Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 26 juin 2024 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination en cas d'exécution d'office de cette mesure et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.
Par un jugement n° 2406783 du 3 juillet 2024, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 octobre 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. B... devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision portant obligation de quitter le territoire sur la situation personnelle de M. B... n'est pas fondé et ne pouvait être accueilli par le tribunal ;
- les autres moyens présentés par M. B... devant le tribunal administratif de Lille ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à M. B... qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Alice Minet, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant algérien né le 12 novembre 1985, est entré en France le 4 décembre 2015 sous couvert d'un visa de type C valable du 27 octobre 2015 au 23 avril 2016. Par un arrêté du 26 juin 2024, le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
2. A la demande de M. B..., la magistrate désignée du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté par un jugement du 3 juillet 2024. Le préfet du Nord relève appel de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
3. Pour prononcer l'annulation de l'arrêté du 26 juin 2024, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lille a retenu qu'en prononçant l'éloignement de M. B..., le préfet du Nord avait entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé.
4. Toutefois, si M. B... s'est marié avec une ressortissante française le 29 juillet 2019 et réside sur le territoire français depuis son entrée pour la dernière fois le 4 décembre 2015, il ressort des pièces du dossier qu'après avoir été condamné le 11 juillet 2018 par le tribunal correctionnel de Lille à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis pour mariage contracté pour l'obtention d'un titre de séjour et d'une protection contre l'éloignement ou l'acquisition de la nationalité française, M. B... s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour en qualité de conjoint de français et a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français par un arrêté du 26 août 2019, confirmé par un jugement du tribunal administratif de Lille du 8 juillet 2020, auquel il ne s'est pas conformé. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui exerce un emploi d'agent de production alimentaire depuis le mois d'avril 2021, est employé en tant qu'intérimaire et ne se prévaut d'aucun contrat à durée indéterminée. Enfin, M. B... n'apporte aucun élément permettant de démontrer la présence de son frère et de son père en France et l'intensité des liens qu'il entretient avec eux.
5. Dans ces conditions, le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée du tribunal administratif de Lille a estimé que la décision portant obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. B... est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation de l'intéressé.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... devant le tribunal administratif de Lille.
Sur les autres moyens invoqués :
En ce qui concerne les moyens communs :
7. En premier lieu, par un arrêté du 4 avril 2024, régulièrement publié au recueil des actes administratifs n° 126 du 5 avril 2024, le préfet du Nord a donné à Mme E... D..., attachée principale d'administration de l'Etat, adjointe à la cheffe du bureau de la lutte contre l'immigration irrégulière, signataire de l'arrêté attaqué, délégation à l'effet de signer notamment les décisions portant obligation de quitter le territoire français, les décisions relatives au délai de départ volontaire, les décisions fixant le pays de destination et les décisions d'interdiction de retour sur le territoire français. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué doit être écarté.
8. En second lieu, conformément aux articles L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et L. 613-1 et L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'arrêté a énoncé dans ses visas, ses considérants ou son dispositif les motifs de droit et de fait qui ont fondé ses différentes décisions.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.
10. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal d'audition dressé par les services de police le 25 juin 2024, que M. B... a été entendu sur sa situation administrative, sa situation de famille, les conditions de son entrée en France et ses démarches en vue de la régularisation de son séjour et qu'il a été mis en mesure de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur son éventuel éloignement. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Nord a méconnu le droit à être entendu qu'il tient des principes généraux du droit de l'Union européenne.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / 1) au ressortissant algérien, qui justifie par tout moyen résider en France depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant (...) ".
12. M. B... fait valoir qu'il réside en France sans discontinuité depuis le mois de février 2011. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que si M. B... est entré pour la première fois sur le territoire français le 24 janvier 2011, il est retourné en Algérie au cours de l'année 2015, selon ses propres déclarations lors de son audition par les services de police le 25 juin 2024, avant d'entrer à nouveau en France le 4 décembre 2015 sous couvert d'un vice de court séjour valable du 27 octobre 2015 au 23 avril 2016. Dans ces conditions, M. B..., qui ne démontre pas résider en France depuis plus de dix ans, n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée méconnaît les stipulations du 1) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
13. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ".
14. Pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment, et compte tenu de ce que M. B... ne démontre ni être dépourvu de toute attache dans son pays d'origine, ni qu'il ne pourrait pas se réinsérer professionnellement en Algérie, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
En ce qui concerne la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :
15. En premier lieu, il résulte de l'examen de la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de cette décision à l'encontre de la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.
16. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 de ce code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité (...) ".
17. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des déclarations de M. B... au cours de son audition par les services de police le 25 juin 2024, qu'il ne détient pas de document d'identité en cours de validité. En outre, l'intéressé n'a pas déféré à une précédente mesure d'éloignement prise à son encontre par un arrêté du 26 août 2019. Dans ces conditions, le préfet du Nord a pu légalement, pour ces motifs, refuser d'accorder à M. B... un délai de départ volontaire, alors même qu'il exerce une activité professionnelle en France.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
18. En premier lieu, il résulte de l'examen de la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de cette décision à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi.
19. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans :
20. En premier lieu, il résulte de l'examen de la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de cette décision à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
21. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, et dix ans en cas de menace grave pour l'ordre public. ". Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
22. Si M. B... se prévaut de sa présence en France depuis 2011, de sa situation professionnelle et de son ancienne relation avec une ressortissante française à laquelle il a été marié, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été condamné pénalement par le tribunal correctionnel de Lille le 11 juillet 2018 pour avoir contracté un mariage en vue de l'obtention d'un titre de séjour et s'est soustrait à une mesure d'éloignement prise à son encontre par un arrêté du 26 août 2019. Dans ces conditions, sa situation ne caractérise pas l'existence de circonstances humanitaires au sens de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, qui justifieraient que le préfet n'édicte pas d'interdiction de retour sur le territoire français à son encontre. Par ailleurs, au vu de l'ensemble de ces circonstances, le préfet n'a pas fait une inexacte application de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prononçant à l'encontre de M. B... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
23. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 26 juin 2024. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'annulation et à fin d'injonction présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Lille doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2406783 du 3 juillet 2024 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : Les conclusions de M. B... devant le tribunal sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet du Nord, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à M. A... B....
Délibéré après l'audience publique du 6 mars 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président assesseur,
- Mme Alice Minet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mars 2025.
La rapporteure,
Signé : A. Minet Le président de chambre,
Signé : M. C...
La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Elisabeth Héléniak
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N°24DA02116