Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler les décisions du 1er juillet 2021 par lesquelles le directeur régional des douanes et droits indirects de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) n'a pas renouvelé le contrat de gérance du débit de tabac n° 1310140T exploité sous l'enseigne " Bar Tabac PMU Au Vizir ", situé au 14 rue Colbert à Marseille (13001), et a prononcé la fermeture définitive de ce débit de tabac, à compter du 11 juillet 2021, d'autre part, d'enjoindre à la direction régionale des douanes et droits indirects (DRDDI) de la région PACA, à titre principal, de renouveler ce contrat de gérance pour une période de trois ans, soit jusqu'au 10 juillet 2024, et, à titre subsidiaire, de l'autoriser à présenter un successeur, dans le délai de quatre mois à compter de la notification du jugement à intervenir et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2106793 du 29 mai 2024, le tribunal administratif de Marseille a annulé ces décisions du directeur régional des douanes et droits indirects de la région PACA du 1er juillet 2021, ensemble la décision du 21 juillet 2021 portant rejet du recours gracieux présenté par Mme A..., a enjoint à la DRDDI de la région PACA de réexaminer la situation de cette dernière, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 24MA01886, le 19 juillet 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 29 mai 2024.
Il soutient que :
- la décision de ne pas renouveler le contrat de gérance de Mme A... et de prononcer la fermeture définitive de son débit à compter du 11 juillet 2021 ne peut pas être interprétée comme une nouvelle sanction pour les contrôles effectués les 4 juillet et 19 septembre 2019 ; les sanctions disciplinaires et le non-renouvellement, ou la résiliation, d'un contrat de gérance sont de nature juridique distincte ; un tel non-renouvellement n'est pas une sanction administrative : il s'agit d'une mesure contractuelle résultant de la mauvaise exécution ou de l'inexécution de ses engagements par le co-contractant qui ne se met pas en conformité avec ses obligations réglementaires et contractuelles ;
- la fermeture définitive est justifiée au regard des dispositions du 3° de l'article 37 du décret n° 2010-720 du 28 juin 2010 et il demande donc à la Cour de substituer ces dispositions
au 1° du même article qui constitue la base légale initiale de la décision en litige, étant rappelé que tant le non-renouvellement d'un contrat de gérance que la résiliation de celui-ci emportent les mêmes conséquences, à savoir l'impossibilité pour le débitant d'exploiter son point de vente.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2024, Mme A..., représentée par Me Abib, conclut :
- à titre principal, au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, pour les frais engagés pour la présente instance, ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel, soient mis à la charge de l'Etat ;
- à titre subsidiaire, à ce que la Cour ordonne le renouvellement par tacite reconduction du contrat de gérance qu'elle avait signé le 11 juillet 2012, pour une période de trois années, soit initialement jusqu'au 10 juillet 2024, période elle-même renouvelée jusqu'au 10 juillet 2027 ;
- à titre infiniment subsidiaire, à ce qu'elle soit autorisée à présenter un successeur, dans un délai de quatre mois suivant de la notification de l'arrêt à intervenir.
Elle fait valoir que :
- elle a fait l'objet d'une sanction infondée et entachée d'une erreur de droit, outre sa disproportion manifeste ;
- contrairement à ce que soutient le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, la décision de non-renouvellement de son contrat de gérance, suivie d'une résiliation, constitue la plus lourde des sanctions prévues par l'article 2 du décret du 28 juin 2010 et le jugement attaqué devra donc être confirmé en tant que le tribunal administratif de Marseille a estimé que le principe général du droit non bis in idem avait été méconnu ;
- la mesure de fermeture définitive du débit de tabac est également infondée dès lors que le 3° de l'article 37 du décret du 28 juin 2010, dont se prévaut le ministre, n'édicte pas une obligation mais une simple possibilité et que rien ne justifie, en l'espèce, ni le non-renouvellement, ni la fermeture définitive ;
- les manquements qui lui sont reprochés sont " faibles " et ne peuvent pas justifier un non-renouvellement de contrat et une fermeture définitive de son débit de tabac ;
