Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Bernard Symoens et la société par actions simplifiée (SAS) Hexa ingénierie ont demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler la décision du 24 juillet 2020 par laquelle la commune de Caudry a résilié le marché de maîtrise d'œuvre portant sur la réhabilitation et l'extension d'un groupe scolaire, d'ordonner la reprise des relations contractuelles avec la commune de Caudry, ou, à défaut, de condamner la commune de Caudry à leur verser la somme de 15 000 euros en réparation de leur préjudice financier et d'annuler la demande de remboursement de la somme de 34 309,80 euros inscrite au décompte de liquidation provisoire, et, d'autre part, d'annuler le décompte de résiliation provisoire et d'annuler la demande de remboursement de la somme de 34 309,80 euros inscrite au décompte de liquidation provisoire.
Par un jugement n° 2006742, 2102175 du 13 juin 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 août 2023, l'EURL Bernard Symoens et la SAS Hexa ingénierie, représentées par Me Ducloy, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 24 juillet 2020 par laquelle la commune de Caudry a résilié le marché de maîtrise d'œuvre ;
3°) d'annuler la décision établissant le décompte de résiliation provisoire ;
4°) de condamner la commune de Caudry à leur verser la somme de 34 309,80 euros HT ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Caudry la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les premiers juges ont omis de statuer sur l'ensemble des conclusions de leur demande tendant à ce que soit constatée l'absence de validité de la mesure de résiliation ; saisi de conclusions indemnitaires, le tribunal administratif devait statuer sur le caractère irrégulier et non fondé de la résiliation ;
- le courrier du 24 juillet 2020 prévoit expressément que la décision de résiliation ainsi que le décompte provisoire pouvaient faire l'objet d'un recours en annulation dans le délai de deux mois de sorte que cette voie de recours lui était ouverte ;
- la mesure de résiliation est insuffisamment motivée ;
- la résiliation du marché n'a pas été prise sur le fondement de l'un des cas posés à l'article 37 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés de prestations intellectuelles ;
- les motifs retenus par commune de Caudry pour résilier le marché pour faute ne sont pas fondés ;
- la commune est seule à l'origine des retards qu'elle impute au groupement de maîtrise d'œuvre ;
- les conditions d'une résiliation pour faute n'étaient pas remplies dès lors qu'aucun manquement ne peut leur être reproché ;
- par le mémoire en réclamation qu'elles ont adressé le 24 septembre 2020 à la commune de Caudry, elles ont lié le contentieux de sorte que leur contestation des sommes inscrites au solde du décompte provisoire sont recevables ;
- en réclamant le remboursement de la somme de 34 309,80 euros HT, la commune de Caudry commet une erreur d'appréciation dès lors qu'elle a accepté, validé et réglé les prestations correspondantes ;
- il est justifié de l'exécution de l'intégralité de la mission de direction de l'exécution des travaux, à hauteur de 70 % de la mission d'assistance aux opérations de réception, de l'intégralité de la mission d'ordonnancement, pilotage et coordination, et à hauteur de 70 % de la mission système de sécurité incendie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2024, la commune de Caudry, représentée par Me Thor, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge des sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par les sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 3 septembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 septembre 2024.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a omis, dans son dispositif, de prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions aux fins de reprise des relations contractuelles résultant de la circonstance que le marché de substitution avait été entièrement exécuté à la date du jugement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 78-1306 du 26 décembre 1978 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pin, président-assesseur,
- les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me Ducloy, représentant l'EURL Bernard Symoens et la SAS Hexa ingénierie et de Me Sule, représentant la commune de Caudry.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. Par un acte d'engagement signé le 5 avril 2016, la commune de Caudry a confié le marché de maîtrise d'œuvre de l'opération de réhabilitation et d'extension d'un groupe scolaire à un groupement conjoint d'entreprises composé de la société Bernard Symoens, en qualité d'architecte mandataire, et de la société Hexa ingénierie, en qualité de bureau d'études techniques. Le 24 juillet 2020, la commune de Caudry a résilié, pour faute, ce marché aux frais et risques de ses titulaires et a décidé de procéder à la passation d'un marché de substitution pour les prestations non réceptionnées. Par un mémoire en réclamation du 24 septembre 2020, les sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie ont contesté cette résiliation et demandé à être déchargées de la somme de 34 309,80 euros hors taxes (HT) figurant dans le décompte provisoire de résiliation.
