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21/01/2025 | FRANCE | N°22NC02855

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 21 janvier 2025, 22NC02855


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme F... C... et M. E... B... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 2 décembre 2020 par laquelle le préfet de la Moselle a refusé de délivrer une carte d'identité française à l'enfant A... C....



Par un jugement n° 2100767 du 27 septembre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.





Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoir

e enregistrés le 16 novembre 2022 et le 26 novembre 2024, Mme C... et M. B..., représentés par Me Lemonnier, demandent à la cour :...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... et M. E... B... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 2 décembre 2020 par laquelle le préfet de la Moselle a refusé de délivrer une carte d'identité française à l'enfant A... C....

Par un jugement n° 2100767 du 27 septembre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 16 novembre 2022 et le 26 novembre 2024, Mme C... et M. B..., représentés par Me Lemonnier, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 27 septembre 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 2 décembre 2020 par laquelle le préfet de la Moselle a refusé de délivrer une carte d'identité française à l'enfant A... C... ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de délivrer à l'enfant A... C... une carte d'identité française sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 16ème jour suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- la décision litigieuse du 2 décembre 2020 est insuffisamment motivée en droit et en fait : le préfet n'a pas précisé le fondement juridique de sa décision et s'il argue d'une fraude, il ne précise pas les éléments de faits qui l'ont amené à cette conclusion ;

- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions du décret n°55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité : le préfet a mal apprécié la situation respective des parties :

. M. B..., ressortissant français a reconnu le 21 mars 2019, par anticipation, sa fille A..., née le 24 septembre 2019 ;

. la preuve du versement de sa contribution et des visites régulières à sa fille, est apportée ;

. A... s'est vu délivrer un passeport français le 28 septembre 2022 ;

. par un jugement du 22 juillet 2022, le juge aux affaires familiales a prévu les modalités d'exercice de l'autorité parentale de M. B... sur A... ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

Par un mémoire en défense enregistré le 8 novembre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.

Mme C... et M. B... ont été admis respectivement à l'aide juridictionnelle totale par deux décisions des 14 octobre 2022 et 16 novembre 2022.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle ;

- le décret n°55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité, modifié notamment par le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,

- les conclusions de M. Denizot, rapporteur public,

- et les observations de Me Chaïb, substituant Me Lemonnier, représentant Mme C... et M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante congolaise, et M. B..., ressortissant français, ont déposé, le 18 octobre 2019, une demande de carte nationale d'identité pour leur fille A... D... C..., née le 24 septembre 2019 à Epinal. Par lettre du 12 mars 2020, le pôle fraude du centre d'expertise et de ressources des titres (CERT) a informé Mme C... que l'instruction de sa demande avait fait naître un doute sur la réalité du lien de filiation entre l'enfant A... et son père déclaré, M. B.... Par une décision du 2 décembre 2020, le préfet de la Moselle a refusé de délivrer une carte nationale d'identité à l'enfant A.... Mme C... et M. B... relèvent appel du jugement du 27 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande d'annulation de ce refus.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. D'une part, aux termes de l'article 2 du décret du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge à tout Français qui en fait la demande (...). ". Le II de l'article 4 du même décret dispose que : " La preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance mentionné au c du I portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil. / Lorsque l'extrait d'acte de naissance mentionné à l'alinéa précédent ne suffit pas à établir la nationalité française du demandeur, la carte nationale d'identité est délivrée sur production de l'une des pièces justificatives mentionnées aux articles 34 ou 52 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 modifié relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française. (...). ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 18 du code civil : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français. ". L'article 30 du même code dispose que : " La charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. / Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants ". En outre, aux termes de l'article 310-1 du même code : " La filiation est légalement établie, dans les conditions prévues au chapitre II du présent titre, par l'effet de la loi, par la reconnaissance volontaire ou par la possession d'état constatée par un acte de notoriété (...). ". Enfin, aux termes du 1er alinéa de l'article 316 de ce code : " Lorsque la filiation n'est pas établie dans les conditions prévues à la section I du présent chapitre, elle peut l'être par une reconnaissance de paternité ou de maternité, faite avant ou après la naissance. (...). ".

4. Pour l'application des dispositions citées au point précédent, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité ou d'un passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Dans ce cadre, si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas dans le cadre de l'examen d'une demande d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport pour le compte d'un enfant mineur, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance du titre sollicité par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

5. Pour refuser de procéder à la délivrance d'une carte nationale d'identité à l'enfant mineure A... C..., née le 24 septembre 2019, le préfet de la Moselle s'est fondé sur une suspicion de reconnaissance frauduleuse de paternité en se prévalant d'un faisceau d'indices résultant notamment de la situation irrégulière de la mère sur le territoire français, de l'absence de vie commune entre les parents avant et après la naissance de l'enfant, de la reconnaissance de l'enfant par anticipation par le père de nationalité française, soit le 21 mars 2019, de l'absence de contribution effective du père à l'éducation et à l'entretien de l'enfant ainsi que de l'absence de liens affectifs entre le père et son enfant.

6. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. B..., de nationalité française, a reconnu par anticipation l'enfant A... le 21 mars 2019. Ce dernier a obtenu un certificat de nationalité française le 21 juillet 2020, soit avant la décision attaquée, qu'aucune décision juridictionnelle n'a contredit. Si le préfet a saisi, le 29 octobre 2020, le procureur de la République d'un signalement de suspicion de reconnaissance frauduleuse de paternité sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, dont il n'est ni établi ni même allégué qu'il aurait abouti, il ressort des termes de cette saisine que le préfet a admis que " Les deux parents tiennent un discours cohérent quant aux circonstances de leur rencontre et [qu']il est vraisemblable que M. B... soit le père biologique de l'enfant ". Dans ces conditions, le séjour irrégulier de la mère, l'absence de communauté de vie et le défaut de lien affectif entre le père et l'enfant, à la date de la décision attaquée, ne suffisent pas à démontrer que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le seul but de faciliter l'obtention de la nationalité française d'autant plus que, postérieurement à la décision en litige, le 28 septembre 2022, l'enfant s'est vu délivrer un passeport français et que par une ordonnance du 22 juillet 2022 le tribunal de proximité de Saint-Dié-des-Vosges, qui a reconnu l'autorité parentale conjointe, a homologué les modalités de garde et de visite de l'enfant ainsi que la contribution financière à l'entretien et à l'éducation de l'enfant des deux parents. Par suite, le préfet de la Moselle ne pouvait, sans erreur d'appréciation, refuser de délivrer une carte nationalité d'identité à l'enfant A... au motif d'une reconnaissance de paternité frauduleuse.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme C... et M. B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 2 décembre 2020 par laquelle le préfet de la Moselle a refusé de délivrer une carte d'identité à l'enfant A... C....

Sur l'injonction :

8. L'exécution du présent arrêt implique qu'il soit enjoint au préfet de la Moselle de délivrer à l'enfant A... C... une carte nationale d'identité, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Mme C... et M. B... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Lemonnier, avocate de C... et de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Lemonnier de la somme de 1 500 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2100767 du 27 septembre 2022 du tribunal administratif de Strasbourg et la décision du 2 décembre 2020 du préfet de la Moselle sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Moselle de délivrer la carte nationale d'identité en faveur de l'enfant mineure A... C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Lemonnier une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... C..., à M. E... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- M.Barteaux, président assesseur,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2025.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

2

N° 22NC02855


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02855
Date de la décision : 21/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : LEMONNIER

Origine de la décision
Date de l'import : 26/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-21;22nc02855 ?
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