Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 21 juin 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n°2309574 du 19 juillet 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er août et le 6 novembre 2023, M. A..., représenté par Me Khatifyian, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 19 juillet 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 juin 2023 du préfet de Maine-et-Loire ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de 15 jours à compter de l'intervention de la présente décision, assortie d'une astreinte de 200 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son conseil, une somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il n'est pas justifié que l'arrêté litigieux a été pris par une autorité compétente ;
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;
- il n'est pas établi qu'il se soit vu délivrer dès le début de la procédure, par écrit, les informations prévues à l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans une langue qu'il comprend ;
- il n'est pas établi que l'entretien prévu à l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 a été mené par une personne qualifiée ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'intéressé ne saurait être transféré aux autorités italiennes en raison de son état de santé et de l'absence de conditions matérielles d'accueil dans ce pays qui a demandé la suspension des transferts suite à un afflux de migrants ;
- la décision de transfert méconnait l'article 3-2du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 en raison des défaillances systémiques que connaît l'Italie qui n'est plus en capacité matérielle de reprendre en charge des demandeurs d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 décembre 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pons a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen, a déposé une demande d'asile auprès des services de la préfecture de Maine-et-Loire le 16 mai 2023. La consultation du fichier " Eurodac " a révélé que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Italie les 20 décembre 2022 et 13 janvier 2023. Le 16 mai 2023, l'administration a saisi les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge sur le fondement du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui ont donné leur accord explicite le 22 mai 2023. Par un arrêté du 21 juin 2023, le préfet de Maine-et-Loire a décidé de son transfert aux autorités italiennes. M. A... relève appel du jugement du 19 juillet 2023par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) 2.Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen./ Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ".
3. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et notamment son article 4, et par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment son article 3.
4. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre, l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
5. Le requérant soutient que le préfet a refusé à tort de reconnaitre l'existence de défaillances systémiques en Italie et invoque la méconnaissance des dispositions précitées du 2. de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Dans son arrêté contesté du 21 juin 2023, le préfet de Maine-et-Loire a relevé que les autorités italiennes, saisies le 16 mai 2023 d'une demande de prise en charge de M. A... en application du règlement précité, avaient accepté explicitement leur responsabilité, qu'elles devaient donc être regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile et que l'intéressé n'établissait pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités responsables de l'examen de sa demande d'asile.
6. Toutefois, indépendamment des considérations liées à la situation sanitaire du pays, le requérant se réfère explicitement à une lettre circulaire du 5 décembre 2022 adressée à l'ensemble des services des autres Etats chargés de l'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, par laquelle le ministère de l'intérieur italien a indiqué à ces Etats qu'ils étaient priés de suspendre temporairement les transferts vers l'Italie, à l'exception de ceux liés à la réunification familiale des mineurs non accompagnés, à compter du 6 décembre 2022, pour des raisons liées à l'indisponibilité des installations d'accueil. En application des dispositions précitées de l'article 3-2 du règlement n° 604/2013, il appartient à l'autorité préfectorale, lorsqu'elle détermine l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale, d'apprécier s'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs. En se référant explicitement à la lettre circulaire du 5 décembre 2022 par laquelle l'Etat italien, par une information officielle diffusée à tous les Etats membres, a fait état de l'indisponibilité des installations d'accueil sur son territoire à compter du 6 décembre 2022, le requérant apporte la preuve que ses craintes relatives au défaut de protection en Italie sont fondées, alors que le préfet de Maine-et-Loire n'établit pas, en se bornant à faire état d'éléments statistiques quant à la pression migratoire subie par l'Italie qu'il produit en appel, que l'indisponibilité des installations d'accueil invoquée par l'Italie avait cessé à la date du 21 juin 2023 à laquelle il a décidé le transfert de M. A... vers ce pays. Il s'ensuit que doit être accueilli le moyen tiré par le requérant de ce que le préfet a méconnu les dispositions précitées du 2. de l'article 3 du règlement n° 604/2013 en retenant qu'il n'y avait pas de sérieuses raisons de croire qu'il existait sur tout le territoire de la république italienne des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".
9. L'annulation de la décision de transfert vers l'Italie de M. A... est prononcée au motif que le préfet de Maine-et-Loire a méconnu les dispositions du 2. de l'article 3 du règlement n°604-2013 du 26 juin 2013, dès lors qu'il y avait de sérieuses raisons de croire qu'il existait en Italie, à la date de l'arrêté contesté, des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil des demandeurs. Compte tenu de ce motif d'annulation, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de Maine-et-Loire délivre à M. A..., ainsi qu'il le demande, une attestation de demande d'asile en procédure normale, sous réserve d'un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2. de l'article 3 précité du règlement. En revanche, il n'y a pas lieu en l'espèce d'assortir cette injonction de l'astreinte sollicitée.
Sur les frais liés au litige :
10. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale au titre de la présente instance. Aussi, et dans la mesure où l'Etat est la partie perdante à cette instance, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, la somme de mille (1 000) euros, à verser à Me Khatifyian avocat du requérant. Ce versement vaudra, conformément à cet article 37, renonciation à ce qu'elle perçoive la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle dont bénéficie l'intéressé.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°2309574 du 19 juillet 2023 du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 21 juin 2023 du préfet de Maine-et-Loire décidant du transfert de M. A... aux autorités italiennes sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire d'enregistrer, dans le délai d'un mois, la demande d'asile de M. A... en procédure normale, sous réserves d'un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2. de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera la somme de mille (1 000) euros à Me Khatifyian en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 janvier 2024.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°23NT02339