Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 5 février 2021 par lequel le préfet de la Moselle a rendu obligatoire le port du masque dans l'espace et sur la voie publics pour toute personne de onze ans ou plus, de 6 heures à minuit dans l'ensemble du département de la Moselle, jusqu'au 28 février 2021.
Par un jugement n° 2102351 du 17 mai 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 juillet 2022, M. A..., représenté par Me Guyon, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 mai 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 février 2021 par lequel le préfet de la Moselle a rendu obligatoire le port du masque dans l'espace et sur la voie publics pour toute personne de onze ans ou plus, de 6 heures à minuit dans l'ensemble du département de la Moselle, jusqu'au 28 février 2021 ;
3°) d'annuler l'avis de la directrice générale de l'ARS Grand Est du 4 février 2021 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a méconnu les dispositions de l'article L. 5 du code de justice administrative ;
- les conclusions à fin d'annulation de l'avis de l'agence régionale de santé sont recevables ;
- l'arrêté est entaché d'une incompétence négative dès lors que le préfet de la Moselle n'a pas réalisé d'étude d'impact et n'a pas prévu d'exceptions au port du masque ;
- l'avis de l'agence régionale de santé est irrégulier car il méconnaît l'article L. 1451-1-1 du code de la santé publique et est entaché d'incompétence ;
- l'arrêté porte atteinte à la liberté d'aller et venir, au droit à la vie privée et familiale, à la liberté individuelle, à la liberté de réunion et au principe de fraternité ;
- il méconnaît le principe de la légalité des délits et des peines ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par un courrier du 25 mars 2025, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de fonder sa décision sur le moyen soulevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions dirigées contre l'avis de la directrice générale de l'agence régionale de santé Grand Est du 4 février 2021 dès lors que ce dernier n'a aucun caractère décisoire, ne fait pas grief et n'est pas susceptible, en lui-même, d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation du requérant.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lusset,
- et les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté en date du 5 février 2021, le préfet de la Moselle a rendu obligatoire le port du masque dans l'espace et sur la voie publics pour toute personne de onze ans ou plus, de 6 heures à minuit, dans l'ensemble du département de la Moselle, jusqu'au 28 février 2021, à l'exception des personnes en situation de handicap et de celles pratiquant une activité sportive. M. A... fait appel du jugement du 17 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement contesté :
2. Hormis dans le cas où les juges de première instance ont méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à eux et ont ainsi entaché leur jugement d'irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels les juges de première instance se sont prononcés sur les moyens qui leur étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, M. A... ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir de ce que le tribunal administratif aurait, en méconnaissance de l'article L. 5 du code de justice administrative, commis une erreur de droit tirée de l'inversion de la charge de la preuve au regard de l'obligation qui incomberait au préfet de réaliser une étude d'impact.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'avis de la directrice générale de l'agence régionale de santé Grand Est du 4 février 2021 :
3. L'avis de la directrice générale de l'agence régionale de santé Grand Est du 4 février 2021 sur l'évolution épidémiologique de la Moselle depuis la semaine 31 a été émis à l'attention du préfet de la Moselle préalablement à l'édiction de l'arrêté en litige. S'il a été annexé à cet arrêté, il ne saurait de ce seul fait être regardé comme constituant un document de portée générale susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que l'autorité administrative concernée. Il constitue ainsi un élément de la procédure d'élaboration de l'arrêté litigieux, dont le bien-fondé peut au demeurant être discuté, par voie d'exception, à l'occasion du recours pour excès de pouvoir dirigé contre cet arrêté. Par suite, cet avis ne peut être regardé comme un acte faisant grief, susceptible d'être déféré au juge de l'excès de pouvoir.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 5 février 2021 :
4. En premier lieu, il ne ressort d'aucune disposition législative ou réglementaire que le préfet aurait dû procéder à une étude d'impact avant de prendre l'arrêté attaqué. En outre, si M. A... fait valoir que le préfet aurait dû prévoir des cas de dérogations à l'obligation du port du masque plus larges, une telle critique relève du caractère proportionné de la mesure de police et non d'une question de compétence de l'autorité administrative. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux serait entaché d'incompétence négative faute pour le préfet de la Moselle d'avoir totalement épuisé sa compétence doit être écarté.
5. En deuxième lieu, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, le requérant ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 1451-1-1 du code de la santé publique, qui concernent la publicité des séances de commissions, conseils et instances collégiales d'expertise mentionnés au I de l'article L. 1451-1 du même code, dès lors que l'avis concerné a été rendu par la directrice générale de l'agence régionale de santé Grand Est et non par une instance collégiale de cette agence. Il ne peut pas davantage se prévaloir de la charte de l'expertise sanitaire, qui concerne la prévention et la gestion des conflits d'intérêts en cas d'expertises réalisées dans les domaines de la santé et de la sécurité sanitaire à la demande des autorités et des organismes mentionnés au I de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, dès lors qu'à l'appui de son moyen il n'invoque aucune disposition de cette charte qui aurait été méconnue. Le moyen, soulevé par voie d'exception, tiré de l'irrégularité de l'avis de la directrice générale de l'agence régionale de santé Grand Est doit, dès lors, être écarté.
6. En troisième lieu, si M. A... soutient que les avis du conseil scientifique COVID 19 méconnaissent les dispositions de l'article L. 1451-1-1 du code de la santé publique, un tel moyen est inopérant à l'encontre de la décision attaquée.
