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20/02/2024 | FRANCE | N°22NT03143

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 20 février 2024, 22NT03143


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme E... C... a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler la décision du 25 janvier 2021 par laquelle l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale du D... a prononcé la sanction disciplinaire de blâme à son encontre, et la décision implicite de rejet de son recours gracieux reçu le 26 mars 2021, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1000 euros en application de l'article L. 761-1 du code d

e justice administrative.



Par un jugement n°2101538 du 1er août 2022, le tr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C... a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler la décision du 25 janvier 2021 par laquelle l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale du D... a prononcé la sanction disciplinaire de blâme à son encontre, et la décision implicite de rejet de son recours gracieux reçu le 26 mars 2021, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°2101538 du 1er août 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 27 septembre 2022 et le 12 septembre 2023, Mme C..., représentée par Me Désert, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 1er août 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 25 janvier 2021 de l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale du D..., lui infligeant un blâme et la décision implicite de rejet de son recours gracieux reçu le 26 mars 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision contestée est entachée d'une erreur sur l'exactitude matérielle des faits ; le courriel de la rectrice prévoyait deux modalités différentes et alternatives pour l'organisation de cet hommage, " soit une minute de silence, soit pour les élèves les plus jeunes un temps calme ou un hommage rendu selon une modalité pédagogique adaptée à l'âge et au niveau des élèves " ; s'il est vrai que la minute de silence n'a pas été réalisée à 11heures, il n'en demeure pas moins que les consignes de la rectrice ont été respectées puisque d'autres modalités ont été mises en place par la directrice et les enseignants de l'école Freinet ;

- la sanction prononcée à son encontre est entachée d'une erreur dans la qualification juridique des faits ; elle n'a pas méconnu les instructions de la rectrice en prévoyant une adaptation au temps d'hommage à Samuel B..., la note de la rectrice prévoyant la possibilité de déroger à la minute de silence pour les plus jeunes ; elle était particulièrement imprécise sur ce qu'il fallait entendre par " les élèves les plus jeunes " ; il appartenait donc à l'équipe pédagogique de déterminer quels étaient les élèves qui pouvaient être considérés comme " trop jeunes " pour respecter cette minute de silence et de mettre en place une modalité pédagogique adaptée ; le ministre a confirmé à l'époque des faits que la minute de silence en hommage à Samuel B... ne serait pas obligatoire de la maternelle au CME (PJ2) ; " les jeunes enfants devant être entendus comme ceux scolarisés de la maternelle au CM2 " ; l'équipe pédagogique a décidé de choisir l'alternative proposée par la rectrice pour préserver les jeunes élèves de l'atrocité commise, la majorité d'entre eux n'étant pas au courant, certains parents étant très inquiets et refusant qu'on parle de ce drame à leurs enfants ; pour l'ensemble des élèves, des ateliers ont été réalisés ;

- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation car le blâme qui lui a été infligé est disproportionné au regard des faits reprochés ; c'est à tort que le tribunal a estimé que les consignes étaient claires quant à la chronologie et aux aménagements possibles et qu'elle s'était délibérément écartée des consignes ce qui permettaient de regarder la sanction comme proportionnée aux faits.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2023, la rectrice de l'Académie de Normandie conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens présentés par Mme C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- et les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., professeure des écoles, exerce les fonctions de directrice de l'école élémentaire publique H... à F... G... depuis le 1er septembre 2020. A la suite de l'assassinat de Samuel B..., le 30 octobre 2020, le cabinet de la rectrice de Normandie a adressé, par un courriel, aux directeurs des écoles maternelles et primaires ainsi qu'aux chefs d'établissement du second cycle des consignes afin d'organiser, le 2 novembre 2020, jour de rentrée suivant les vacances d'automne ayant débuté le 17 octobre précédent, un hommage à ce professeur, comportant notamment une minute de silence à 11 heures. Les enseignants de l'école H... ont décidé d'observer, entre adultes, une minute de silence à 12h30 le lundi 2 novembre 2020 et d'organiser un temps dédié avec les élèves. Le même jour, l'inspectrice de la circonscription F... G... a signalé l'absence d'organisation, en présence d'élèves, de la minute de silence au sein de l'établissement. L'inspecteur d'académie a, le 16 novembre 2020, informé Mme C... de l'engagement d'une procédure disciplinaire à son encontre pour manquement à l'organisation et à la mise en œuvre de l'hommage national à Samuel B.... Par un arrêté du 25 janvier 2021, l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale du D... a infligé un blâme à Mme C.... Le 22 mars 2021, Mme C... a présenté un recours gracieux à l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale du D... et un recours hiérarchique à la rectrice de Normandie. Ils ont été implicitement rejetés.

