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27/05/2025 | FRANCE | N°24NC01299

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 27 mai 2025, 24NC01299


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler, d'une part, l'arrêté du 8 janvier 2024 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités portugaises responsables de l'examen de sa demande d'asile et, d'autre part, l'arrêté du 5 janvier 2024 par lequel elle a prononcé son assignation à résidence dans le département de la Meurthe-et-Moselle pour une durée de quarante-cinq jours, lui a fait interdiction de sortir de ce département sans a

utorisation et l'a astreinte à se présenter les mardis et jeudis, hors jours fériés...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler, d'une part, l'arrêté du 8 janvier 2024 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités portugaises responsables de l'examen de sa demande d'asile et, d'autre part, l'arrêté du 5 janvier 2024 par lequel elle a prononcé son assignation à résidence dans le département de la Meurthe-et-Moselle pour une durée de quarante-cinq jours, lui a fait interdiction de sortir de ce département sans autorisation et l'a astreinte à se présenter les mardis et jeudis, hors jours fériés à 9 heures au commissariat de police de Mont-Saint-Martin.

Par un jugement nos 2400119, 2400122 du 22 janvier 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy, après l'avoir admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 mai 2024, Mme A..., représentée par Me Kipffer, demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 2 du jugement du 22 janvier 2024 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 8 janvier 2024 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités portugaises et l'arrêté du 5 janvier 2024 par lequel la préfète a prononcé son assignation à résidence dans le département de la Meurthe-et-Moselle pour une durée de quarante-cinq jours, lui a fait interdiction de sortir de ce département sans autorisation et l'a astreinte à se présenter les mardis et jeudis, hors jours fériés à 9 heures au commissariat de police de Mont-Saint-Martin ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à son conseil, en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué, qui n'a pas répondu au moyen tiré de l'erreur de droit commise par la préfète qui a édicté un arrêté d'assignation à résidence antérieurement au prononcé de la décision de transfert, est irrégulier ;

- la décision de transfert est entachée d'erreur de droit au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 alors qu'elle justifiait de liens importants avec la France ; elle a également commis une erreur manifeste d'appréciation ;

- l'arrêté portant assignation à résidence est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'à la date de son édiction, l'arrêté de transfert n'avait pas encore été pris ;

- il doit être annulé par voie de conséquence de l'annulation de la décision de transfert ;

La procédure a été communiquée au préfet du Bas-Rhin qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par un courrier du 29 juillet 2024, les parties ont été informées, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de fonder sa décision sur le moyen relevé d'office tiré de ce qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert aux autorités portugaises, cette décision ne pouvant plus légalement être exécutée compte tenu de l'expiration du délai de six mois prévu à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Par un courrier, enregistré le 6 août 2024, la préfète du Bas-Rhin a produit des observations sur le moyen relevé d'office, qui ont été communiquées, par lesquelles elle a indiqué que Mme A... a été transférée vers le Portugal dans le délai d'exécution.

Par un courrier du 26 août 2024, une demande de maintien de la requête a été adressée au conseil de Mme A... sur le fondement de l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative, lequel, par un courrier du 20 septembre suivant, a déclaré maintenir sa requête.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 18 avril 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Barteaux a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante congolaise, est entrée irrégulièrement en France pour y solliciter l'asile. A la suite du dépôt de sa demande d'asile, le 7 novembre 2023 auprès du guichet unique de la préfecture de l'Essonne, la consultation du fichier Eurodac a révélé qu'elle avait déposé une demande d'asile auprès des autorités portugaises. Saisies le 23 novembre 2023, les autorités portugaises ont donné leur accord, le 5 décembre suivant, pour reprendre en charge l'intéressée sur le fondement des dispositions du b) de l'article 18-1 du règlement (UE) n° 604/2013. Par un arrêté du 5 janvier 2024, la préfète du Bas-Rhin a assigné Mme A... à résidence et, par un arrêté du 8 janvier 2024, a ordonné sa remise aux autorités portugaises. La requérante a été transférée vers la Pologne dans le délai d'exécution. Mme A... demande l'annulation de l'article 2 du jugement du 22 janvier 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a invoqué en première instance le moyen tiré de l'erreur de droit entachant la légalité de l'arrêté portant assignation à résidence au motif qu'à la date de son édiction, l'arrêté de transfert n'avait pas encore été pris. Le jugement attaqué, qui n'a pas visé ce moyen qui n'était pas inopérant, n'y a pas davantage répondu. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que le jugement attaqué est, pour ce motif, entaché d'une omission à statuer. Il y a lieu, par suite, de l'annuler dans cette mesure.

