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03/07/2024 | FRANCE | N°23DA02221

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 03 juillet 2024, 23DA02221


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 3 mai 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2302132 du 9 novembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté et a mis à la charge de l'Etat le versement à M. C... de l

a somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Procé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 3 mai 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2302132 du 9 novembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté et a mis à la charge de l'Etat le versement à M. C... de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 novembre 2023, et un mémoire, enregistré le 5 mars 2024, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Rouen.

Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les anomalies qu'il avait relevées dans les documents d'état civil transmis par M. C... ne suffisaient pas à remettre en cause l'authenticité de ces documents et la véracité des informations qu'ils contenaient.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 février 2024 et le 6 mars 2024, M. C..., représenté par Me Veyrieres, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et à ce qu'une somme de 1 800 euros, à verser à son conseil, soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le moyen soulevé par le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé ;

- le préfet a méconnu l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- en ne saisissant pas autorités guinéennes, le préfet a méconnu l'article 1er du décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;

- il a justifié de son identité, conformément à l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le refus de titre de séjour est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- l'obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour.

Par une ordonnance du 23 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 10 juin 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Pin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. M. C..., ressortissant guinéen, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 6 janvier 2019. S'étant déclaré mineur, il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de Seine-Maritime. Le 15 juin 2021, il a sollicité du préfet de la Seine-Maritime la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 3 mai 2023, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de faire droit à cette demande, a obligé l'intéressé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 9 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais de l'instance.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".

3. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article R. 431-10 du même code prévoit que " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ". L'article 47 du code civil dispose que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

4. En premier lieu, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

6. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son état civil, M. C... a présenté, à l'appui de sa demande, un jugement supplétif d'acte de naissance du 5 septembre 2018, un acte de naissance délivré le 18 septembre 2018 sur le fondement de ce jugement et une carte consulaire délivrée le 24 août 2020, qui attestent d'une naissance le 24 décembre 2022. Ces documents ont fait l'objet d'un examen technique documentaire par la cellule zonale de la fraude documentaire de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Seine-Maritime et ont donné lieu, le 21 novembre 2022, à des rapports d'un brigadier de police, analyste en fraude documentaire et à l'identité.

7. Pour écarter la force probante de ces documents, le préfet s'est appuyé sur l'avis des services de la police aux frontières, ce qu'il pouvait légalement faire pour apprécier le caractère probant des actes d'état civil présentés sans entacher la procédure d'irrégularité.

8. Pour conclure au caractère falsifié du jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance rendu le 5 septembre 2018 par le tribunal de première instance de Conakry II, qui a d'ailleurs été prononcé le même jour que le dépôt de la requête, le service de la police aux frontières a relevé que le timbre sec utilisé était totalement illisible et que le timbre fiscal apposé sur ce document comportait des traces de colle et deux cachets humides différents dont l'un n'est pas reproduit sur le support du document de sorte que ce timbre fiscal provient d'un autre document. En outre, ainsi que le relève le préfet, ce document ne mentionne ni les dates de naissance des parents de l'intéressé, ni leur profession, ni leur domicile en méconnaissance de l'article 196 du code civil guinéen, ce que ne conteste pas l'intimé. Le préfet relève également, sans être sérieusement contredit, que le lien de parenté entre M. C... et la personne qui a introduit la demande de jugement supplétif, laquelle se borne à attester qu'elle connaît l'intéressé depuis son enfance, n'est pas établi. Si M. C... se prévaut d'une seconde version de ce jugement comportant un autre timbre fiscal, les mentions de ce jugement ne sont pas strictement identiques à celles de la première version produite de ce document et l'intéressé ne remet pas sérieusement en cause les autres irrégularités relevées par le préfet. Eu égard à leur nature, ces anomalies majeures affectent les conditions mêmes d'établissement du jugement supplétif produit par M. C....