- le non-renouvellement et la résiliation définitive de son contrat de gérance ont été décidés alors même que son tabac a bien été ouvert le jour du contrôle, le 28 septembre 2020, de 13 heures 26 à 22 heures 42, seule la partie bar demeurant fermée une fois le point fait sur les restrictions sanitaires toutes récentes à appliquer ; il s'agit là d'un contrôle particulièrement inapproprié ;
- elle s'oppose à la demande de substitution de base légale présentée par le ministre, laquelle ne fait que démontrer une fois de plus que non seulement les décisions contestées sont entachées d'une erreur de droit manifeste mais également qu'elles étaient dépourvues de base légale ;
- les décisions contestées lui ont causé un préjudice, sans même que l'administration prenne la peine de se conformer à l'injonction pourtant exécutoire de plein droit du tribunal administratif de Marseille de réexamen de la situation ;
- la recherche d'un successeur dans son commerce s'est avérée insurmontable durant la période qui lui a été impartie ; sa demande de délai supplémentaire a été refusée ;
- à titre subsidiaire, c'est donc à tort que la DRDDI n'a pas pris en considération le délai de prévenance de trois mois inclus dans le dernier alinéa de l'article 2 du décret du 28 juin 2010 et l'article 1er de son contrat de gérance ; le renouvellement par tacite reconduction de ce contrat de gérance devra donc être ordonné à titre subsidiaire ;
- à titre infiniment subsidiaire, dans le cas où l'annulation des décisions des 1er et 21 juillet 2021 n'était pas confirmée par la Cour et où le renouvellement par tacite reconduction du contrat de gérance n'était pas ordonné, il conviendra de l'autoriser à présenter un successeur, dans un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.
Un courrier du 16 janvier 2025, adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article
R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.
Par une ordonnance du 19 février 2025, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
II. Par une requête, enregistrée sous le n° 25MA00473, le 24 février 2025, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de surseoir à l'exécution du jugement susvisé du tribunal administratif de Marseille du 29 mai 2024.
Il soutient que :
- il a introduit un recours au fond, conformément à l'article R. 811-17-1 du code de justice administrative ;
- ce recours au fond développe les arguments démontrant l'erreur de droit commise par le tribunal administratif de Marseille, et justifiant l'annulation du jugement querellé et la nécessité d'un sursis à son exécution ;
- conduisant à contraindre l'administration à refaire signer un contrat de gérance avec Mme A... afin de lui permettre d'exploiter le débit de tabac, l'exécution de ce jugement entraînerait, en méconnaissance des dispositions de l'article 9 du décret du 28 juin 2010, la perturbation du maillage du réseau local, compte tenu de la forte concentration de débits de tabac déjà présents dans la zone environnante, impactant les intérêts des débitants dans un contexte marqué par la diminution de la consommation de tabac et l'essor du marché illégal de contrebande.
Par lettre du 27 février 2025, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a été invité, en application de l'article R. 612-1 du code de justice administrative, à régulariser sa requête à fin de sursis à exécution en produisant une copie de son recours en appel, conformément aux dispositions de l'article R. 811-17-1 du même code.
La requête à fin de sursis à exécution a été communiquée à Mme A... qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces des deux dossiers.
Vu :
- le code général des impôts ;
- le décret n° 2010-720 du 28 juin 2010 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la Cour a désigné M. Revert, président assesseur, pour présider la formation de jugement de la 4ème chambre, en application des dispositions de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lombart,
- et les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Depuis le 1er août 2012, Mme A... exploitait, en vertu d'un contrat de gérance ordinaire signé le 11 juillet 2012, un débit de tabac sous l'enseigne " Bar Tabac PMU Au Vizir ", situé 14 rue Colbert à Marseille (13001). A l'issue de contrôles effectués par des agents de la direction régionale des douanes et droits indirects (DRDDI) de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), les 4 juillet et 19 septembre 2019, puis le 28 septembre 2020, Mme A... s'est vue infliger des amendes d'un montant de 550 euros, pour la première, et de 500 euros, pour la seconde. Par un courrier du 6 janvier 2021, le directeur régional des douanes et droits indirects a informé Mme A... de son intention de ne pas renouveler son contrat de gérance qui arrivait à terme le 10 juillet 2021, avant de lui