Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 13 décembre 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour en France pendant deux ans.
Par un jugement n° 2311084 du 22 décembre 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lille a annulé la fixation du pays de renvoi, enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. B... et rejeté le surplus de la demande.
M. B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 26 décembre 2023 portant fixation du pays de renvoi.
Par un jugement n° 2311467 du 3 janvier 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté et condamné l'Etat à verser une somme de 1 000 euros au titre des frais de justice.
Procédure devant la cour :
I - Par une requête et un mémoire enregistrés les 28 février et 14 juin 2024 sous le numéro 24DA00417, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2 et 3 du jugement du 22 décembre 2023 ;
2°) de rejeter la demande de M. B... devant le tribunal administratif.
Il soutient que le moyen d'annulation retenu par le tribunal n'était pas fondé et qu'il n'a pas violé l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire enregistré le 4 juin 2024, M. B..., représenté par Me Claire Périnaud, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 800 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Il soutient que l'arrêté a violé les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai du 7 mai 2024, l'aide juridictionnelle totale accordée à M. B... a été maintenue.
II - Par une requête enregistrée le 29 février 2024 sous le numéro 24DA00430, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 janvier 2024 ;
2°) de rejeter la demande de M. B... devant le tribunal administratif.
Il soutient qu'il n'a pas violé l'autorité de la chose jugée.
Par un mémoire enregistré le 4 juin 2024, M. B..., représenté par Me Claire Périnaud, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 800 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Il soutient que le préfet a violé l'autorité de la chose jugée.
Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai du 7 mai 2024, l'aide juridictionnelle totale accordée à M. B... a été maintenue.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été informées que la décision était susceptible d'être fondée, dans l'instance n° 24DA00430, sur un moyen relevé d'office tiré de l'annulation du jugement du 3 janvier 2024 par voie de conséquence de l'annulation du jugement du 22 décembre 2023.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Marc Heinis, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Il y a lieu de joindre les requêtes susvisées pour y statuer par une seule décision.
Sur la fixation du pays de renvoi du 13 décembre 2023 :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Pour l'exécution d'une mesure d'éloignement, le choix du pays de renvoi doit prendre en compte la préférence éventuellement exprimée par l'étranger, le pays où il a sa résidence ou est légalement admissible, le centre de ses intérêts et notamment ses attaches familiales ainsi que les risques encourus dans le pays en cause.
3. M. B... a la nationalité du Mali et est titulaire de passeports délivrés par ce pays à Bamako en juin 2011 et juillet 2016. Lors de son audition en septembre 2023 puis devant le juge des libertés et de la détention en décembre 2023, il a lui-même déclaré qu'il n'avait aucun titre de séjour et n'était donc pas légalement admissible en Côte d'Ivoire.
4. M. B... est né en Côte d'Ivoire en 1987. S'il affirme y avoir vécu sans discontinuité jusqu'à son exil en France en septembre 2011, la production du permis de conduire qui lui a été délivré à Abidjan en octobre 2008 ne suffit pas à l'établir. Lors de son audition de septembre 2023, M. B... a déclaré ne pas se souvenir de son adresse à Abidjan.
5. Il ressort du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise de décembre 2017 qui a validé une obligation de quitter le territoire français prononcée à l'encontre de M. B... en novembre 2016, que ses parents et sept de ses frères et sœurs résidaient alors au Mali.
6. Si les parents de M. B... ont obtenu des cartes consulaires de l'ambassade du Mali en Côte d'Ivoire en juin 2013, août 2022 et décembre 2022 et si son père a obtenu à Abidjan une carte de membre du " conseil des maliens de Côte d'Ivoire " en août 2020 et un permis de conduire et une carte grise en mai 2023, c'est seulement en avril 2024, après l'arrêté, que les autorités ivoiriennes ont délivré un certificat de résidence aux intéressés, au surplus d'une durée limitée à six mois et " pour une demande de visa ". Si ces certificats évoquent sans autre précision une " résidence régulière " à Abidjan " depuis 2010 ", cette indication sommaire n'a été corroborée par aucune autre pièce du dossier.
7. En tout état de cause, M. B... a déclaré en septembre 2023 d'une part que ses parents " voyagent, je ne sais pas où ils vivent exactement, ils sont des fois au Mali. Mon père fait du commerce " et d'autre part que " cela fait longtemps que je n'ai pas eu de contact avec eux ", et il ne connaissait alors pas leur numéro de téléphone.
8. Dans ces conditions, contrairement à ce qu'a jugé le magistrat désigné du tribunal, en éloignant M. B... à destination du pays dont il a la nationalité ou de " tout pays dans lequel il est légalement admissible ", le préfet n'a pas porté une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale garantie par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne les autres moyens invoqués par M. B... :
9. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... devant le tribunal et la cour.
10. L'auteur de l'arrêté, adjoint au directeur des migrations et de l'intégration, bénéficiait d'une délégation de signature en vertu de l'article 43 du décret du 29 avril 2004 et d'un arrêté du 30 octobre 2023 signé par le préfet et publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du lendemain.
11. En se bornant à invoquer des informations d'ordre général sur la situation du Mali, en particulier dans la région de Kayes dont est originaire son père, M. B... n'établit pas qu'il était lui-même exposé, à la date de l'arrêté, à un risque personnel et actuel pour sa sécurité en cas d'éloignement vers le Mali.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que les articles 2 et 3 du jugement du 22 décembre 2023 ont annulé la fixation du pays de renvoi du 13 décembre 2023 et enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. B... et que par suite ces articles 2 et 3 doivent être annulés.
Sur la fixation du pays de renvoi du 26 décembre 2023 :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
13. Le jugement du 3 janvier 2024 a annulé cette décision pour violation de la chose jugée par l'article 2 du jugement du 22 décembre 2023. Or cet article 2 doit, ainsi qu'il a été dit, être annulé. Le jugement du 3 janvier 2024 doit donc être annulé par voie de conséquence.
En ce qui concerne les autres moyens de M. B... :
14. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... devant le tribunal et la cour.
15. L'auteur de l'arrêté, chef du bureau du contentieux et du droit des étrangers, bénéficiait d'une délégation de signature en vertu de l'article 43 du décret du 29 avril 2004 et d'un arrêté du 30 octobre 2023 signé par le préfet et publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du lendemain.
16. Conformément aux articles L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et L. 612-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'arrêté a énoncé les motifs de droit et de fait qui l'ont fondé.
17. Il ressort de la motivation de l'arrêté que le préfet a procédé à un examen sérieux des éléments relatifs à la situation de l'intéressé alors portés à sa connaissance.
18. Pour les motifs exposés aux points 2 à 8, les moyens tirés de l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation et de la violation des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le jugement du 3 janvier 2024 a annulé la fixation du pays de renvoi du 26 décembre 2023 et condamné l'Etat à verser une somme de 1 000 euros au titre des frais de justice.
Sur l'application des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative :
20. La présente décision n'implique aucune mesure d'exécution.
Sur l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
21. Les demandes présentées par M. B... et son conseil, partie perdante, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du 22 décembre 2023 ainsi que le jugement du 3 janvier 2024 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de M. B... devant le tribunal et devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet du Pas-de-Calais, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. A... B... et à Me Claire Périnaud.
Délibéré après l'audience publique du 5 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Marc Heinis, président de chambre,
M. François-Xavier Pin, président assesseur,
Mme Alice Minet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : M. Heinis L'assesseur le plus ancien,
Signé : F-X. Pin
La greffière,
Signé : Elisabeth Héléniak
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Elisabeth Héléniak
2
N°24DA00417, 24DA00430