9. L'acte de naissance du 18 septembre 2018 produit par M. C... a été délivré sur le fondement du document analysé au point précédent et est, dès lors, dépourvu de force probante. En outre, ce document, ainsi que le relève le préfet, a été établi en méconnaissance des dispositions des articles 175, 183 et 196 du code civil guinéen qui prévoient que les actes d'état civil doivent notamment mentionner l'heure à laquelle ils ont été établis, les lieux et dates de naissance des parents, leur profession et leur domicile.

10. Contrairement à ce que soutient le requérant, les dispositions l'article 1er du décret du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger n'imposent pas à l'administration de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre Etat afin d'établir qu'un acte civil présenté comme émanant de cet Etat est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte présente, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration sur la forme habituelle du document, des irrégularités. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que, compte tenu des indices concordants recueillis, le préfet pouvait, sans avoir à solliciter les autorités guinéennes, estimer que les documents d'état civil présentés par M. C... ne permettaient pas d'établir son état de minorité lorsqu'il a été placé à l'aide sociale à l'enfance.

11. De plus, il ressort des pièces du dossier que l'évaluation sociale effectuée le 22 février 2019 avait déjà remis en cause la minorité de M. C... eu égard notamment aux incohérences de son discours.

12. Au regard de la nature et de l'importance des diverses anomalies dont il est fait état ci-dessus, propres à renverser la présomption d'authenticité résultant de l'article 47 du code civil, le préfet de la Seine-Maritime, a pu légalement, sans méconnaître l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni, en tout état de cause, l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, écarter comme dépourvus de valeur probante le jugement supplétif du 5 septembre 2018 et l'acte de naissance du 18 septembre 2018 et considérer qu'ils ne faisaient pas foi des éléments d'état civil qui y sont mentionnés.

13. Si l'intimé se prévaut également d'une carte d'identité consulaire qui lui a été délivrée le 24 août 2020 par les autorités consulaires guinéennes en France, ce document, qui ne constitue pas un acte d'état civil, n'est pas de nature à justifier de son identité dès lors qu'il a été établi sur le fondement de l'acte de naissance du 18 septembre 2018 à caractère non probant.

14. Par suite, et alors même que les autres conditions prévues par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile seraient, ainsi que l'a estimé le tribunal, satisfaites, le préfet n'a pas méconnu les dispositions de cet article en rejetant la demande de titre de séjour présentée sur ce fondement.

15. Il suit de là que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 3 mai 2023 refusant la délivrance d'un titre de séjour à M. C..., l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination au motif que l'intéressé remplissait l'ensemble des conditions posées par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

16. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. C... devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour.

Sur les autres moyens :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

17. Si M. C... soutient qu'il a développé une relation amoureuse avec une ressortissante française depuis 2021, il ne justifie pas de l'ancienneté ni de la stabilité de cette relation. L'intéressé n'établit pas davantage avoir noué des relations amicales intenses sur le territoire français ni avoir perdu l'ensemble de ses attaches privées et familiales en Guinée, pays dans lequel il a vécu jusqu'en 2019. Au vu de ces éléments, et en dépit de la circonstance que M. C... occupait un emploi dans une supérette pour lequel il bénéficiait depuis quelques mois d'un contrat à durée indéterminée, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de l'intéressé.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

18. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen tiré, par voie de l'exception, de l'illégalité de la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour, ne peut qu'être écarté.

19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 3 mai 2023 et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de L. 761-1 du code de justice administrative.

20. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. C... ainsi que celles tendant au remboursement des frais liés au litige.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2302132 du 9 novembre 2023 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Rouen et ses conclusions en appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Seine-Maritime, à M. A... C... et à Me Veyrieres.

Copie en sera adressée à Me Veyrières.

Délibéré après l'audience du 26 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le président de chambre,

Signé : M. B...La greffière,

Signé : S. Cardot

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Sophie Cardot

2

N°23DA02221


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA02221
Date de la décision : 03/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : VEYRIERES

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-03;23da02221 ?
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