Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 3 août 2023 par lequel le préfet de la Marne lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2302030 du 21 novembre 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 décembre 2023, M. A..., représenté par la Selarl Le Cab Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 21 novembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 3 août 2023 par lequel le préfet de la Marne lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Marne de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de deux mois suivant la décision à intervenir et dans cette attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à la Selarl Le Cab Avocats, conseil de M. A..., la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les premiers juges et le préfet de la Marne ont commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant qu'il pouvait bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé en cas de retour en Géorgie ;
- le préfet de la Marne a méconnu les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en lui opposant un refus de titre de séjour :
. son traitement n'est toujours pas disponible en Géorgie à la date de la décision litigieuse, tout comme il ne l'était déjà pas en 2021 et 2022 lorsqu'il a bénéficié d'autorisations et de titres de séjour en raison de son état de santé : l'advagraf et le cellcept ne sont pas disponibles sur le marché pharmaceutique en Géorgie ;
. compte-tenu du coût financier de son traitement et de ses ressources financières, il ne pourra pas acheter ses médicaments ;
- l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour entrainera par voie de conséquence l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination ;
- pour le surplus, il s'en remet à ses développements de première instance.
Le préfet de la Marne, à qui la procédure a été communiquée, n'a pas produit de mémoire en défense.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité géorgienne, est entré en France le 4 décembre 2017 et y a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Sa demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 30 mars 2018 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 3 décembre 2018. Il a sollicité le 3 janvier 2019 une protection contre l'éloignement en raison de son état de santé. Il a bénéficié d'autorisations provisoires de séjour puis de titres de séjour portant la mention " vie privée et familiale " en raison de son état de santé dont le dernier était valable jusqu'au 29 mai 2023. M. A... a sollicité le 6 mars 2023 le renouvellement de son droit au séjour. Par un arrêté du 3 août 2023, le préfet de la Marne a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit. M. A... relève appel du jugement du 21 novembre 2023 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté préfectoral.
Sur la décision de refus de titre de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée. (...) ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. Pour déterminer si un étranger peut bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire d'un traitement médical approprié, il convient de s'assurer, eu égard à la pathologie de l'intéressé, de l'existence d'un traitement approprié et de sa disponibilité dans des conditions permettant d'y avoir accès, et non de rechercher si les soins dans le pays d'origine sont équivalents à ceux offerts en France ou en Europe. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tout élément permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. En l'espèce, par un avis du 30 mai 2023, le collège de médecins du service médical de l'OFII a estimé que si l'état de santé de M. A... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il pouvait effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine, à savoir la Géorgie.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui a levé le secret médical, souffre d'une insuffisance rénale, qui a donné lieu à une transplantation le 14 juillet 2020, et d'une insuffisance cardiaque. Son traitement médicamenteux comprend notamment deux anti-rejets, l'avagraf et le cellcept. Le requérant produit à hauteur d'appel un certificat médical du 11 décembre 2023 précisant que le traitement immunosuppresseur est " non substituable car avec marge thérapeutique étroite ". Il produit également une attestation de l'agence de régulation de l'activité médicale de Géorgie de 2024 qui liste toute une catégorie de médicaments non enregistrés sur le marché géorgien, dont certains figurent dans l'ordonnance médicale du 9 août 2023 versée au dossier et qui précise les 15 prescriptions relatives au traitement de l'affection de longue durée dont le requérant a besoin. Dans ces conditions, ces éléments suffisamment précis et circonstanciés, qui ne sont pas contestés par le préfet dans la présente instance, doivent être regardés comme établissant que M. A... ne pourra pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine. Il suit de là que la décision par laquelle le préfet de la Marne lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que cette illégalité entraîne, par voie de conséquence, celle de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de destination.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Marne du 3 août 2023.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".
8. L'annulation, pour le motif indiqué au point 5 du présent arrêt, de l'arrêté du préfet de la Marne du 3 août 2023 implique nécessairement que soit délivré à M. A... un titre de séjour " vie privée et familiale ". Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au préfet de la Marne de lui délivrer ce titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dès la notification du présent arrêt sur le fondement de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précité.
Sur les frais liés à l'instance :
9. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut ainsi se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à la Selarl Le Cab avocats, avocat de M. A..., de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 21 novembre 2023, n° 2302030, du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et l'arrêté du 3 août 2023 du préfet de la Marne sont annulés.
Article 2 : ll est enjoint au préfet de la Marne de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dès la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la Selarl Le Cab Avocats, avocat de M. A..., une somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la Selarl Le Cab Avocats.
Copie en sera adressée au préfet de la Marne.
Délibéré après l'audience du 27 août 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- Mme Guidi, présidente assesseure,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2024.
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N° 23NC03644