Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 24 mai 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a renouvelé son assignation à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de 32 jours.
Par un jugement no2206800 du 8 juin 2022, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 24 mai 2022 renouvelant l'assignation à résidence de M. E....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 juin 2022, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 8 juin 2022 ;
2°) de rejeter la demande présentée devant ce tribunal par M. E....
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'arrêté du 24 mai 2022 portant renouvellement de l'assignation à résidence de M. E... était privé de base légale du fait de l'expiration du délai de six mois pour exécuter l'arrêté de transfert vers l'Allemagne du 8 décembre 2021 ;
- les autres moyens présentés en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2022, M. E..., représenté par M. F..., conclut :
1°) au rejet de la requête du préfet de Maine-et-Loire ;
2°) à ce que soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi de 1991 sur l'aide juridictionnelle.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de Maine-et-Loire ne sont pas fondés.
M. E... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pons a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant géorgien, a déclaré être entré irrégulièrement en France le 21 octobre 2021. Le 28 octobre 2021, il a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique. La consultation du fichier " Eurodac " ayant révélé qu'une première demande d'asile de l'intéressé avait été enregistrée en Allemagne, le préfet a saisi les autorités allemandes le 29 octobre 2021 d'une demande de reprise en charge de M. E.... Ces dernières ont accepté leur responsabilité par décision du 3 novembre 2021. Par deux arrêtés du 8 décembre 2021, le préfet de Maine-et-Loire a décidé, d'une part, de remettre M. E... aux autorités allemandes et, d'autre part, de l'assigner à résidence pour une durée de 45 jours dans le département de la Loire-Atlantique. Par un arrêté du 24 mai 2022, le préfet a décidé de renouveler cette assignation à résidence pour une durée de 32 jours. Le préfet de Maine-et-Loire relève appel du jugement du 8 juin 2022 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du préfet de Maine-et-Loire du 24 mai 2022 renouvelant l'assignation à résidence de M. E... jusqu'au 24 juin 2022.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Pour annuler l'arrêté du 24 mai 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a renouvelé l'assignation à résidence de l'intéressé pour une durée de 32 jours, le tribunal a estimé que le préfet de Maine-et-Loire avait méconnu les dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en assignant à résidence M. E... jusqu'au 24 juin 2022, soit au-delà du délai de six mois fixé par ces mêmes dispositions.
3. D'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
4. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n°604/2013, qui court à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision.
5. En l'espèce, le délai initial de six mois dont disposait le préfet d'Ille-et-Vilaine pour procéder à l'exécution du transfert de M. E... vers l'Allemagne a été interrompu par la saisine du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes statuant sur la légalité de l'arrêté du 8 décembre 2021. Ce délai a recommencé à courir intégralement à compter de la notification à l'administration du jugement du 24 décembre 2021, soit à cette même date. Par suite, le délai de transfert de M. E... vers l'Allemagne expirait le 24 juin 2022. Les autorités allemandes ont été informées le 24 décembre 2021 du report du délai de transfert de l'intéressé jusqu'au 24 juin 2022. C'est donc à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a estimé que l'arrêté du 24 mai 2022 prolongeant l'assignation à résidence de l'intéressé jusqu'au 24 juin 2022 était privé de base légale et que le préfet de Maine-et-Loire avait méconnu les dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.
6. Toutefois, il appartient à la Cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... devant le tribunal administratif de Nantes ainsi que devant la Cour.
7. En premier lieu, le préfet de Maine-et-Loire a, par un arrêté du 21 décembre 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, donné délégation à M. C... D..., adjoint à la cheffe du pôle régional Dublin à la direction de l'immigration et des relations avec les usagers de la préfecture, signataire de la décision contestée, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme B..., directrice de l'immigration et des relations avec les usagers et de Mme G..., cheffe du pôle, dont il n'est pas établi qu'ils n'étaient pas absents ou empêchés, à l'effet de signer les décisions d'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prises à l'égard des ressortissants étrangers, notamment les décisions d'assignation à résidence. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.
8. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient M. E..., l'arrêté contesté comporte l'exposé des motifs de droit et considérations de fait qui en constituent le fondement. Il ne ressort pas en outre des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen sérieux et particulier de la situation de M. E....
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ".
10. Le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il n'implique toutefois pas systématiquement l'obligation pour l'administration d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, l'étranger soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de demander un entretien pour faire valoir ses observations orales.
11. Il ressort des pièces du dossier que, lors de la notification de la décision de transfert vers l'Allemagne le visant, M. E... a été informé qu'il pourrait faire l'objet de mesures de contraintes en vue de son transfert, telles qu'une assignation à résidence, une interpellation en vue d'un placement en rétention ou un transfert sous escorte policière. M. E... a eu la possibilité de faire valoir des éléments justifiant qu'il soit autorisé à séjourner en France et ne soit pas contraint de quitter ce pays et de retourner dans son pays d'origine. L'intéressé n'établit ni même n'allègue avoir sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux, ni qu'il aurait été empêché de s'exprimer avant que l'assignation à résidence contestée ne soit renouvelée, en vue de l'exécution de la décision de transfert, et ne fait pas état d'éléments qui, s'ils avaient été connus du préfet, auraient été de nature à influencer le sens de la décision prise. Dans ces conditions, le moyen tiré du non-respect du droit de M. E... à être entendu doit être écarté.
12. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 573-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 peut être assigné à résidence selon les modalités prévues aux articles L. 751-2 à L. 751-7. ". Aux termes de l'article L. 751-2 du même code : " L'étranger qui fait l'objet d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge peut être assigné à résidence par l'autorité administrative pour le temps strictement nécessaire à la détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile. (...) / En cas de notification d'une décision de transfert, l'assignation à résidence peut se poursuivre si l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que l'exécution de la décision de transfert demeure une perspective raisonnable. / L'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert peut également être assigné à résidence en application du présent article, même s'il n'était pas assigné à résidence lorsque la décision de transfert lui a été notifiée. / L'étranger qui, ayant été assigné à résidence en application du présent article ou placé en rétention administrative, n'a pas déféré à la décision de transfert dont il fait l'objet ou, y ayant déféré, est revenu en France alors que cette décision est toujours exécutoire peut être à nouveau assigné à résidence en application du présent article. "
13. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'éloignement de M. E... ne demeurait pas une perspective raisonnable à la date de l'arrêté du 24 mai 2022 renouvelant son assignation à résidence. Le requérant n'est par suite pas fondé à soutenir que les conditions de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'étaient pas réunies pour prolonger son assignation à résidence. Toutefois, les mesures contraignantes prises par le préfet sur le fondement des dispositions précitées, à l'encontre d'un étranger assigné à résidence, qui limitent l'exercice de sa liberté d'aller et venir, doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif qu'elles poursuivent, à savoir s'assurer du respect de l'interdiction faite à l'étranger de sortir du périmètre dans lequel il est assigné à résidence.
14. En se bornant à soutenir que l'arrêté du 24 mai 2022 portant renouvellement de son assignation à résidence est injustifié et disproportionné, au regard notamment de sa liberté d'aller et de venir dès lors qu'il a respecté ses obligations dans le cadre de sa première assignation à résidence et qu'il ne présente aucun risque de fuite, M. E... n'établit pas que cette mesure serait disproportionnée.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Maine-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 24 mai 2022 portant renouvellement de l'assignation à résidence de M. E....
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°2206800 du 8 juin 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande de M. E... présentée devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 2 février 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
O. GASPON
Le magistrat le plus ancien dans l'ordre du tableau,
V. GELARDLe président-rapporteur
O. COIFFET La greffière,
I.PETTON
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°22NT01906 2