Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Radidali a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les décisions du 23 juin 2020 par lesquelles le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge les contributions spéciales et forfaitaires pour un montant de 61 494 euros, ensemble la décision du 7 septembre 2020 de rejet de son recours gracieux.
Par un jugement n° 2006936 du 22 février 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 avril 2022, la société par actions simplifiée Radidali, représentée par Me Ichim-Muller, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 22 février 2022 ;
2°) de la décharger de la somme totale de 61 494 euros mise à sa charge au titre de la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail et de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminent de l'étranger dans son pays d'origine prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
3°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les décisions du 23 juin 2020 sont entachées d'une erreur de fait tirée de ce qu'il n'existe aucune relation de travail entre elle et les trois personnes présentes lors des contrôles des agents de l'inspection du travail ;
- l'article L. 626-1 du code du travail ne lui est pas applicable dès lors que MM. Maksimov et M. A... n'étaient pas en situation irrégulière en France.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2024, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me De Froment, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la SAS Radidali sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la SAS Radidali ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'abrogation par la loi n° 2024-42 de l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de ce qu'il appartient au juge administratif, statuant comme juge de plein contentieux sur une contestation portant sur une sanction que l'administration inflige à un administré, de faire application, le cas échéant, d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Sibileau, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 27 mars 2019 à la suite d'un contrôle réalisé par les agents de l'inspection du travail de la Moselle dans l'enceinte d'un camping exploité par la société par actions simplifiée Radidali (ci-après " la SAS Radidali "), cette dernière a été destinataire d'un procès-verbal constatant l'emploi, de trois salariés étrangers démunis d'un titre de séjour les autorisant à exercer une activité salariée en France, MM. C..., B... et D.... Par un courrier du 4 mars 2020, la SAS Radidali a été informée de la mise en œuvre à son encontre des dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail et de celles de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision du 23 juin 2020, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la somme totale de 61 494 euros, correspondant à 54 300 euros au titre de la contribution spéciale pour l'emploi irrégulier de trois travailleurs et de 7 194 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement. Par un jugement n° 2006936 du 22 février 2022 dont la SAS Radidali interjette appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les conclusions à fin d'annulation de la décision du 23 juin 2020.
Sur le cadre juridique applicable au litige :
2. Dans sa version en vigueur au moment des faits, l'article L. 8251-1 du code du travail dispose : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. Il est également interdit à toute personne d'engager ou de conserver à son service un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles qui sont mentionnées, le cas échéant, sur le titre prévu au premier alinéa. ". Aux termes des dispositions de l'article L. 8253-1 du même code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et fixer le montant de cette contribution pour le compte de l'Etat selon des modalités définies par convention. L'Etat est ordonnateur de la contribution spéciale. A ce titre, il liquide et émet le titre de perception. Le comptable public compétent assure le recouvrement de cette contribution comme en matière de créances étrangères à l'impôt et aux domaines. ". Et, aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. Le montant total des sanctions pécuniaires prévues, pour l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler, au premier alinéa du présent article et à l'article L. 8253-1 du code du travail ne peut excéder le montant des sanctions pénales prévues par les articles L. 8256-2, L. 8256-7 et L. 8256-8 du code du travail ou, si l'employeur entre dans le champ d'application de ces articles, le montant des sanctions pénales prévues par le chapitre II du présent titre. L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution. A cet effet, il peut avoir accès aux traitements automatisés des titres de séjour des étrangers dans les conditions définies par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. ".
3. Toutefois, le VII de l'article 34 de la loi du 26 janvier 2024 susvisée dispose que : " La section 2 du chapitre II du titre II du livre VIII du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est abrogée ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2024, applicable à compter du 28 janvier 2024 : " Le ministre chargé de l'immigration prononce, au vu des procès-verbaux et des rapports qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, une amende administrative contre l'auteur d'un manquement aux articles L. 8251-1 et L. 8251-2, sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre. / Lorsqu'il prononce l'amende, le ministre chargé de l'immigration prend en compte, pour déterminer le montant de cette dernière, les capacités financières de l'auteur d'un manquement, le degré d'intentionnalité, le degré de gravité de la négligence commise et les frais d'éloignement du territoire français du ressortissant étranger en situation irrégulière. / Le montant de l'amende est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / L'amende est appliquée autant de fois qu'il y a d'étrangers concernés. / Lorsque sont prononcées, à l'encontre de la même personne, une amende administrative en application du présent article et une sanction pénale en application des articles L. 8256-2, L. 8256-7 et L. 8256-8 à raison des mêmes faits, le montant global des amendes prononcées ne dépasse pas le maximum légal le plus élevé des sanctions encourues. / (...) ".