indiquer, par un courrier daté du 22 février suivant, qu'il lui accordait la possibilité de présenter un successeur à la gérance de son débit de tabac jusqu'au 28 mai 2021. Le 1er juillet 2021, en l'absence de présentation d'un tel successeur, le directeur régional a décidé, pour le directeur interrégional, de ne pas renouveler le contrat de gérance et de prononcer la fermeture définitive du débit de tabac, à compter du 11 juillet 2021. Saisi par Mme A..., le tribunal administratif de Marseille a, par un jugement du 29 mai 2024 dont le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel par sa requête enregistrée sous le n° 24MA01886 et dont il demande le sursis à exécution par sa requête enregistrée sous le n° 25MA00473, annulé ces décisions du 1er juillet 2021, ensemble la décision du 21 juillet 2021 portant rejet du recours gracieux présenté par Mme A..., a enjoint à la DRDDI PACA de réexaminer la situation de cette dernière, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la jonction :
2. Les deux requêtes susvisées, présentées par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger des questions semblables. Par suite, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Marseille :
3. L'article 568 du code général des impôts dispose, dans sa rédaction au présent litige : " Le monopole de vente au détail est confié à l'administration qui l'exerce, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret, par l'intermédiaire de débitants désignés comme ses préposés et tenus à droit de licence, des titulaires du statut d'acheteur-revendeur mentionné au dernier alinéa, ou par l'intermédiaire de revendeurs qui sont tenus de s'approvisionner en tabacs manufacturés exclusivement auprès des débitants désignés ci-dessus. / Un débitant de tabac ne peut gérer son activité que sous la forme juridique de l'exploitation individuelle ou de la société en nom collectif dont tous les associés sont des personnes physiques. (...) Les conditions d'exploitation du débit de tabac sont fixées par décret. (...) ". Aux termes de l'article 2 du décret susvisé du 28 juin 2010 relatif à l'exercice du monopole de la vente au détail des tabacs manufacturés : " Le débitant de tabac est lié à l'Etat (administration des douanes et des droits indirects) par un contrat de gérance d'une durée de trois ans, renouvelable par tacite reconduction par période de trois ans. / Le contrat de gérance fixe les obligations du débitant au titre de la vente au détail des tabacs ainsi que les missions de service public qui peuvent lui être confiées par l'Etat. (...) / Le directeur interrégional des douanes et droits indirects peut décider de résilier le contrat de gérance ou de ne pas le renouveler à l'échéance d'une période de trois ans si le débitant de tabac (...) ne respecte pas l'une des obligations fixées par ce contrat ou par le présent décret. Il en informe le débitant et l'invite à présenter ses observations trois mois au moins avant la date d'effet de la mesure envisagée. ". Aux termes de l'article 37 du même décret, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Un débit de tabac ordinaire peut être fermé définitivement sur décision du directeur interrégional des douanes et droits indirects dans les cas suivants : / 1° Démission du gérant sans présentation de successeur ; / 2° Décès du gérant en l'absence d'héritiers ; / 3° Résiliation du contrat de gérance ; / 4° Impossibilité de reprendre un fonctionnement normal au terme d'une fermeture provisoire ; / 5° Expiration de la période de fermeture provisoire après démission consécutive à l'octroi d'une indemnité de fin d'activité ou octroi d'une allocation viagère de départ au cours de cette période. / Les organisations représentant dans le département concerné la profession des débitants de tabac sont informées de la fermeture définitive du débit de tabac. " Selon l'article 41 de ce décret : " Indépendamment des mesures de résiliation ou de non-renouvellement du contrat de gérance mentionnées à l'article 2, tout manquement aux obligations découlant du présent décret et du contrat de gérance ainsi que tout manquement à la législation fiscale commis par un débitant de tabac dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions de préposé de l'administration l'expose à une sanction disciplinaire. / (...) / Le directeur interrégional des douanes et droits indirects peut prononcer les sanctions disciplinaires suivantes : / 1° Avertissement ; / 2° Amende au plus égale à 4 000 euros. / Il peut, après consultation de la commission disciplinaire prévue à l'article 44, infliger une amende supérieure à 4 000 euros et au plus égale à 8 000 euros. ".
