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30/12/2024 | FRANCE | N°24NC01712

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 30 décembre 2024, 24NC01712


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 16 novembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a refusé le séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.





Par un jugement n° 2402060 du 10 juin 2024, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 16 novembre 2023 de la préfète du Bas-Rhin, l'a enjoint à

réexaminer la situation de Mme A... dans un délai de deux mois et enfin, a mis à la charge de l'Etat une som...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 16 novembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a refusé le séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2402060 du 10 juin 2024, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 16 novembre 2023 de la préfète du Bas-Rhin, l'a enjoint à réexaminer la situation de Mme A... dans un délai de deux mois et enfin, a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédures devant la cour :

I/ Par une requête enregistrée le 28 juin 2024, sous le numéro 24NC01712, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2402060 du 10 juin 2024 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Strasbourg et tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 novembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a refusé le séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu comme moyen d'annulation de son arrêté préfectoral, celui du défaut d'examen particulier et complet de la demande de titre de séjour de Mme A... :

. alors qu'elle n'a débuté son activité professionnelle que le 23 septembre 2023, soit près d'un an après le dépôt de sa demande de titre de séjour du 4 octobre 2022, elle n'a pas pu se prévaloir d'une situation qui n'existait pas à la date de ce dépôt ;

. aucune des pièces du dossier ne permet d'établir que Mme A... se serait prévalue de sa situation professionnelle à l'appui de sa demande de titre de séjour ;

- les autres moyens soulevés en première instance par Mme A... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 septembre 2024, Mme A..., représentée par Me Elsaesser, conclut :

- à titre principal, au rejet de la requête d'appel de la préfète du Bas-Rhin et par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement en ce qu'il n'a pas enjoint à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour pourtant la mention " vie privée et familiale " ;

- à titre subsidiaire, à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 16 novembre 2023 et à ce qu'il soit enjoint à titre principal à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", d'une durée d'un an, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de lui délivrer sans délai, dans l'attente de la confection de la carte, un récépissé avec autorisation de travailler, le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou à ce qu'il soit enjoint à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois et sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de lui délivrer, sans délai et durant le réexamen, une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

- en tout état de cause, à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros hors taxes sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la requête d'appel de la préfète du Bas-Rhin n'est pas recevable car elle ne critique pas utilement le jugement rendu par le tribunal administratif de Strasbourg ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu le moyen tiré du défaut d'examen réel et sérieux de sa situation ; elle s'est prévalue de son insertion professionnelle durant l'instruction de sa demande de titre de séjour et a notamment produit son contrat de travail à la préfète le 11 octobre 2023 ;

par la voie de l'appel incident :

- en méconnaissance de la jurisprudence de la société Eden du conseil d'Etat, n° 409678, les premiers juges n'ont pas examiné en priorité les moyens d'illégalité qui auraient permis de faire droit à sa demande d'injonction formée à titre principal et tendant à ce que lui soit délivré un titre de séjour ; ce faisant, ils ont entaché d'irrégularité le jugement litigieux car ils ont méconnu leur office ;

- ils ont omis de statuer sur le moyen d'illégalité tiré de l'atteinte disproportionnée au droit de mener une vie privée et familiale normale ;

- ils n'ont pas assorti leur injonction d'une astreinte pour assurer son effet utile et son exécution sans le délai précisé dans le jugement litigieux ;

par la voie de l'évocation :

sur la décision portant refus de titre de séjour :

- elle est insuffisamment motivée et est entachée d'erreurs de fait substantielles ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit à mener une vie privée et familiale normale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation, comme cela ressort notamment des erreurs et omissions de l'arrêté préfectoral du 16 novembre 2023 ;

- elle est entachée d'une erreur de droit car elle justifie d'une entrée régulière en France, compte tenu d'une apposition des autorités hongroises sur son passeport, contrairement à ce qui est précisé dans l'arrêté litigieux ;

- la préfète a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de son pouvoir discrétionnaire d'admission au séjour sur le fondement de l'article R. 434-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle doit être annulée en conséquence de l'illégalité de la décision de refus de séjour ;

- elle est entachée d'une insuffisance de motivation en fait ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que la préfète s'est estimée en compétence liée ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle porte une atteinte disproportionnée au droit de mener une vie privée et familiale normale ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

sur la décision fixant le pays de renvoi :

- elle doit être annulée en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et porte une atteinte disproportionnée au droit à mener une vie privée et familiale normale.

