Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... épouse D... et M. F... D... ont demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les décisions par lesquelles le préfet de Meurthe-et-Moselle a implicitement refusé de leur délivrer un titre de séjour, d'annuler les arrêté du 30 septembre 2022 par lesquels le préfet de Meurthe-et-Moselle a rejeté leur demande tendant à la délivrance d'un titre de séjour et les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays à destination duquel il sont susceptibles d'être éloignés, d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de leur délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir et de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2103411, 2103412, 2203737, 2203738 du 13 avril 2023, le tribunal administratif de Nancy a annulé les arrêtés du 30 septembre 2022, a enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la situation A... et Mme D... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement et de leur délivrer dès la notification du jugement, une autorisation provisoire de séjour et a mis une somme de 2 000 euros à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que Me Chaib renonce à percevoir la contribution de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés sous le n° 23NC01474 le 12 mai 2023 et le 25 septembre 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 13 avril 2023 ;
2°) de rejeter les requêtes A... et Mme D....
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que le traitement médical nécessaire au fils A... et Mme D..., dont le défaut est susceptible d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité, n'était pas disponible en Albanie ; les requérants n'ont pas apporté la preuve contraire à l'avis du collège des médecins de l'OFII de ce que le traitement n'est pas disponible en Albanie.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 septembre 2023, M. et Mme D... concluent au rejet de la requête et demandent :
1°) le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de leur délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir et une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail en application des dispositions des articles L. 911-2 et L. 911-3 du code de justice administrative ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent qu'aucun des moyens soulevés par le préfet de Meurthe-et-Moselle n'est fondé.
M. et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 15 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Guidi, présidente, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. F... D... et Mme E... épouse D..., tous deux ressortissants albanais, sont entrés en France le 3 septembre 2014, selon leurs déclarations, accompagnés de leurs deux enfants, B..., née le 1er mars 2001, et C..., né le 25 avril 2004. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par des décisions du 23 décembre 2014 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmées par des décisions de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 8 juillet 2015. Par des courriers du 12 février 2021, ils ont sollicité la délivrance d'autorisations provisoires de séjour, sur le fondement des anciennes dispositions de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en raison de l'état de santé de leur fils C..., ainsi que leur admission exceptionnelle au séjour. Des décisions implicites de rejet sont nées du silence gardé par le préfet de Meurthe-et-Moselle sur ces demandes. Puis, par des arrêtés du 30 septembre 2022, le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de leur délivrer un titre de séjour et les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays à destination duquel ils sont susceptibles d'être éloignés. Par un jugement du 13 avril 2023 dont le préfet de Meurthe-et-Moselle relève appel, le tribunal administratif de Nancy a annulé ces décisions.
Sur l'aide juridictionnelle :
2. L'aide juridictionnelle totale ayant été accordée à M. et Mme D... par une décision du 15 février 2024, il n'y a plus lieu de statuer sur leurs conclusions tendant à ce que leur soit accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. En premier lieu, les conclusions de la requête dirigées contre les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par le préfet de Meurthe-et-Moselle sur les demandes de titres de séjour présentées par M. et Mme D... doivent être regardées comme dirigées contre les décisions du 30 septembre 2022 qui s'y sont substituées, par lesquelles il a expressément rejeté ces demandes.
4. En deuxième lieu, pour refuser le titre de séjour sollicité par M. et Mme D..., le préfet de Meurthe-et-Moselle a fait application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, auxquelles renvoient l'article L. 425-10 du même code. Aux termes de l'article L. 425-9 du même code : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ".
5. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'OFII doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tout élément permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
6. Pour déterminer si un étranger peut bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire d'un traitement médical approprié, il convient de s'assurer, eu égard à la pathologie de l'intéressé, de l'existence d'un traitement approprié et de sa disponibilité dans des conditions permettant d'y avoir accès, et non de rechercher si les soins dans le pays d'origine sont équivalents à ceux offerts en France ou en Europe.
7. Par un avis du 11 avril 2022, le collège de médecins de l'OFII a considéré que si l'état de santé du jeune C... D... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il peut, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, y bénéficier effectivement d'un traitement approprié et qu'au vu des éléments de son dossier, il peut voyager sans risque vers son pays d'origine. Il ressort des pièces du dossier que le fils A... et Mme D... souffre d'un trouble du spectre de l'autisme sévère se manifestant notamment par un retard dans le langage et des comportements d'opposition importants, nécessitant une prise en charge médicale pluridisciplinaire, une scolarisation adaptée et la prise d'un traitement composé de micropakine et risperdal. Pour remettre en cause l'avis du collège des médecins de l'OFII qui a considéré que le traitement et les soins dont l'enfant a besoin sont disponibles dans son pays d'origine, les requérants produisent un rapport de l'ONG " Save the children " faisant état de la mauvaise prise en charge des enfants atteints de " capacités mentales limitées " en Albanie et une décision du défendeur des droits du 9 février 2021 retranscrivant des correspondances avec l'avocat du peuple de la République d'Albanie, lequel fait valoir que les enfants handicapés n'ont toujours pas accès aux établissements scolaires classiques en Albanie. En outre, il ressort également des pièces du dossier, que l'état de l'enfant requiert un suivi pluridisciplinaire par une équipe médicale avec laquelle il a noué un lien de confiance, ce qui lui a d'ailleurs permis de réaliser des progrès considérables depuis son arrivée sur le territoire français, tant sur le plan de la motricité que sur le plan psychiatrique, alors que celui-ci n'avait pu qu'être maintenu en classe de maternelle dans son pays d'origine jusqu'à l'âge de 8 ans, avant d'être totalement déscolarisé faute d'établissement adapté. Au-delà de la seule prescription de médicaments, le traitement de la pathologie de C... requiert, au moins jusqu'à sa majorité, une stabilité et un lien de confiance avec une équipe médicale pluridisciplinaire indispensable à sa prise en charge et les requérants doivent être regardés comme établissant qu'un tel traitement global, dont il n'est pas contesté que le défaut aurait des conséquences d'une exceptionnelle gravité, n'est pas disponible pour un mineur dans leur pays d'origine. M. et Mme D... apportent ainsi, dans les circonstances de l'espèce, des éléments de nature à contredire l'avis émis par le collège de médecins de l'OFII du 11 avril 2022. Par suite, le préfet de Meurthe-et-Moselle n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy a annulé les décisions prises à l'encontre A... et Mme D....
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Il résulte de l'instruction qu'à la date du présent arrêt, le jeune C... D... est majeur, de sorte que ses parents ne peuvent plus prétendre à la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parents d'un enfant malade sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, il y a seulement lieu d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la situation A... et Mme D... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement et de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour dès notification de l'arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
9. M. et Mme D... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle, leur avocate, Me Chaïb, peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans ces conditions, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Chaïb de la somme de 1 500 euros, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : La requête du préfet de Meurthe-et-Moselle est rejetée.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la situation A... et Mme D... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de leur délivrer dès la notification de l'arrêt, une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'Etat versera à Me Chaïb, avocate des requérants, une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D..., à Mme E... épouse D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Chaïb.
Copie en sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 21 février 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mars 2024.
La rapporteure,
Signé : L. GuidiLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 23NC01474