3. Il y a lieu de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur les conclusions de la demande de Mme A... tendant à l'annulation de la décision prononçant une assignation à résidence et, par la voie de l'effet dévolutif, sur le surplus des conclusions présentées par l'intéressée.

Sur la décision de transfert :

4. Aux termes des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". La mise en œuvre par les autorités françaises de ces dispositions doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, selon lequel : " (...) les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ".

5. Il résulte de ces dispositions que la faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

6. Mme A... se prévaut de la présence en France depuis de nombreuses années de ses trois frères, dont deux ont la nationalité française et le troisième bénéficie du statut de réfugié. Toutefois, en se bornant à produire les pièces d'identité des membres de sa famille, dont elle a vécu séparément durant plusieurs années, elle n'établit pas l'intensité des liens qu'elle entretiendrait avec eux. Par suite, en refusant d'appliquer la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, la préfète du Bas-Rhin n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur l'assignation à résidence :

7. Aux termes de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge peut être assigné à résidence par l'autorité administrative pour le temps strictement nécessaire à la détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile. / (...) / En cas de notification d'une décision de transfert, l'assignation à résidence peut se poursuivre si l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que l'exécution de la décision de transfert demeure une perspective raisonnable. / L'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert peut également être assigné à résidence en application du présent article, même s'il n'était pas assigné à résidence lorsque la décision de transfert lui a été notifiée. (...) ".

8. Il ressort des pièces du dossier que la préfète du Bas-Rhin a signé, le 5 janvier 2024, l'arrêté assignant à résidence la requérante alors que l'arrêté ordonnant son transfert aux autorités portugaises sur lequel elle se fonde n'a, lui, été signé que le 8 janvier suivant, soit trois jours plus tard. Cette assignation, qui n'a été d'ailleurs notifiée à Mme A... que le 15 janvier 2024, n'a pas été prise dans l'attente de la détermination de l'Etat membre compétent pour examiner sa demande d'asile. Enfin, si l'arrêté portant transfert de l'intéressée a été notifié le 14 janvier 2024, soit antérieurement à l'arrêté d'assignation à résidence cette circonstance est sans incidence sur la légalité de ce dernier, laquelle s'apprécie à sa date de signature. Il s'ensuit, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre l'assignation à résidence, que Mme A... est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 5 janvier 2025.

9. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme A... est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 5 janvier 2024 portant assignation à résidence. En revanche, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 janvier 2024 portant transfert.

Sur les frais de l'instance :

10. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Kipffer, avocat de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Kipffer de la somme de 1 000 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement nos 2400119, 2400122 du 22 janvier 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 janvier 2024 portant assignation à résidence.

Article 2 : L'arrêté du 5 janvier 2024 portant assignation à résidence de Mme A... est annulé.

Article 3 : L'Etat versera à Me Kipffer une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Kipffer renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de sa requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Kipffer.

Copie de l'arrêt sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 6 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Barteaux, président,

- M. Lusset, premier conseiller,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mai 2025.

Le président-rapporteur,

Signé : S. Barteaux

L'assesseur le plus ancien,

Signé : A. Lusset

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

N° 24NC01299 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NC01299
Date de la décision : 27/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BARTEAUX
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : KIPFFER

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-27;24nc01299 ?
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