4. L'article 2 du décret du 28 juin 2010, précédemment cité, qui figure dans le titre Ier de ce décret, relatif aux " dispositions générales relatives aux débitants de tabac et à la gérance des débits de tabacs ", permet au directeur interrégional des douanes et droits indirects, après avoir invité le débitant de tabac à présenter ses observations, et indépendamment de son pouvoir disciplinaire, de prendre une décision portant non-renouvellement du contrat de gérance signé avec ce débitant, préposé de l'Etat, si ce dernier ne respecte pas l'une des obligations fixées par ce contrat ou par ce décret. Prise dans l'intérêt du service, une telle décision ne revêt pas, par elle-même, le caractère d'une sanction et, en particulier, le caractère d'une sanction disciplinaire, les mesures disciplinaires dont peuvent faire l'objet les débitants de tabac étant limitativement énumérées au 2° de l'article 41 du même décret, lequel figure dans le titre VI de celui-ci intitulé : " Discipline des débitants de tabac ". Il en va également ainsi lorsque pour décider de ne pas renouveler le contrat de gérance, l'autorité compétente considère que des manquements ayant justifié des sanctions disciplinaires traduisent le non-respect par le débitant de tabac des obligations réglementaires et contractuelles lui incombant et sont de nature à remettre en cause le bon fonctionnement du service public de la vente au détail des tabacs manufacturés.
5. Il est constant que le débit de tabac géré par Mme A... a fait l'objet de contrôles les 4 juillet et 19 septembre 2019, puis le 28 septembre 2020, au cours desquels divers manquements aux obligations découlant tant du décret du 28 juin 2010 relatif à l'exercice du monopole de la vente au détail des tabacs manufacturés que du contrat de gérance signé le 1er août 2012 ont été constatés par les services des douanes et droits indirects. Mme A... s'est alors vue successivement infliger, par application des dispositions précitées du 2° de l'article 41 de ce décret, et pour des griefs distincts, deux sanctions disciplinaires consistant respectivement en des amendes d'un montant de 550 et 500 euros, avant que le directeur régional des douanes et droits indirects ne l'informe de sa décision de ne pas renouveler son contrat de gérance. Le directeur régional des douanes et droits indirects pouvait, pour le directeur interrégional, légalement fonder cette décision de non-renouvellement litigieuse, notamment, sur les manquements de Mme A... précédemment sanctionnés, lesquels révélaient une méconnaissance par cette dernière de ses obligations, sans que cette décision, prise en l'espèce non pas pour réprimer ces manquements, mais dans l'intérêt du service alors que l'intéressée n'avait pas donné suite aux invitations du service gestionnaire à effectuer les démarches nécessaires pour se mettre en conformité avec la gestion d'un débit de tabac, ne revête le caractère d'une sanction, et en particulier, d'une sanction disciplinaire. Mme A... n'est dès lors pas fondée à soutenir que la décision contestée portant non-renouvellement de son contrat de gérance aurait été prise en méconnaissance du principe de non-cumul des sanctions. Il suit de là que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a estimé que les décisions litigieuses des 1er et 21 juillet 2021 avaient été prises en méconnaissance de ce principe.
6. Il appartient néanmoins à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Marseille et devant la Cour.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par Mme A... :
S'agissant de la légalité de la décision portant non-renouvellement du contrat de gérance de Mme A... :
7. En premier lieu, alors que le contrat de gérance de Mme A... arrivait à échéance le 10 juillet 2021, le directeur régional des douanes et droits indirects a, conformément à l'article 2 du décret du 28 juin 2010, informé cette dernière, de son intention de ne pas renouveler son contrat de gérance tout en l'invitant à présenter ses observations, par un courrier du 6 janvier 2021, soit dans le délai de trois mois au moins avant le 10 juillet 2021, date d'effet de la mesure envisagée. Mme A... ne peut utilement soutenir, pour conclure au non-respect de ce délai ou à la tacite reconduction de son contrat de gérance, que le directeur régional des douanes et droits indirects serait " reven[u] sur son absence de renouvellement de contrat de gérance au 10 juillet 2021, initialement évoquée le 6 janvier 2021 (...), dans sa correspondance du 22 février 2021 ", cette autorité se bornant, dans ce courrier du 22 février 2021, suite aux observations présentées par le conseil de Mme A... en réponse à son courrier du 6 janvier 2021, à lui accorder la possibilité de présenter un successeur à la gérance du débit de tabac, jusqu'au 28 mai 2021 et à lui indiquer que " si la procédure de présentation de successeur ne devait pas aboutir [à cette date], quelle qu'en soit la raison, [il] ser[a] amené à ne pas renouveler au 10 juillet 2021 son contrat de gérance ".
Il s'ensuit que ces deux moyens doivent être écartés.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment d'une confirmation d'inscription ainsi que d'une attestation de suivi de stage signées par la présidente du centre national de formation des buralistes, organisme de formation professionnelle, que Mme A... a suivi la formation " Renouvellement du contrat de gérance " qui s'est tenue le 17 mai 2021. Toutefois, l'appelante ne pouvait déduire de cette seule participation que le directeur régional des douanes et droits indirects avait décidé de retirer sa décision de ne pas renouveler son contrat de gérance, laquelle n'a été prise que le 1er juillet 2021, ou de renoncer à son intention de prendre une telle décision.
