Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 24 juin 2024 par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer a prononcé à son encontre une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance pour une durée de trois mois à compter du 28 juin 2024.
Par un jugement n° 2410233 du 2 août 2024, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 14 août 2024, M. A... B..., représenté par
Me Belmokhtar et Me Lastelle, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- il est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a pas été précédé d'une procédure contradictoire ;
- il est entaché d'un vice de procédure en ce que la preuve de l'information du procureur de la République antiterroriste et du procureur de la République de Bobigny n'est pas rapportée ;
- il est fondé sur des faits matériellement inexacts et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 octobre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz, rapporteur,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de Me Belmokhtar, représentant M. A... B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 24 juin 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a, sur le fondement des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, prononcé à l'encontre de M. A... B..., une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance, d'une durée de trois mois, lui interdisant de se déplacer en dehors du territoire de la commune du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), excepté sur autorisation préalable écrite, et lui faisant obligation de se présenter une fois par jour, à 9 heures 30, au commissariat de police de cette commune, situé place Gabriel Péri, tous les jours de la semaine, y compris les dimanches et jours fériés ou chômés, de confirmer et justifier de son lieu d'habitation auprès du commissariat dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'arrêté ainsi que de déclarer et justifier de tout changement ultérieur de lieu d'habitation. M. A... B... relève appel du jugement n° 2410233 du 2 août 2024 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 228-6 du code de la sécurité intérieure : " Les décisions du ministre de l'intérieur prises en application des articles L. 228-2 à L. 228-5 sont écrites et motivées (...) ".
3. L'arrêté contesté vise les textes du code de la sécurité intérieure dont il fait application et comporte l'ensemble des considérations de fait qui en constitue le fondement. Il expose, tout d'abord, les motifs pour lesquels il existe de sérieuses raisons de penser que le comportement du requérant constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qu'il doit être regardé comme soutenant, diffusant, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, et adhérant à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes. Il précise ensuite les différents éléments permettant de faire regarder l'intéressé comme entrant en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme. Enfin, l'arrêté décrit le contexte national et international dans lequel se déploie la menace terroriste et les raisons pour lesquelles elle se maintient à un niveau élevé, justifiant, au regard notamment de la tenue des Jeux Olympiques et Paralympiques à l'été 2024, l'édiction d'une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance à l'égard du requérant. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté attaqué doit être écarté.
4. En second lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 228-6 du code de la sécurité intérieure : " (...) A l'exception des mesures prises sur le fondement de l'article L. 228-3, le ministre de l'intérieur ou son représentant met la personne concernée en mesure de lui présenter ses observations dans un délai maximal de huit jours à compter de la notification de la décision ".
5. M. A... B... invoque l'absence d'une procédure contradictoire préalable. En l'absence de toute autre précision, l'intéressé doit être regardé comme invoquant la méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration selon lesquelles les décisions qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du même code, au nombre desquelles figurent les mesures de police, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. Toutefois, en vertu du 3° de l'article L. 121-2 de ce code, ces dispositions ne sont pas applicables aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière. Tel est le cas en l'espèce, dès lors que les dispositions susvisées de l'article L. 228-6 du code de la sécurité intérieure ont instauré une procédure contradictoire particulière au sens du 3° de l'article L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration. A cet égard, il ressort de l'article 8 de l'arrêté attaqué que
M. A... B... a été informé de la possibilité de présenter des observations écrites ou orales, dans un délai maximal de huit jours à compter de la notification de la décision, en application des dispositions de l'article L228-6 précité. Dès lors, les prescriptions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ne peuvent être utilement invoquées par le requérant pour soutenir que l'arrêté attaqué aurait été pris à l'issue d'une procédure irrégulière.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure : " Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République antiterroriste et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de : 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. La délimitation de ce périmètre permet à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s'étend, le cas échéant, aux territoires d'autres communes ou d'autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ; 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; 3° Déclarer son lieu d'habitation et tout changement de lieu d'habitation (...) ".
7. La circonstance que le ministre de l'intérieur n'aurait pas informé le procureur de la République, ainsi que le prévoient les dispositions précitées, reste sans incidence sur la légalité de la décision attaquée dès lors que cette information ne constitue pas une procédure préalable obligatoire conditionnant la légalité d'une telle mesure. En tout état de cause, il ressort d'un courrier électronique du 13 juin 2014 que le ministre de l'intérieur et des outre-mer a informé le procureur de la République antiterroriste et le procureur de la République de Bobigny qu'il envisageait de prononcer à l'égard de M. A... B... une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance et leur a indiqué l'essentiel des mesures particulières envisagées. Par suite, le moyen tiré d'un défaut d'information manque en fait.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure : " Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre. ". L'article L. 228-2 du même code énonce que : " Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République antiterroriste et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de : / 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. La délimitation de ce périmètre permet à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s'étend, le cas échéant, aux territoires d'autres communes ou d'autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ; / 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; / 3° Déclarer son lieu d'habitation et tout changement de lieu d'habitation. / Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. (...) ".