2. Le même jour, ces sociétés ont introduit devant le tribunal administratif de Lille un recours en contestation de validité de la résiliation et ont sollicité la reprise des relations contractuelles ou, à défaut, à être indemnisées à hauteur de 15 000 euros en réparation de leur préjudice financier. Elles ont également demandé à être déchargées de la somme portée dans le décompte de résiliation provisoire du 24 juillet 2020.
3. Par une seconde demande, enregistrée le 23 mars 2021 au greffe du tribunal administratif de Lille, les sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie ont de nouveau contesté le décompte de résiliation provisoire et demandé à être remboursées de la somme de 34 309,80 euros HT.
4. Par un jugement du 13 juin 2023, dont les sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie relèvent appel, le tribunal administratif de Lille a, après les avoir jointes, rejeté ces demandes.
Sur la régularité du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'omission de constater un non-lieu à statuer et l'étendue du litige :
5. Le juge du contrat, saisi de conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles présentées par un cocontractant de l'administration dont le contrat a fait l'objet d'une résiliation, constate un non-lieu à statuer sur ces conclusions lorsqu'il résulte de l'instruction que le terme stipulé du contrat est dépassé.
6. Il résulte de l'instruction, d'une part, ainsi qu'il résulte du planning prévu par le marché initial confié aux sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie, que l'achèvement du chantier était prévu au plus tard en janvier 2019 et d'autre part, ainsi que l'a soulevé la commune de Caudry dans ses écritures de première instance, que le marché public de substitution de maîtrise d'œuvre confié à la société MV2 architectes, qui avait le même objet que le marché initial, a été entièrement exécuté et a donné lieu le 4 août 2022 à un décompte de liquidation définitif.
7. Après avoir relevé en conséquence, au point 4 de son jugement, que les conclusions aux fins de reprise des relations contractuelles présentées par les sociétés requérantes avaient perdu leur objet au cours de l'instance, le tribunal a omis de constater un non-lieu à statuer sur ces conclusions dans le dispositif de son jugement. Le jugement attaqué est, dès lors, irrégulier et doit, par suite, être annulé dans cette mesure.
8. Il y a lieu, dès lors, d'une part, d'évoquer les conclusions des sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie devant le tribunal administratif tendant à la reprise des relations contractuelles et de constater qu'il n'y a pas lieu d'y statuer et, d'autre part, de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions des sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie.
En ce qui concerne les omissions à statuer :
9. En premier lieu, le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité.
10. Toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. Il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi de conclusions " aux fins d'annulation " d'une mesure de résiliation, de les regarder comme un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation du contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles.
11. Dans ces conditions, en estimant que les conclusions des sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie tendant à l'annulation de la décision du 24 juillet 2020 par laquelle la commune de Caudry a résilié pour faute le marché de maîtrise d'œuvre conclu le 5 avril 2016 devaient être regardées comme visant à la reprise des relations contractuelles, le tribunal administratif n'a pas omis de statuer sur les conclusions qui lui étaient présentées. Est à cet égard sans incidence la circonstance que la commune de Caudry a indiqué à tort, dans le courrier accompagnant la décision de résiliation, que cette mesure pouvait faire l'objet " d'un recours en annulation " devant le tribunal administratif.
12. En second lieu, dès lors qu'il a estimé que les conclusions tendant à la contestation du décompte de résiliation provisoire n'étaient pas recevables, le tribunal administratif n'avait pas à se prononcer sur les moyens tendant à établir que ce décompte était illégal.
Sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision de résiliation :
13. Dans leur requête d'appel, les sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie persistent, sans pour autant contester la requalification de leurs conclusions par le tribunal en recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation du contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles, à demander l'annulation de la décision de résiliation du marché de maîtrise d'œuvre du 24 juillet 2020.
