Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé à titre principal au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 9 février 2023 par lequel la préfète des Vosges l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et à titre subsidiaire de prononcer la suspension de la décision portant obligation de quitter le territoire français jusqu'à la décision de la Cour nationale du droit d'asile et d'enjoindre à la préfète des Vosges de lui délivrer une attestation de demande d'asile ou, à titre subsidiaire, une autorisation provisoire de séjour dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir.
Par un jugement n° 2300718 du 4 avril 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 9 février 2023, a suspendu l'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français du 9 février 2023 jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de sa décision, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci et enjoint à la préfète des Vosges de délivrer à M. A... une attestation de demande d'asile valable jusqu'à la décision de la Cour nationale du droit d'asile dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 23NC01200, le 18 avril 2023, la préfète des Vosges demande à la cour :
1°) à titre principal d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 4 avril 2023 en tant qu'il lui enjoint de délivrer à M. A... une attestation de demande d'asile valable jusqu'à la décision de la Cour nationale du droit d'asile dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement ;
2°) à titre subsidiaire d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 4 avril 2023 en tant qu'il suspend l'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français du 9 février 2023.
Elle soutient que :
s'agissant des conclusions principales à fin d'annulation du jugement en tant qu'il lui enjoint de délivrer à M. A... une attestation de demande d'asile :
- le jugement est entaché de contradiction interne dès lors qu'il suspend l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français après avoir rejeté les conclusions à fin d'annulation de la décision du 9 février 2023 ;
- aucune circonstance ne justifie une telle suspension ;
- l'injonction de délivrer une attestation de demande d'asile est superfétatoire et la priverait définitivement de la possibilité d'exécuter la décision attaquée ;
s'agissant des conclusions subsidiaires à fin d'annulation du jugement en tant qu'il suspend l'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français du 9 février 2023 :
- le jugement est irrégulier en tant qu'il méconnaît les articles L. 5 et L. 9 du code de justice administrative ;
- en méconnaissance de l'article L. 752-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, M. A... ne présente pas des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d'asile, son maintien sur le territoire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 novembre 2023, M. B..., représenté par Me Chaïb, conclut à ce qu'il soit admis à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle et au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la préfète des Vosges ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 15 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 novembre 2023.
II. Par une requête, enregistrée sous le n° 23NC01201, le 18 avril 2023, la préfète des Vosges demande à la cour de prononcer, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à l'exécution du jugement n° 2300718 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy du 4 avril 2023.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché de contradiction interne dès lors qu'il suspend l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français après avoir rejeté les conclusions à fin d'annulation de la décision du 9 février 2023 ;
- aucune circonstance ne justifie une telle suspension ;
- l'injonction de délivrer une attestation de demande d'asile est superfétatoire et la priverait définitivement de la possibilité d'exécuter la décision attaquée.
Par une ordonnance du 5 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 septembre 2023.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 7 décembre 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Sibileau, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant mongol né le 14 mars 1977, est entré en France en août 2022, afin d'y solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision du 31 octobre 2022 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) statuant en procédure accélérée sur le fondement du 1° de l'article L. 531-24 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. A la suite de ce rejet, par un arrêté du 9 février 2023 dont M. A... demande l'annulation, la préfète des Vosges a retiré son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation, sur le fondement des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra, le cas échéant, être reconduit. Par un jugement n° 2300718 du 4 avril 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 9 février 2023, suspendu l'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français du 9 février 2023 jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de sa décision, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci et enjoint au préfet des Vosges de délivrer à M. A... une attestation de demande d'asile valable jusqu'à la décision de la Cour nationale du droit d'asile dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement.
2. Les requêtes 23NC01200, 23NC01201 sont relatives à la situation de la même personne. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions présentées à titre principal à fin d'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a enjoint à la préfète de délivrer à M. A... une attestation de demande d'asile :
3. Aux termes de l'article L. 752-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont le droit au maintien sur le territoire a pris fin en application des b ou d du 1° de l'article L. 542-2 et qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions prévues à la présente section, demander au tribunal administratif la suspension de l'exécution de cette décision jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. ". Aux termes de l'article L. 752-11 du même code : " Le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné, saisi en application des articles L. 752-6 ou L. 752-7, fait droit à la demande de l'étranger lorsque celui-ci présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d'asile, son maintien sur le territoire durant l'examen de son recours par la Cour nationale du droit d'asile ". Aux termes de l'article L. 521-7 du même code : " Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. (...) ".