4. Un juge, saisi d'une contestation portant sur une sanction que l'administration inflige à un administré, se prononçant comme juge de plein contentieux, il lui appartient de prendre une décision qui se substitue à celle de l'administration et, le cas échéant, de faire application d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue.
5. En l'espèce, les dispositions précitées 4 du VII de l'article 34 de la loi du 26 janvier 2024 précédemment citée ont abrogé les dispositions de la section 2 du chapitre II du titre II du livre VIII du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, section qui comprenait les articles L. 822-2 et L. 822-3 de ce code relatifs à la contribution forfaitaire représentative des frais d'éloignement du territoire français, étant rappelé que ces dispositions étaient codifiées aux articles L. 626-1 et suivants de ce code avant le 1er mai 2021. Par conséquent, il y a lieu pour la cour, statuant comme juge de plein contentieux sur les conclusions de la société requérante dirigées contre cette contribution forfaitaire, d'appliquer les dispositions de la loi du 26 janvier 2024 aux manquements commis par cette société.
6. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision mettant à la charge d'un employeur l'amende administrative prévue par les dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail, pour avoir méconnu les dispositions de l'article L. 8251-1 du même code, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient, également, de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant jusqu'au minimum prévu par les dispositions applicables au litige, soit d'en décharger l'employeur. Par ailleurs, pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l'autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d'établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu'il emploie.
Sur les conclusions à fins de décharge :
En ce qui concerne la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail :
7. Le procès-verbal n° 31/2019 du 2 décembre 2019, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire, indique que lors d'un contrôle effectué le 27 mars 2019, les agents de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Grand Est ont constaté que lors de ce contrôle une dizaine de chalets étaient en cours de construction sur le camping, que M. C... était en situation de travail dès lors qu'il posait un revêtement sur un chalet, que M. B... et M. D... étaient revêtus d'habits de travail très usés, et d'autre part que l'adjudant de la gendarmerie de la brigade de Phalsbourg, qui accompagnait les agents de contrôle de l'inspection du travail, avait relevé lors d'un précédent contrôle dans l'enceinte du camping exploité par la SAS Radidali que les trois personnes en cause étaient occupées sur un chantier de terrassement dans l'enceinte de ce camping. Par suite, la SAS Radidali n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'existait une relation de travail entre elle et les trois personnes susévoquées.
8. Il résulte de l'instruction, par des pièces produites pour la première fois à hauteur d'appel, que MM. Maksimov et A... étaient titulaires, chacun en ce qui le concerne, d'un visa de court séjour " Schengen " mais qu'ils n'étaient pas pour autant autorisés à travailler. Par suite, la SAS Radidali n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges n'ont pas prononcé la décharge de l'amende administrative prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail.
En ce qui concerne la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement :
9. Les sanctions encourues en vertu des articles L. 822-2 et L. 822-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers ont le caractère d'une sanction que l'administration inflige à un administré. Il y a lieu pour la cour de relever d'office que ces dispositions ont été abrogées par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 et de prononcer la décharge de la somme de 7 194 euros à laquelle la société Radidali a été assujettie au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Radidali est seulement fondée à demander à être déchargée de la somme de 7 194 euros correspondant aux contributions forfaitaires représentatives des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine mises à sa charge.
Sur les frais d'instance :
11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a lieu de faire droit ni aux conclusions de la SAS Radidali présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ni à celles de l'Office français de l'immigration et de l'intégration présentées sur le même fondement.
D E C I D E :
Article 1er : La SAS Radidali est déchargée des contributions forfaitaires représentatives des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine mises à sa charge.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 22 février 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus de la requête est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de l'Office français de l'immigration et de l'intégration présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Radidali, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- M. Sibileau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juin 2024.
Le rapporteur,
Signé : J.-B. SibileauLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 22NC00980