II/ Par une requête enregistrée le 28 juin 2024, sous le numéro 24NC01714, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution du jugement du 10 juin 2024 qui a annulé son arrêté préfectoral du 16 novembre 2023 pris à l'encontre de Mme A....

Elle soutient qu'il existe des moyens sérieux de nature à justifier l'annulation du jugement et soulève les mêmes moyens que ceux invoqués dans sa requête n° 24NC01712.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 septembre 2024, Mme A..., représentée par Me Elsaesser, conclut :

- au rejet de la requête ;

- à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros hors taxes sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle fait valoir que :

- la requête d'appel est irrecevable car les conditions requises pour le sursis à exécution ne sont pas remplies ; la préfète ne démontre pas l'existence d'une urgence ou de conséquences difficilement réparables d'une exécution du jugement en litige, ni de moyens sérieux justifiant le sursis ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu le moyen tiré du défaut d'examen réel et sérieux de sa situation ; elle s'est prévalue de son insertion professionnelle durant l'instruction de sa demande de titre de séjour et a notamment produit son contrat de travail à la préfète le 11 octobre 2023, soit avant l'arrêté préfectoral litigieux du 16 novembre 2023 ;

- en tout état de cause, l'arrêté préfectoral est illégal ;

- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation ;

- la décision pourtant refus de titre de séjour est insuffisamment motivée et est entachée d'erreurs de fait substantielles ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit à mener une vie privée et familiale normale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions des articles L.435-1 et L.423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation sur sa situation personnelle ;

- elle est entachée d'une erreur de droit car elle justifie d'une entrée régulière en France, compte tenu d'une apposition des autorités hongroises sur son passeport, contrairement à ce qui est précisé dans l'arrêté litigieux ;

- la préfète a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de son pouvoir discrétionnaire d'admission au séjour sur le fondement de l'article R. 434-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Mme A... a été admise à l'aide juridictionnelle totale pour ces deux instances par deux décisions du 29 août 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante albanaise, est entrée en France le 10 octobre 2020 selon ses déclarations. Le 4 octobre 2022, elle a sollicité son admission au séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 16 novembre 2023, la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé un pays de destination. Par deux requêtes distinctes, qu'il y a lieu de joindre pour y statuer par un seul arrêt, la préfète du Bas-Rhin relève appel du jugement du 10 juin 2024 qui a annulé cet arrêté préfectoral et en demande le sursis à exécution. Par la voie de l'appel incident, Mme A... doit être regardée comme sollicitant l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté sa demande d'injonction à la délivrance d'un titre de séjour.

Sur l'appel principal de la préfète du Bas-Rhin :

2. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat. ".

3. En présence d'une demande de régularisation déposée, sur le fondement de ces dispositions, par un étranger dont la présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels et, à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que par exemple, l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour.

4. Mme A... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle se prévalait pour ce faire notamment de sa situation salariée en France comme aide à domicile depuis le 23 septembre 2023, sous contrat à durée indéterminée à temps partiel. Il ressort des pièces du dossier que la copie de ce contrat de travail a été communiquée à la préfète avant la décision litigieuse. Or, il ressort des termes de la décision en litige que, pour lui refuser la délivrance d'un titre de séjour, au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la préfète du Bas-Rhin s'est bornée à indiquer de manière générale qu'" elle ne présente pas de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels lui permettant une admission au séjour ". Par ailleurs, les éléments de motivation précédemment énoncés dans l'arrêté en litige sont exclusivement relatifs à la situation administrative et familiale de Mme A.... Ainsi, faute d'examiner notamment si l'expérience de l'intéressée dans le domaine de l'aide à la personne et les caractéristiques de l'emploi qu'elle occupait à la date de la décision en litige pouvaient constituer, compte tenu par ailleurs des autres éléments de sa situation personnelle, des motifs exceptionnels d'admission au séjour au titre du travail, la préfète du Bas-Rhin a entaché sa décision de refus de titre de séjour d'un défaut d'examen.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête d'appel de la préfète du Bas-Rhin, que cette dernière n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé sa décision du 16 novembre 2023 portant refus de titre de séjour et par voie de conséquence celles portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Sur les conclusions d'appel incident de Mme A... :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

6. Lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées, à titre principal, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et, à titre subsidiaire, sur le fondement de l'article L. 911-2.

7. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l'excès de pouvoir n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée. Statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale.

