neurologue consulté par l'ONIAM indique que l'espérance de vie à 5 ans des patients atteints d'une tumeur germinale non seminomateuse est variable, qu'elle dépend des suites du traitement chimiothérapique et du taux des marqueurs. Il évalue ainsi, de manière générale, entre 35 et 60% les chances de survie à 5 ans de ces patients. Les praticiens consultés par la SHAM évaluent quant à eux les chances de survie de l'enfant entre 2 et 6 mois. Ainsi, il résulte de l'instruction que, compte tenu de sa pathologie, la victime serait décédée à moyen terme, y compris dans l'hypothèse où elle aurait fait l'objet d'une prise en charge adéquate. Le dommage est donc constitué en l'espèce non par le décès lui-même, mais par son caractère prématuré.
11. Or, si le rapport d'expertise du 20 septembre 2016 estime que le décès a été causé par les complications occasionnées par un engagement cérébral lui-même causé par la ponction lombaire pratiquée le 10 novembre 2014, les deux praticiens consultés par la SHAM indiquent que l'aggravation de l'état de santé de la victime n'est pas liée à ce geste, dont le risque avait été écarté du fait de l'intervention de ventriculocisternostomie, mais à l'hémorragie intra-tumorale et à l'augmentation importante du volume de la tumeur. Il résulte en effet de l'instruction que le traitement chimiothérapique entamé par le CHRU de Tours, poursuivi après la complication survenue le 12 novembre 2014, ne s'est pas montré efficace, compte tenu de la gravité de la tumeur et de son importante évolutivité. Or, une surveillance en milieu hospitalier de l'enfant après la ponction lombaire aurait permis la réalisation des manœuvres de réanimation dès la survenue des premiers signes d'aggravation de son état. Ainsi, s'il ne peut être affirmé de manière certaine qu'une prise en charge adéquate de l'enfant aurait permis d'éviter la survenue du décès dès le mois de novembre 2014, il paraît probable que le défaut de surveillance de la victime en milieu hospitalier puis les dysfonctionnements qui se sont produits à l'occasion de son transfert ont privé Amaury d'une chance de vivre quelques mois supplémentaires. Il sera fait une juste appréciation de la chance perdue en la fixant à 50 %. Les ayants droit de la victime étaient donc en droit de percevoir une indemnité correspondant à 50 % de l'évaluation des différents chefs de préjudice ayant résulté du caractère prématuré du décès d'Amaury A....
S'agissant des préjudices mis à la charge de la SHAM par l'ONIAM :
Quant aux frais d'obsèques :
12. Par adoption des motifs exposés au point 18 du jugement attaqué, il y a lieu d'estimer que les frais d'obsèques dont l'ONIAM a indemnisé M. A... ne sont pas en lien direct avec les fautes des établissements hospitaliers et ne peuvent donc donner lieu à l'émission d'un titre exécutoire à l'encontre de la SHAM.
Quant au préjudice d'accompagnement :
13. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, les proches de la victime auraient été amenés, du fait de la gravité de sa pathologie, à assister Amaury pendant plusieurs mois en l'absence de faute. Si l'ONIAM soutient que le caractère prématuré du décès a empêché les proches de la victime de se préparer à l'éventualité du décès et de profiter des derniers moments qu'ils auraient pu partager, de telles circonstances ne sauraient se rattacher au préjudice d'accompagnement dont l'ONIAM a entendu indemniser chacun des ayants droit de la victime compte tenu des termes des différents protocoles transactionnels conclus avec les parents et la sœur de la victime.
Quant au préjudice moral :
14. Si le décès d'Amaury était inéluctable à moyen terme, le caractère prématuré de son décès est imputable, sous réserve de l'application de la perte de chance mentionnée au point 11, aux fautes des centres hospitaliers de Blois, Tours et Romorantin. Le caractère prématuré du décès de cet enfant, alors âgé de 13 ans, est à l'origine, pour ses parents et sa sœur d'un préjudice moral dont l'ONIAM n'a pas fait une évaluation excessive en fixant son montant à 25 000 euros pour chacun des parents et à 20 000 euros pour la sœur de la victime.
