Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 26 janvier 2022 par lequel le préfet de la Haute-Saône lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2200461 du 4 avril 2022, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 février 2023, M. A..., représenté par Me Bertin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 4 avril 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 26 janvier 2022 par lequel le préfet de la Haute-Saône lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Saône de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les premiers juges se sont abstenus à tort de faire usage de leurs pouvoirs d'instruction ; ils ont commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation en estimant que l'évaluation conduite par les agents du département avait une valeur probatoire ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire méconnaît les dispositions du 1° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que l'entretien d'évaluation à l'issue duquel il a été déclaré majeur par le conseil départemental de la Haute-Saône est entaché de multiples irrégularités, et n'a dès lors aucun caractère probant ;
- en l'absence de portée probatoire de l'évaluation l'ayant déclaré majeur, le département aurait dû saisir l'autorité judiciaire afin que des examens radiologiques soient réalisés conformément à l'article 388 du code civil.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2023, le préfet de la Haute-Saône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 janvier 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 20 novembre 2019 pris en application de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles relatif aux modalités de l'évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Lusset, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a déclaré être ressortissant ivoirien, né le 19 octobre 2005, et être entré sur le territoire français le 24 décembre 2021. A la suite de sa demande d'accueil à l'aide sociale à l'enfance, la minorité de l'intéressé n'a pas été reconnue par le conseil départemental de la Haute-Saône. Par un arrêté du 26 janvier 2022, le préfet de la Haute-Saône a obligé M. A... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le requérant relève appel du jugement du 4 avril 2022 du tribunal administratif de Besançon qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. M. A... ne peut ainsi utilement se prévaloir d'une erreur de droit ou d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 111-3, 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'aurait commis les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.
3. Par ailleurs, la possibilité de solliciter des parties la production de pièces ou documents utiles à la solution du litige ou de solliciter une expertise constitue l'un des pouvoirs propres du juge, qui n'est pas lié en cela par la demande des parties et qui décide ainsi souverainement de recourir à de telles mesures. En s'abstenant de faire la mesure d'instruction demandée, les premiers juges n'ont ainsi pas entaché leur jugement d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) ". Aux termes des dispositions de l'article L. 611-3 du même code, dans sa version alors en vigueur : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / 1° L'étranger mineur de dix-huit ans ; (...) ".
5. D'une part, en vertu de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Cette protection ne fait pas obstacle à ce qu'une mesure d'éloignement soit prise par l'autorité administrative à l'égard d'une personne dont elle estime, au terme de l'examen de sa situation, qu'elle est majeure, alors même qu'elle allèguerait être mineure. Elle implique en revanche que, saisi dans le cadre du recours ouvert contre une telle mesure, le juge administratif se prononce sur la minorité alléguée sauf, en cas de difficulté sérieuse, à ce qu'il saisisse l'autorité judiciaire d'une question préjudicielle portant sur l'état civil de l'intéressé. Dans l'hypothèse où une instance serait en cours devant le juge des enfants, le juge administratif peut surseoir à statuer si une telle mesure est utile à la bonne administration de la justice. Lorsque le doute persiste au vu de l'ensemble des éléments recueillis, il doit profiter à la qualité de mineur de l'intéressé.
6. D'autre part, aux termes de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles, dans sa version alors en vigueur : " I. - Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence d'une durée de cinq jours, à compter du premier jour de sa prise en charge, selon les conditions prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 223-2. II. - Au cours de la période d'accueil provisoire d'urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d'évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. / Cette évaluation peut s'appuyer sur les informations qui sont fournies au président du conseil départemental par le préfet de département et, à Paris, par le préfet de police, sur des entretiens avec la personne et sur des examens dans les conditions suivantes. / Le président du conseil départemental peut demander au préfet de département et, à Paris, au préfet de police de l'assister dans les investigations mentionnées au premier alinéa du présent II, pour contribuer à l'évaluation de la situation de la personne au regard de son isolement et de sa minorité. (...) Le président du conseil départemental peut également solliciter le concours du préfet de département et, à Paris, du préfet de police pour vérifier l'authenticité des documents détenus par la personne. / Les entretiens mentionnés au deuxième alinéa du présent article sont conduits par des professionnels justifiant d'une formation ou d'une expérience définie par arrêté des ministres mentionnés au III dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire et se déroulant dans une langue comprise par l'intéressé. / Les examens mentionnés au deuxième alinéa du présent article sont ceux prévus au deuxième alinéa de l'article 388 du code civil. Ils sont mis en œuvre selon la procédure prévue à cet article. (...) III. L'évaluation est réalisée par les services du département, ou par toute structure du secteur public ou du secteur associatif à laquelle la mission d'évaluation a été déléguée par le président du conseil départemental. (...) IV. Au terme du délai mentionné au I, ou avant l'expiration de ce délai si l'évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 223-2 et du second alinéa de l'article 375-5 du code civil. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I se prolonge tant que n'intervient pas une décision de l'autorité judiciaire. (...) ".