2. Mme C... a, le 9 juillet 2021, saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 25 janvier 2021 et des décisions implicites de rejet intervenues sur ses recours gracieux. Elle relève appel du jugement du 1er août 2022 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

En ce qui concerne l'exactitude matérielle des faits :

4. Il ressort des pièces versées au dossier que le courriel du cabinet de la rectrice, évoqué au point 1., mentionnait qu'" après la lecture de la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs et aux institutrices du 15 janvier 1888, une minute de silence sera observée par les élèves à 11 heures dans les salles de classe ou la cour de récréation ". Le même courriel précisait que " pour les élèves les plus jeunes, la minute de silence pourra être remplacée par un temps calme ou un hommage rendu selon une modalité pédagogique adaptée à l'âge et au niveau des enfants ". A... est constant qu'aucune minute de silence n'a été organisée à 11 heures dans les classes ou la cour de récréation en présence des élèves de l'école. L'inspecteur d'Académie a pu ainsi, dans la décision contestée du 25 janvier 2021, relever à l'encontre de Mme C..., sur la base du signalement de l'inspectrice de l'éducation nationale de la circonscription F... du 2 novembre 2020, " l'absence d'organisation avec les élèves de l'école de la minute de silence prévue en hommage à Samuel B... ". L'absence de minute de silence à 11 heures doit être regardée comme établie et sans rapport avec l'appréciation qu'il convient de porter sur la compréhension des modalités de l'hommage prévues par le courriel de la rectrice par la communauté éducative. Par suite le moyen tiré de l'inexactitude matérielle des faits doit être écarté.

En ce qui concerne la qualification juridique des faits :

5. Aux termes de l'article 28 de la loi du 13 juillet 1983 alors en vigueur : " Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique... ".

6. Pour décider de prononcer une sanction à l'encontre de Mme C..., l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale du D... a, après avoir rappelé l'absence d'organisation avec les élèves de l'école de la minute de silence prévue en hommage à Samuel B..., estimé qu'elle avait commis un " manquement au temps de recueillement, adapté à l'âge des élèves, de la communauté éducative ".

7. S'il est exact qu'aucune minute de silence n'a été organisée le 2 novembre 2020 à 11 heures dans les classes ou dans la cour de récréation avec les élèves, il ne ressort toutefois d'aucune pièce du dossier que Mme C... aurait manifesté un quelconque refus d'obéir à la consigne donnée par la rectrice de Normandie, une quelconque désinvolture ni même une négligence dans la mise en œuvre de l'hommage à Samuel B.... Il est constant, en effet, qu'une minute de silence a bien été observée par les adultes à midi trente et que des activités pédagogiques particulières ont été organisées le 2 novembre 2020 dans chacune des classes de l'école H... à F... G... à l'attention de tous les élèves. La directrice de l'école, après avoir échangé avec son équipe pédagogique dans les jours précédant la rentrée, a ainsi décidé, comme les termes de la consigne contenue dans le courriel de la rectrice le 30 octobre 2020 adressé tant aux directeurs d'écoles maternelles et élémentaires qu'aux chefs des établissements du second cycle l'autorisaient pour " les élèves les plus jeunes ", de substituer, pour les élèves de son école, " un temps calme " à la minute de silence. Si les modalités d'organisation, par ses collègues de l'école élémentaire publique H... à F... G..., de l'hommage à M. B... ont pu susciter interrogations ou incompréhension, en l'absence de manquement délibéré à l'obligation d'obéissance hiérarchique, aucune faute susceptible de donner lieu à une sanction disciplinaire ne saurait être retenue à l'encontre de Mme C.... Cette dernière est, par suite, fondée à soutenir que la sanction du blâme qui lui a été infligée, inscrite dans son dossier pendant trois ans, est entachée d'illégalité.

8. Il résulte l'ensemble de ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande dirigée contre la sanction de blâme qui lui a été infligée par l'arrêté du 25 janvier 2021.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, le versement à Mme C... d'une somme de 1500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'agissant des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n°2101538 du 1er août 2022 du tribunal administratif de Caen et la décision du 25 janvier 2021 de l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale du D... sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C... et à la rectrice de Normandie.

Une copie en sera adressée pour information, à l'inspectrice d'académie, directrice académique des services départementaux de l'éducation nationale du D....

Délibéré après l'audience du 2 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.

Le rapporteur,

O. COIFFETLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne à la ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03143
Date de la décision : 20/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : DESERT PAULINE

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-20;22nt03143 ?
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