9. Il résulte des dispositions de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure que les mesures qu'il prévoit doivent être prises aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme et sont subordonnées à deux conditions cumulatives, la première tenant à la menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics résultant du comportement de l'intéressé, la seconde aux relations qu'il entretient avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ou, de façon alternative, au soutien, à la diffusion ou à l'adhésion à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.
10. D'une part, s'agissant de la première condition, l'arrêté contesté est fondé sur le signalement, en 2019, de l'intéressé, qui est professeur et directeur d'une école élémentaire publique au Blanc-Mesnil, par plusieurs habitants de la commune, ainsi que des parents d'élèves de l'école primaire, pour son comportement prosélyte, sur l'inspection zonale de
l'Education nationale dont il a fait l'objet le 19 janvier 2019 qui a, notamment, constaté son refus de contact physique avec les femmes et la présence de signes physiques caractéristiques d'une pratique religieuse rigoriste, ainsi que sur le fait que, le 29 mars 2023, lors d'une formation obligatoire sur la laïcité et les valeurs de la République, il a formulé des observations qui interrogeaient le principe de laïcité comme servant à stigmatiser certaines religions. Le ministre a déduit de l'ensemble de ces éléments que compte tenu du statut de figure d'autorité de
M. A... B... dans le milieu scolaire et de l'attention qui peut être portée à ses prises de position alors qu'il est acquis à une idéologie islamiste radicale, il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics. L'arrêté indique également que ces éléments sont de nature à faire regarder l'intéressé comme soutenant, diffusant, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, et adhérant à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes, ce qui relève de la deuxième condition mentionnée au point 9.
11. Le requérant fait toutefois valoir que l'inspection zonale de l'Education nationale effectuée au titre de l'année 2018-2019 a relevé qu'il était " soucieux de faire vivre les valeurs de la République à l'école " et que la perquisition réalisée à son domicile le 26 juin 2024 n'a pas permis de relever le moindre élément de nature à démontrer de sa part une pratique rigoriste, voire radicale, de la religion musulmane. Il produit en outre, au soutien de sa contestation des éléments mentionnés par le ministre, de nombreuses photographies, au demeurant non datées, le mettant en scène dans sa vie quotidienne et son milieu professionnel, ainsi que des attestations de collègues de travail, essentiellement féminines, néanmoins postérieures à la date de la décision attaquée. Toutefois, l'ensemble de ces éléments ne suffisent pas à remettre en cause les motifs du ministre précisés au point 10, qui s'appuient sur la note des services de renseignements, précise et circonstanciée, produite en première instance, laquelle contient en outre d'autres éléments de nature à corroborer ces motifs, tirés notamment de la fréquentation par l'intéressé de structures communautaires religieuses connues pour leur idéologie radicale ainsi que de la scolarisation de sa fille au sein d'une structure fréquentée par des familles issues de la mouvance islamiste radicale francilienne.
12. D'autre part et s'agissant également de la seconde condition, l'arrêté contesté est fondé sur le " large réseau relationnel au sein de la mouvance islamiste radicale " de l'intéressé, sur son suivi hebdomadaire de cours de religion dispensés par un professeur acquis à cette idéologie, sur sa fréquentation de la mosquée radicale At Tawid au Blanc-Mesnil, fréquentée par de nombreux fidèles appartenant à la mouvance salafiste ainsi que sur les contacts entretenus avec la sœur d'un individu condamné en 2019 à une peine de neuf ans d'emprisonnement pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Ces motifs, également corroborés par la note des services de renseignement précitée, et non sérieusement contestés par le requérant, sont de nature à le faire regarder comme entretenant des relations avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme.
13. Par suite et compte tenu de l'ensemble de ces éléments qui doivent être appréciés au regard d'un contexte national et international dans lequel la menace terroriste demeure à un niveau particulièrement élevé, notamment en considération du conflit israélo-palestinien à la suite de l'attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre 2023 et de la tenue des Jeux Olympiques et Paralympiques à l'été 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a pu, sans commettre d'erreur de fait ni d'erreur manifeste d'appréciation, et sans méconnaître les dispositions de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, prendre à l'encontre de M. A... B... la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance attaquée.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Sa requête doit donc être rejetée dans l'ensemble de ses conclusions, y compris celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 20 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Doumergue, présidente,
- Mme Bruston, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 janvier 2025.
Le rapporteur,
P. MANTZ La présidente,
M. DOUMERGUE
La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA03707