7. En l'espèce, les investigations menées par les services du département de la Haute-Saône, qui ont interrogé M. A... sur sa situation personnelle, ont permis de conclure à la majorité de l'intéressé, compte tenu notamment des incohérences en ce qui concerne sa vie dans son pays d'origine et son parcours migratoire, ainsi que de l'absence de tout document d'identité justifiant de son âge et de sa posture qui correspond plus à celle d'un majeur qu'à celle d'un adolescent. Le préfet de la Haute-Saône, qui s'est fondé, notamment, sur les résultats de cette évaluation ainsi que sur la circonstance que le requérant est dépourvu de tout document d'identité, l'a considéré comme étant majeur et a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français.
8. D'une part, si le requérant se prévaut d'une présomption de minorité dont bénéficierait toute personne en attendant qu'il soit statué sur son âge par l'autorité judiciaire, une telle présomption ne résulte d'aucun texte, y compris des dispositions de l'article 388 du code civil ou des stipulations de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ou de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni d'aucun autre principe.
9. D'autre part, si M. A... soutient que son évaluation par les agents du département de la Haute-Saône a été entachée d'irrégularités, une telle circonstance, à la supposer même établie, est, en tant que telle, sans incidence sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français. En outre et en tout état de cause, s'il fait valoir qu'il n'a pas disposé du temps nécessaire pour lui permettre de démontrer sa minorité durant cette évaluation, aucune disposition légale ou réglementaire n'impose de durée minimum pour la conduite de l'entretien dont il s'agit. En outre, l'intéressé n'apporte aucun élément à l'appui de son allégation selon laquelle les personnels du département de la Haute-Saône qui ont procédé à l'entretien d'évaluation de sa minorité se seraient départis de leur obligation de neutralité ou d'impartialité. A cet égard, le moyen tiré de la violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif au droit pour toute personne de bénéficier d'un procès équitable, ne peut être utilement invoqué concernant l'entretien d'évaluation précité réalisé en dehors de toute instance juridictionnelle. Par ailleurs, si le requérant fait valoir que l'une des deux évaluatrices n'a pas suivi le nombre exact d'heures de formation exigé par l'article 5 de l'arrêté du 20 novembre 2019 susvisé, cette circonstance n'est pas de nature, en tout état de cause, à invalider les résultats de l'évaluation conduite par les agents du département quant à l'appréciation de sa minorité. De même, s'il allègue que l'évaluation était dénuée de caractère pluridisciplinaire, il ne l'établit pas.
10. Enfin, il ressort des termes de l'arrêté attaqué que le préfet, pour considérer que M. A... était mineur, s'est fondé sur l'évaluation du département dont le contenu n'est pas contesté, mais également sur l'absence de tout document d'identité permettant de justifier de son état civil. Le requérant n'apporte, dans le cadre de la présente procédure, aucun élément de nature à démontrer sa minorité. Il s'ensuit que le préfet de la Haute-Saône pouvait, sans commettre d'erreur de droit, se fonder notamment, pour forger son appréciation, sur cette évaluation et sur le refus subséquent du département de prendre en charge comme mineur isolé M. A... pour estimer que celui-ci, qui n'a au demeurant pas contesté cette décision devant le juge des enfants, était majeur et qu'il n'était ainsi pas protégé par les dispositions précitées du 1° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. En second lieu, la circonstance que le département de la Haute-Saône n'ait pas saisi l'autorité judiciaire d'une demande de test osseux sur le fondement de l'article 388 du code civil est sans incidence sur la mesure d'éloignement contestée.
12. Il résulte de tout ce qui précède, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Saône du 26 janvier 2022. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, sous astreinte, ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être également rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et à Me Bertin.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Saône.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Barteaux, président assesseur,
- M. Lusset, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : A. LussetLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 23NC00681