Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 26 juin 2023 par lequel le préfet de la Côte d'Or l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2302678 du 13 septembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de la Côte d'Or de réexaminer la situation de M. A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 octobre 2023, le préfet de la Côte d'Or demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 septembre 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nancy.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. A... ne méconnaît pas les dispositions du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision ne méconnaît pas les dispositions du 3° de cet article ;
- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est inopérant ;
- M. A... ne se prévaut d'aucune information qu'il aurait pu communiquer utilement et qui aurait été susceptible d'affecter le sens de la décision ;
- les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation dirigés contre l'obligation de quitter le territoire français ne sont pas fondés ;
- la décision de refus de départ volontaire n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision d'interdiction de retour sur le territoire français n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée à M. A... qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Michel, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant russe né le 8 février 2001, est entré en France alors qu'il était mineur, accompagné de sa mère, de sa sœur cadette et de son frère. A la suite de son placement en garde à vue pour des faits de port d'arme de catégorie A et usage de stupéfiants au cours duquel sa situation irrégulière a été constatée, le préfet de la Côte d'Or, par un arrêté du 26 juin 2023, l'a obligé sur le fondement des dispositions du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé son pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Par un jugement du 13 septembre 2023, dont le préfet de la Côte d'Or relève appel, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté du 26 juin 2023.
Sur le moyen d'annulation retenu par le premier juge :
2. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que si M. A... est entré en France en 2012 à l'âge de onze ans, l'intéressé n'établit pas, par les pièces versées à l'instance, y résider habituellement depuis ses treize ans, et en particulier lors des années 1998 à 2021. Par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le premier juge s'est fondé, pour annuler l'obligation de quitter le territoire français en litige, sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A....
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
5. En premier lieu, d'une part, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne s'adresse pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Les requérants ne sauraient ainsi utilement soutenir que les décisions leur faisant obligation de quitter le territoire méconnaîtraient ces dispositions.
6. D'autre part, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, le droit d'être entendu n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu à l'occasion de l'examen de sa demande d'asile ou de sa demande de titre de séjour.
7. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.
8. Il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal d'audition en garde à vue de l'intéressé du 26 juin 2023 que M. A... a été mis à même de présenter utilement des observations orales sur la mesure d'éloignement préalablement à son édiction et qu'il ne fait d'ailleurs état d'aucun élément qu'il n'aurait pas été en mesure de faire valoir.
9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier et en particulier des termes de la décision en litige que le préfet de la Côte d'Or a procédé à un examen de la situation personnelle de M. A....
10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ".
11. Il ressort des pièces du dossier que depuis sa majorité en 2019, M. A... a seulement bénéficié d'un titre de séjour temporaire, valable du 26 avril 2021 au 25 avril 2022. Aussi, à la date de la décision en litige, l'intéressé ne justifie pas résider régulièrement depuis plus de dix ans sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.
12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
13. M. A... soutient que le centre de ses intérêts privés et familiaux est situé en France et qu'il sera isolé en cas de retour en Russie. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, M. A... ne justifie pas d'une résidence habituelle en France de 2018 à 2021. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que depuis sa majorité en 2019, l'intéressé, qui a bénéficié d'un titre de séjour temporaire d'un an, du 26 avril 2021 au 25 avril 2022, n'a pas sollicité son renouvellement ou déposé une autre demande de titre de séjour. En outre, M. A..., célibataire et sans enfant à charge, n'établit pas entretenir des relations avec son frère et sa sœur résidant sur le territoire français. Enfin, l'intéressé ne justifie pas d'une intégration sociale ou professionnelle particulière et est connu défavorablement des services de police. Dans ces conditions, alors même qu'il allègue qu'il sera isolé en cas de retour en Russie, la décision en litige n'a pas porté au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que le préfet de la Côte d'Or a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision en litige quant à la situation personnelle de M. A... doit être écarté.
14. En cinquième lieu, M. A... qui est majeur et sans enfant à charge, ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
En ce qui concerne la décision refusant un délai de départ volontaire :
15. En premier lieu, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, M. A... n'établit pas l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision doit être écarté.
16. En deuxième lieu, la décision en litige comporte l'énoncé des motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement et est, ainsi, suffisamment motivée.
17. En troisième lieu, si M. A... soutient que la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, il n'assortit pas son moyen de précisions suffisantes permettant à la juridiction d'en apprécier le bien-fondé.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
18. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment des termes de la décision en litige que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. A... notamment quant aux risques encourus en cas de retour en Russie dont il n'a d'ailleurs pas fait préalablement état.
19. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " et selon l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
20. M. A... soutient qu'il encourt un risque pour son intégrité physique ou sa vie en cas de retour en Russie compte tenu de son objection de conscience au service militaire dès lors qu'il sera mobilisé dans le cadre du conflit avec l'Ukraine. Toutefois, l'intéressé ne livre aucun développement étayé, personnalisé et cohérent sur l'objection de conscience dont il se prévaut, ni aucun élément quant à sa situation au regard de ses obligations militaires en Russie. Ainsi, M. A... n'apporte aucun élément sérieux et convaincant permettant de considérer qu'il encourrait en cas de retour dans son pays d'origine, des menaces suffisamment personnelle, certaine et actuelle quant à sa vie ou sa personne ou des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
21. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus et en l'absence d'autre élément invoqué par M. A..., le moyen tiré de ce que le préfet de la Côte d'Or aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision en litige quant à sa situation personnelle doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
22. En premier lieu, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, M. A... n'établit pas l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision doit être écarté.
23. En deuxième lieu, il ressort des dispositions du livre VI du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger l'obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français, et des décisions relatives au délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français. Dès lors, l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, qui fixe les règles générales de procédure applicables aux décisions devant être motivées en vertu de l'article L. 211-2 du même code, ne saurait être utilement invoqué à l'encontre d'une décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
24. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier et en particulier des termes de la décision en litige que le préfet de la Côte d'Or a procédé à un examen de la situation personnelle de M. A..., notamment au regard de ses attaches familiales en France.
25. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ".
26. Si M. A... se prévaut de ses liens en France, en particulier avec son frère et sa sœur, il ne l'établit pas par les pièces versées au dossier, ayant d'ailleurs déclaré n'avoir plus de contact avec eux lors de son audition en garde à vue du 26 juin 2023. Par suite, l'intéressé, qui s'est vu refuser légalement un délai de départ volontaire, comme il a été dit ci-dessus, ne justifie d'aucune circonstance humanitaire faisant obstacle à ce qu'une interdiction de retour ne soit pas prononcée à son encontre. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation doit être écarté.
27. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Côte d'Or est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé son arrêté du 26 juin 2023.
D E C I DE :
Article 1er : Le jugement n° 2302678 du 13 septembre 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nancy est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Côte d'Or.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- M. Michel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mai 2025.
Le rapporteur,
Signé : A. MichelLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
I. Legrand
2
N° 23NC03136