Quant aux souffrances endurées par la victime
15. Les souffrances endurées par Amaury A... ont été évaluées par l'expert à 7 sur une échelle de 7. Il résulte de l'instruction que l'aggravation de son état de santé après la ponction lombaire pratiquée le 10 novembre 2014 s'est traduite par des vomissements puis un coma et une tétraplégie jusqu'à son décès le 28 novembre 2014. Eu égard à l'ampleur de ces souffrances, l'ONIAM n'en a pas fait une évaluation excessive en fixant leur montant à 5 777,76 euros et en accordant 25 % de cette somme à chacun de ses parents et 50 % de celle-ci à sa sœur.
S'agissant du partage de responsabilité :
16. Dans la mesure où une surveillance en milieu hospitalier de l'enfant après la ponction lombaire aurait permis la réalisation des manœuvres de réanimation dès la survenue des premiers signes d'aggravation de son état, la faute commise par le CHRU de Tours a un caractère prépondérant. Les fautes commises par le centre hospitalier de Romorantin et par le SAMU de Blois, le 12 novembre 2014, sont à l'origine, chacune, d'un retard de prise en charge de l'aggravation de l'état de santé d'Amaury de deux ou trois heures qui a pu amplifier les conséquences de cette complication. En outre, si le diagnostic de tumeur du cerveau n'a pu être formalisé que tardivement compte tenu du défaut de prescription d'un scanner par le centre hospitalier de Romorantin, il ne résulte pas de l'instruction, ainsi que le fait valoir la praticienne consultée par la SHAM, qu'eu égard à l'antériorité des symptômes, apparus pour certains quatre mois avant la première consultation au service des urgences de Romorantin, le retard de quelques jours occasionné par ce défaut d'examen ait compromis les chances de la victime d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation.
17. Dans ces conditions, l'ONIAM était fondé à mettre à la charge du CHRU de Tours 60 % de l'indemnité due aux ayants droit de la victime, et, à la charge des centres hospitaliers de Romorantin et de Blois, 20 % chacun de cette indemnité.
En ce qui concerne les conclusions aux fins de décharge :
18. Il résulte de tout ce qui précède que les différents avis des sommes à payer émis par l'ONIAM sont infondés en tant qu'ils mettent à la charge des trois centres hospitaliers des sommes au titre du préjudice d'accompagnement des ayants droit de la victime et, pour les avis n° 2018-938, 2018-937 et 2018-563, au titre des frais d'obsèques exposés par son père. Ils sont également infondés en tant qu'ils mettent à la charge de ces établissements des sommes au titre du préjudice moral et des souffrances endurées qui ne tiennent pas compte du coefficient de perte de chance retenu au point 11 et de la clé de répartition retenue au point 17.
19. Par suite, la SHAM est déchargée de l'obligation de payer la somme mise à sa charge, en tant qu'assureur du centre hospitalier de Blois, par l'avis des sommes à payer n° 2018-563 à hauteur de 19 839,98 euros.
20. La SHAM est en outre déchargée de l'obligation de payer la somme mise à sa charge, en tant qu'assureur des centres hospitaliers de Tours et Romorantin, par l'avis des sommes à payer n°2018-591 à hauteur de 7 451,92 euros.
21. La SHAM est déchargée de l'obligation de payer la somme mise à sa charge, en tant qu'assureur des centres hospitaliers de Tours et Romorantin, par l'avis des sommes à payer n°2018-951 à hauteur de 6 503,86 euros.
22. La SHAM est déchargée de l'obligation de payer la somme mise à sa charge, en tant qu'assureur du centre hospitalier de Romorantin, par l'avis des sommes à payer n° 2018-937 à hauteur de 7 928,82 euros.
23. La SHAM est enfin déchargée de l'obligation de payer la somme mise à sa charge, en tant qu'assureur du centre hospitalier de Tours, par l'avis des sommes à payer n° 2018-938 à hauteur de 2 640 euros.
En ce qui concerne les conclusions reconventionnelles présentées par l'ONIAM :
S'agissant des conclusions indemnitaires et des conclusions tendant au versement des intérêts et de leur capitalisation :
24. L'ONIAM n'est pas recevable à saisir le juge d'une requête tendant à la condamnation du débiteur au remboursement de l'indemnité versée à la victime lorsqu'il a, préalablement à cette saisine, émis un titre exécutoire en vue de recouvrer la somme en litige.
25. Par suite, l'ONIAM ayant choisi en l'espèce d'émettre des titres exécutoires à l'encontre de la SHAM, il n'est pas recevable à demander au juge la condamnation de la SHAM à lui verser la somme totale de 82 253,04 euros qu'il a versée aux ayants droit de la victime. Il en va de même s'agissant de ses conclusions tendant au versement des intérêts et de leur capitalisation sur cette somme.