4. Par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a enjoint à la préfète des Vosges de délivrer à M. A... une attestation de demande d'asile valable jusqu'à la décision de la Cour nationale du droit d'asile dans un délai de huit jours à compter de la notification de son jugement. Contrairement à ce que soutient la préfète des Vosges le caractère superfétatoire d'une telle injonction, à le supposer établi, est sans emport sur la légalité du jugement attaqué et ne saurait être vu comme imposant à l'administration d'abroger une obligation de quitter le territoire français dont l'exécution n'est que suspendue le temps de l'examen de la situation de M. A... par les autorités en charge de l'asile. De surcroît, en suspendant l'exécution de l'arrêté du 9 février 2023 sur le fondement des dispositions précitées après avoir rejeté les conclusions à fin d'annulation de cette mesure d'éloignement, le premier juge n'a pas entaché son jugement d'une contradiction de motifs mais exercé les prérogatives que lui confient la loi lorsque l'étranger présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d'asile, son maintien sur le territoire durant l'examen de son recours par la Cour nationale du droit d'asile.
Sur les conclusions subsidiaires à fin d'annulation :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes. " Aux termes de l'article R. 776-26 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'instruction est close soit après que les parties ont formulé leurs observations orales, soit, si ces parties sont absentes ou ne sont pas représentées, après appel de leur affaire à l'audience ".
6. Il ressort des pièces du dossier que la préfète des Vosges, régulièrement convoquée à l'audience, n'était ni présente ni représentée. M. A..., présent à l'audience, a pu à cette occasion faire valoir des observations qui ont pu régulièrement être prises en compte par la magistrate désignée dans la mesure où l'instruction n'a été close en vertu des dispositions précitées qu'après présentation par les parties de leurs observations orales. Par conséquent, la préfète n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation.
7. En second lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Nancy a répondu de manière suffisamment précise et complète aux moyens dont il était saisi. Par suite, alors que le tribunal n'était pas tenu de répondre à tous les arguments développés à l'appui des moyens dont il était saisi, la préfète n'est pas fondée à soutenir qu'il a insuffisamment motivé son jugement.
En ce qui concerne la légalité de la suspension de l'arrêté du 9 février 2023 :
8. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance. Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l'administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l'administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur.
9. Pour suspendre l'exécution de l'arrêté du 9 février 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy s'est fondée sur les déclarations à la barre de M. A... qui a repris son récit et détaillé les discriminations dont il a fait l'objet en raison de ses origines kazakhes, ainsi que les violences dont il a été victime de la part de son clan et de la part de la famille de son ex-compagne. Le premier juge a estimé qu'en raison de la précision de son récit et des détails fournis à l'audience, M. A... ne peut être regardé comme apportant des éléments sérieux de nature à justifier au titre de sa demande d'asile, son maintien sur le territoire durant l'examen de son recours par la Cour nationale du droit d'asile.
10. La préfète des Vosges, ni présente ni représentée lors de l'audience tenue le 21 mars 2023 par le tribunal administratif de Nancy, ne produit aucun élément de nature à remettre en cause l'appréciation portée par la magistrate désignée sur l'existence d'élément sérieux au sens des dispositions précitées. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 752-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :
11. Le présent arrêt statue sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du 4 avril 2023 du tribunal administratif de Nancy. Il n'y a, par suite, plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête, enregistrée sous le n° 23NC01201 de la préfète des Vosges tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la préfète des Vosges tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du 4 avril 2023.
Article 2 : La requête de la préfète des Vosges est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète des Vosges.
Délibéré après l'audience du 21 février 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- M. Sibileau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mars 2024.
Le rapporteur,
Signé : J.-B. SibileauLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 23NC01200-23NC01201