8. Il ressort de la motivation du jugement attaqué que celui-ci annule l'arrêté préfectoral du 16 novembre 2023, " sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ", retenant le motif tiré de ce que la préfète du Bas-Rhin n'a pas procédé à l'examen particulier et complet de la demande de titre de séjour de Mme A.... Eu égard à ce qui a été dit ci-dessus, en statuant ainsi, et en ne prononçant qu'une injonction de réexamen de la demande de Mme A..., le tribunal a écarté, après les avoir examinés, les autres moyens invoqués devant lui et susceptibles de justifier qu'une injonction de délivrance d'un titre de séjour soit ordonnée à l'autorité administrative compétente. Contrairement à ce que soutient la requérante, il n'avait pas à le faire explicitement. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué au motif que le premier juge aurait omis de statuer sur des moyens et auraient méconnu son office en n'examinant pas en priorité les moyens d'illégalité qui lui auraient permis de faire droit à sa demande d'injonction formée à titre principal, doit être écarté.

En ce qui concerne l'injonction à délivrance d'un titre de séjour sollicitée en première instance :

9. Aux termes des dispositions des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...).2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

10. Il ressort des pièces du dossier que la requérante est entrée en France en octobre 2020 et vit avec un ressortissant kosovar, en situation régulière qu'elle a épousé le 29 septembre 2020. Ce dernier a eu quatre enfants de son précédent mariage nés en 2013, 2014, 2016 et 2018 avant que sa première épouse ne décède en mars 2019. La requérante a une fille d'une précédente union née en 2007, qui est scolarisée en France et dont le père, qui est parti vivre en Grèce, n'a plus aucun lien avec sa fille. Cette famille reconstituée vit ensemble dans un logement attribué par une association et l'époux de la requérante bénéficie d'un contrat de travail à temps complet en tant qu'agent d'entretien. Il ressort des pièces du dossier, et notamment d'une attestation de la directrice d'école et d'une note sociale du 4 juillet 2022 que la requérante s'occupe quotidiennement des cinq enfants du couple. Par ailleurs, deux des enfants de son époux ont des problèmes de santé. Siar, né en 2016, qui souffre d'un handicap moteur, est pris en charge quotidiennement en institut d'éducation motrice et suit des séances régulières de kinésithérapie, ergothérapie, orthophonie, orthoptie et psychomotricité. Suméa, née en 2013, suit quant à elle un traitement au centre médico psycho pédagogique depuis décembre 2019. Il ressort des pièces du dossier que la requérante les accompagne lors des rendez-vous médicaux et que les enfants ont besoin de sa présence au quotidien. Enfin, Mme A... produit un contrat de travail en qualité d'aide à domicile d'une personne handicapée à compter du 21 septembre 2023 de 60 heures par mois, démontrant ainsi sa capacité à s'intégrer professionnellement. Ainsi, au regard des conditions de séjour en France de Mme A..., l'arrêté préfectoral du 16 novembre 2023 a, dans les circonstances très particulières de l'espèce, porté au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue duquel il a été pris. Il a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Ce moyen est de nature à impliquer nécessairement la délivrance d'un titre de séjour et non pas seulement le réexamen de sa demande de titre de séjour. Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " à Mme A... dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir et de lui délivrer durant cette attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

12. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour.

Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution du jugement attaqué :

13. Par le présent arrêt, la cour se prononce sur l'appel de la préfète du Bas-Rhin. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête de la préfète du Bas-Rhin, les conclusions aux fins de sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les frais d'instance :

14. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Elsaesser, avocate de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Elsaesser de la somme globale de 1 500 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24NC01714 de la préfète du Bas-Rhin à fin de sursis à exécution du jugement n° 2402060 du 10 juin 2024 du tribunal administratif de Strasbourg.

Article 2 : La requête n° 24NC01712 de la préfète du Bas-Rhin est rejetée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Bas-Rhin de délivrer à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision et de lui délivrer, durant cette attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.

Article 4 : L'article 3 du jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 2402060 du 10 juin 2024 est réformé en ce qu'il est contraire à l'article 3 du présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions d'appel incident de Mme A... est rejeté.

Article 6 : L'Etat versera à Me Elsaesser une somme globale de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Elsaesser renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme B... A... et à Me Elsaesser.

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,

- M. Barteaux, président assesseur,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 décembre 2024.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

2

Nos 24NC01712, 24NC01714


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NC01712
Date de la décision : 30/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : ELSAESSER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-30;24nc01712 ?
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