9. En troisième lieu, il n'est pas établi que la décision en litige procèderait de l'intention de sanctionner Mme A.... Par suite, cette décision ne saurait être regardée comme constituant une sanction déguisée. Il suit de là que ce moyen doit être écarté.
10. En quatrième lieu, cette décision ne constituant ni une sanction, ni même une sanction déguisée, le moyen tiré du caractère disproportionné de cette mesure doit être écarté comme inopérant.
11. En cinquième lieu, si Mme A... évoque une erreur de droit qui entacherait la décision litigieuse, elle n'apporte pas les précisions permettant à la Cour d'apprécier le bien-fondé de ce moyen, qui, dans ces conditions, ne peut qu'être écarté.
12. En sixième lieu, aux termes de l'article 20 du décret du 28 juin 2010 relatif à l'exercice du monopole de la vente au détail des tabacs manufacturés : " I. - Le gérant en exercice d'un débit de tabac ordinaire qui cesse son activité, ou le mandataire judiciaire en cas de mise en œuvre de procédure collective, ou le propriétaire du fonds en cas de location-gérance, peut présenter comme successeur au directeur régional des douanes et droits indirects, selon les cas, l'acheteur ou le locataire-gérant du fonds de commerce associé au débit. / S'agissant du gérant en exercice, cette possibilité est subordonnée aux conditions suivantes : / 1° Avoir géré le débit de tabac pendant une durée minimale de trois ans et ne pas avoir manqué à ses obligations durant cette période ; / 2° Etre en mesure d'apurer l'ensemble de ses dettes fiscales et sociales. En outre, en cas de résiliation ou de non-renouvellement du contrat de gérance par le directeur régional des douanes et droits indirects, le débitant peut ne pas être autorisé à présenter un successeur. (...) ". Mme A... soutient que le délai de trois mois que lui a accordé le directeur régional des douanes et droits indirects, par son courrier du 22 février 2021, pour tenter de trouver un successeur, était insuffisant compte tenu des circonstances de l'espèce, et en particulier, du confinement décidé pour lutter contre la pandémie de covid-19. Toutefois, alors que Mme A..., qui a manqué à ses obligations ainsi qu'il a été dit aux points précédents, n'entrait pas dans l'un des cas prévus à l'article 20 du décret du 28 juin 2010, où il est admis que le débitant qui cesse son activité puisse présenter un successeur au directeur interrégional des douanes et droits indirects, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressée aurait, avant l'expiration du délai qui lui avait été fixé, sollicité une prorogation de celui-ci.
13. En septième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A... n'a pas respecté à plusieurs reprises ses obligations fixées par son contrat de gérance et le décret du 28 juin 2010 relatif à l'exercice du monopole de la vente au détail des tabacs manufacturés,
y compris, le 28 septembre 2020, alors qu'en méconnaissance tant des articles 1er et 4 de son contrat que des articles 29 et 30 de ce décret, son débit de tabac avait été fermé sans avertissement préalable à l'administration. Il ressort également des éléments de l'instance que Mme A... n'a pas donné suite aux invitations du service gestionnaire à effectuer les démarches administratives nécessaires qui lui auraient permis de se mettre en conformité avec la gestion d'un débit de tabac, ni davantage à son invitation à trouver un successeur avant le 28 mai 2021. Dans ces conditions, le directeur régional des douanes et droits indirects a pu légalement, sur le fondement des dispositions de l'article 2 du décret du 28 juin 2010, et dans l'intérêt du service, décidé de ne pas renouveler le contrat de gérance de Mme A.... Il n'a ainsi entaché sa décision contestée ni d'une erreur de droit, ni d'une erreur manifeste d'appréciation.