7. En quatrième lieu, en vertu du I de l'article 1er de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire, du 11 juillet 2020 au 30 octobre 2020 inclus, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19, réglementer la circulation des personnes. En vertu du premier alinéa du II de cet article : " Lorsque le Premier ministre prend des mesures mentionnées au I, il peut habiliter le représentant de l'Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d'application de ces dispositions ". Enfin, selon le III du même article, ces mesures " sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ".
8. Il résulte de ces dispositions, notamment du III de l'article 1er de la loi du 9 juillet 2020, que les mesures générales ou individuelles que le représentant de l'Etat territorialement compétent peut prendre, en application du II de l'article 1er du décret du 29 octobre 2020, pour réglementer la circulation des personnes aux fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Par suite, des dispositions rendant obligatoire le port du masque en extérieur doivent être justifiées par la situation épidémiologique constatée sur le territoire concerné. Elles ne peuvent être proportionnées que si elles sont limitées aux lieux et aux heures de forte circulation de population ne permettant pas d'assurer la distanciation physique et aux lieux où les personnes peuvent se regrouper, tels que les marchés, les rassemblements sur la voie publique ou les centres-villes commerçants, les périodes horaires devant être appropriées aux risques identifiés. Le préfet, lorsqu'il détermine, pour ces motifs, les lieux et les horaires de port obligatoire du masque en plein air, est en droit de délimiter des zones suffisamment larges pour que la règle soit compréhensible et son application cohérente.
9. Aux termes de l'arrêté contesté du 5 février 2021, pris sur le fondement du II de l'article 1er du décret du 29 octobre 2020, le préfet de la Moselle a imposé le port du masque dans l'espace et sur la voie publics pour toute personne de onze ans ou plus, de 6 heures à minuit, dans l'ensemble du département de la Moselle, jusqu'au 28 février 2021, à l'exception de personnes en situation de handicap ou pratiquant une activité sportive. Pour justifier cette mesure, le préfet fait valoir que, en dépit de plusieurs mesures administratives ciblées prescrivant le port du masque adoptées entre les mois d'août et décembre 2020, la situation épidémique dans le département de la Moselle s'était nettement dégradée au cours des dernières semaines, le taux d'incidence étant notamment passé de 200 cas pour 100 000 habitants au 8 janvier 2021 à 274,6 cas au 5 février 2021, à 281,6 cas au 14 février 2021 puis 283 cas pour 100 000 habitants au 18 février 2021, soit largement au-delà du seuil d'alerte fixé à 50 cas pour 100 000 habitants. Il indique également que le taux de positivité atteignait 8,4 % le 4 février 2021, soit un taux se situant au-delà du taux de 6,5 % prévalant pour la région Grand Est, et bien au-delà du seuil d'alerte de 1 % correspondant à une épidémie active. Au 18 février 2021, ce taux était encore de 6,5 % en Moselle alors qu'il n'était plus que de 5 % dans la région Grand Est prise dans son ensemble.
10. Ces circonstances sont de nature à justifier l'édiction par le préfet de mesures imposant le port du masque dans l'espace et sur la voie publics, dans les zones, telles que les agglomérations, à forte densité de population où la distanciation sociale est plus difficile à respecter, en retenant un périmètre suffisamment large et cohérent pour assurer la compréhension et l'efficacité de la mesure. Toutefois, il n'est pas démontré la nécessité d'imposer cette obligation du port du masque sur l'ensemble du département de la Moselle, sans tenir compte des circonstances de lieux où la circulation de la population est la plus importante et ne permet pas d'assurer le respect de la distanciation physique. Si les précédentes mesures n'ont pas été efficaces pour enrayer le taux d'incidence et l'évolution des contaminations dans le département, l'administration n'établit pas que des circonstances particulières seraient de nature à contribuer à la propagation du virus même dans les parties du département peu densément peuplées, ni d'ailleurs qu'il existerait dans tout l'espace public et par tout temps une forte concentration de population s'opposant au respect des règles de distanciation alors que les pièces du dossier attestent de différences selon les zones du département et les communes. Dans ces conditions, et bien que l'obligation soit limitée à une période de trois semaines et exclut les personnes en situation de handicap et pratiquant une activité physique, M. A... est fondé à soutenir que l'arrêté attaqué, en tant seulement qu'il ne limite pas le port du masque aux parties du département caractérisées par une forte densité de population ou une difficulté à assurer le respect de la règle de distanciation, porte une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle des personnes appelées à se déplacer dans le territoire du département de la Moselle et plus globalement à l'ensemble des libertés publiques qu'il a invoquées. Il y a lieu, par suite, d'annuler l'arrêté en litige dans cette seule mesure.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande de première instance tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 février 2021 en tant que celui-ci n'a pas limité l'obligation du port du masque dans l'espace et sur la voie publics aux parties du territoire départemental caractérisées par une forte densité de population ou une difficulté à assurer le respect de la règle de distanciation.
Sur les frais liés au litige :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté du 5 février 2021 du préfet de la Moselle est annulé en tant qu'il n'a pas limité l'obligation du port du masque dans l'espace et sur la voie publics aux parties du territoire départemental caractérisées par une forte densité de population ou une difficulté à assurer le respect de la règle de distanciation.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à l'agence régionale de santé Grand Est.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barteaux, président,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
Le rapporteur,
Signé : A. Lusset
Le président,
Signé : S. Barteaux
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
N° 22NC01888 2