14. Toutefois, ainsi qu'il a été dit, alors même que la décision de résiliation indiquait à tort qu'elle pouvait faire l'objet d'un recours en annulation devant le tribunal administratif, d'une part ces conclusions aux fins d'annulation doivent être regardées comme un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation du contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles et d'autre part de telles conclusions sont désormais sans objet puisque le marché de maîtrise d'œuvre a été entièrement exécuté.
Sur le solde du décompte de résiliation du marché :
15. Aux termes de l'article 35 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles issu du décret du 26 décembre 1978 (CCAG-PI) et rendu applicable au marché en litige par l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières : " 35.1. La personne publique peut, à tout moment, qu'il y ait ou non faute du titulaire, mettre fin à l'exécution des prestations avant l'achèvement de celles-ci, par une décision de résiliation du marché, notifiée dans les conditions du 4 de l'article 2. (...) 35.4. La résiliation fait l'objet d'un décompte qui est arrêté par la personne publique et notifié au titulaire. Les stipulations du 32 de l'article 12 sont applicables à ce décompte. / (...) ". Aux termes du 32 de l'article 12 de ce CCAG : " Toute réclamation sur un décompte doit être présentée par le titulaire à la personne publique dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du décompte. Passé ce délai, le titulaire est réputé avoir accepté le décompte. (...) ".
16. Il résulte de ces dispositions que le différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet, préalablement à toute instance contentieuse, d'un mémoire en réclamation de la part du titulaire du marché et que ce mémoire en réclamation doit être transmis au représentant du pouvoir adjudicateur dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date à laquelle ce dernier lui a notifié le décompte. Le respect de ce délai s'apprécie à la date de réception du mémoire par le pouvoir adjudicateur.
17. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a fait droit à la fin de non-recevoir opposée par la commune de Caudry et a rejeté comme irrecevables les conclusions des sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie tendant à la contestation du solde du décompte provisoire de résiliation du marché au motif que ces sociétés n'avaient pas présenté de mémoire en réclamation dans le délai de quarante-cinq jours, prévu par les stipulations articles 35.4 et 12.32 du CCAG-PI, suivant la notification du décompte, intervenue le 27 juillet 2020.
18. Il n'appartient pas au juge d'appel, devant lequel l'appelant ne conteste pas la fin de non-recevoir opposée à ses conclusions par le juge de premier ressort, de rechercher d'office si cette fin de non-recevoir a été soulevée à bon droit.
19. En se bornant à relever qu'elles ont lié le contentieux en adressant leur mémoire en réclamation le 24 septembre 2020 à la commune de Caudry, les sociétés appelantes ne contestent pas le motif d'irrecevabilité retenu par les premiers juges et tiré de ce que ce mémoire, qui n'a pas été transmis dans le délai de quarante-cinq jours suivant la notification du décompte provisoire de résiliation, était tardif. Dès lors, les conclusions des sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie tendant au remboursement de la somme de 34 309,80 euros HT fixée par ce décompte ne peuvent qu'être rejetées.
20. Il résulte de ce qui précède que les sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté le surplus des conclusions de leur demande.
Sur les frais liés au litige :
21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Caudry, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de chacune des sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie une somme de 1 000 euros à verser à la commune de Caudry au titre de ces mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 13 juin 2023 est annulé en tant qu'il a omis de constater un non-lieu sur les conclusions des sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie tendant à la reprise des relations contractuelles.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande présentée par les sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie devant le tribunal administratif de Lille tendant à la reprise des relations contractuelles.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête des sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie est rejeté.
Article 4 : Les sociétés Bernard Symoens et Hexa ingénierie verseront, chacune, la somme de 1 000 euros à la commune de Caudry sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Bernard Symoens, à la société par actions simplifiée Hexa ingénierie et à la commune de Caudry.
Délibéré après l'audience du 20 février 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- Mme Alice Minet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mars 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : F.-X. Pin
Le président de chambre,
Signé : M. A...La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne au préfet du Nord, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Elisabeth Héléniak
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N°23DA01624