S'agissant de la légalité de la décision portant fermeture définitive du débit de tabac :
14. En premier lieu, aux termes de l'article 37 du décret du 28 juin 2010 relatif à l'exercice du monopole de la vente au détail des tabacs manufacturés, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Un débit de tabac ordinaire peut être fermé définitivement sur décision du directeur interrégional des douanes et droits indirects dans les cas suivants : / 1° Démission du gérant sans présentation de successeur ; / 2° Décès du gérant en l'absence d'héritiers ;
/ 3° Résiliation du contrat de gérance ; / 4° Impossibilité de reprendre un fonctionnement normal au terme d'une fermeture provisoire ; / 5° Expiration de la période de fermeture provisoire après démission consécutive à l'octroi d'une indemnité de fin d'activité ou octroi d'une allocation viagère de départ au cours de cette période. (...) ".
15. Il est constant que Mme A... n'a pas démissionné. La décision litigieuse de fermeture définitive de son débit de tabac a donc été prise, à tort, sur le fondement des dispositions du 1° de l'article 37 de ce décret.
16. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.
17. En l'espèce, la décision litigieuse portant fermeture définitive du débit de tabac en cause, motivée, ainsi qu'il a été déjà dit, par le non-renouvellement du contrat de gérance de Mme A... et par la circonstance qu'elle n'avait pas trouvé de successeur, trouve son fondement légal dans les dispositions du 3° de l'article 37 du décret du 28 juin 2020 qui sont applicables aux fins de contrat de gérance. Ces dispositions peuvent donc être substituées à celles du 1° de ce même article 37, ainsi que le sollicite le ministre, dès lors, d'abord, que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressée d'aucune garantie, ensuite, que l'autorité administrative dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions et, enfin, que Mme A... a été mise à même de faire valoir ses observations par la communication des mémoires en défense du ministre produits tant devant le tribunal administratif de Marseille que devant la Cour. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'erreur de fait révélant une erreur de droit doit être écarté.
18. En deuxième lieu, la mesure de fermeture définitive en cause, prise consécutivement à la décision de ne pas renouveler le contrat de gérance de Mme A..., alors que celle-ci n'avait pas répondu au courrier du 22 février 2021 par lequel le directeur régional lui laissait la possibilité de présenter un successeur à la gérance de son débit de tabac, ne présente, pas davantage que cette décision de non-renouvellement, le caractère d'une sanction. Dès lors, le moyen tiré du caractère disproportionné de cette mesure de fermeture définitive doit être écarté comme inopérant.
19. En troisième et dernier lieu, en décidant la fermeture définitive du débit de tabac exploité par Mme A..., le directeur régional des douanes et droits indirects n'a en tout état de cause pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation alors qu'ainsi qu'il a été dit, son contrat n'avait pas été renouvelé et qu'elle n'avait pas proposé de successeur. Ce moyen doit dès lors être écarté.
20. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé les décisions du directeur régional des douanes et droits indirects de la région PACA prises, pour le directeur interrégional, les 1er et 21 juillet 2021, a enjoint à la DRDDI PACA de réexaminer la situation de cette dernière dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à celle-ci au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Marseille doit donc être rejetée.
Sur les conclusions de Mme A... à fin d'injonction :
21. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions tendant à l'annulation des décisions du directeur régional des douanes et droits indirects de la région PACA des 1er et 21 juillet 2021, n'appelle aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions présentées à cette fin et à titre subsidiaire par Mme A... ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :
22. Le présent arrêt statuant sur la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, enregistrée sous le n° 24MA01886, tendant à l'annulation du jugement rendu par le tribunal administratif de Marseille le 29 mai 2024, sa requête, enregistrée sous le n° 25MA00473, tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce même jugement est privée d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
Sur les dépens :
23. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens. "
24. La présente instance, comme d'ailleurs celle engagée devant le tribunal administratif de Marseille, n'a pas donné lieu à dépens au sens des dispositions précitées. Les conclusions de Mme A... tendant à ce que les entiers dépens soient mis à la charge de l'Etat ne peuvent donc qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
25. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
26. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, enregistrée sous le n° 25MA00473 et tendant au sursis à exécution du jugement n° 2106793 du tribunal administratif de Marseille du 29 mai 2024.
Article 2 : Le jugement n° 2106793 du tribunal administratif de Marseille du 29 mai 2024 est annulé.
Article 3 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Marseille ainsi que ses conclusions d'appel aux fins d'injonction et d'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et à Mme C... A....
Copie en sera adressée au directeur interrégional des douanes et droits indirects de Provence-Alpes-Côte d'azur, Corse.
Délibéré après l'audience du 25 mars 2025, où siégeaient :
- M. Revert, président,
- M. Martin, premier conseiller,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2025.
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Nos 24MA01886, 25MA00473
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