S'agissant des conclusions tendant à l'application de la pénalité prévue par les dispositions du 5ème alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique :
26. Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à D... une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue. "
27. Il résulte de l'instruction que la CCI a estimé que la responsabilité des établissements en litige était engagée mais qu'il existait des divergences quant à la part de responsabilité de chacun de ces établissements, entre son avis et le rapport d'expertise du 20 septembre 2016. En outre, le présent arrêt retient, à la différence de l'avis de la CCI, l'application d'un coefficient de perte de chance. Dans ces conditions, il y a lieu de condamner la SHAM au versement de la pénalité prévue par les dispositions précitées et de fixer son montant à 2 600 euros, correspondant à environ 5 % du montant total des sommes que l'ONIAM était fondée à mettre à la charge de la SHAM en émettant les titres exécutoires en litige.
S'agissant des conclusions tendant au remboursement des frais d'expertise :
28. Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " (...) D... est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. "
29. La règle prévue au point 24 du présent arrêt ne trouve à s'appliquer que lorsqu'est en cause la même créance de l'ONIAM sur le responsable du dommage ou son assureur. Elle ne fait pas obstacle à ce que, dans le cadre d'un litige relatif à la contestation du titre exécutoire émis par l'ONIAM pour le recouvrement des sommes versées aux ayants droit d'une victime, l'ONIAM puisse solliciter, à titre reconventionnel, le remboursement des frais d'expertise exposés devant la CCI lorsque la somme en litige n'a pas fait l'objet d'un état exécutoire.
30. En l'espèce, l'ONIAM demande à la cour de condamner la SHAM à lui verser les frais de l'expertise réalisée concernant la prise en charge hospitalière d'Amaury A..., pour un montant de 845,19 euros, et produit une attestation de paiement émise le 23 mars 2021 par son agent comptable, indiquant que cette somme a été versée à l'expert le 31 mars 2017. Il y a donc lieu de condamner la SHAM à rembourser cette somme à l'ONIAM.
31. Enfin, il ne résulte ni de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire que les tiers payeurs ayant servi des prestations à la victime en raison d'un accident devraient être appelés en la cause lorsque le débiteur saisit le juge administratif d'une opposition au titre exécutoire émis par l'ONIAM en vue du recouvrement des sommes versées à la victime en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de l'ONIAM tendant à ce que la caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher soit appelée à la cause.
Sur les frais liés à l'instance :
32. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux demandes présentées par la SHAM et par l'ONIAM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La SHAM, devenue la société Relyens Mutual Insurance, est déchargée de l'obligation de payer la somme mise à sa charge par l'avis des sommes à payer n° 2018-563 à hauteur de 19 839,98 euros.
Article 2 : La SHAM, devenue la société Relyens Mutual Insurance, est déchargée de l'obligation de payer la somme mise à sa charge par l'avis des sommes à payer n° 2018-591 à hauteur de 7 451,92 euros.
Article 3 : La SHAM, devenue la société Relyens Mutual Insurance, est déchargée de l'obligation de payer la somme mise à sa charge par l'avis des sommes à payer n° 2018-951 à hauteur de 6 503,86 euros.
Article 4 : La SHAM, devenue la société Relyens Mutual Insurance, est déchargée de l'obligation de payer la somme mise à sa charge par l'avis des sommes à payer n° 2018-937 à hauteur de 7 928,82 euros.
Article 5 : La SHAM, devenue la société Relyens Mutual Insurance, est déchargée de l'obligation de payer la somme mise à sa charge par l'avis des sommes à payer n° 2018-938 à hauteur de 2 640 euros.
Article 6 : La SHAM, devenue la société Relyens Mutual Insurance, est condamnée à verser à l'ONIAM la somme de 2 600 euros en application des dispositions du 5ème alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.
Article 7 : La SHAM, devenue la société Relyens Mutual Insurance, est condamnée à verser à l'ONIAM la somme de 845,19 euros en remboursement des frais d'expertise.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à la société hospitalière d'assurance mutuelle, devenue la société Relyens Mutual Insurance, et à D... national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Versol, présidente de chambre,
Mme Dorion, présidente assesseure,
Mme Troalen, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.
La rapporteure,
E. TROALENLa présidente,
F. VERSOLLa greffière,
A. GAUTHIER
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
No 21VE00448002