Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler la décision portant rejet de sa demande de visa de long séjour en qualité d'étudiante opposé le 4 janvier 2023 par l'autorité consulaire française à Douala (Cameroun), ensuite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de lui délivrer ce visa dans un délai d'un mois sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir, à défaut, de réexaminer sa situation, dans un délai de quinze jours, dans les mêmes conditions d'astreinte, enfin, de mettre à la charge de l'Etat, à titre principal, une somme de 3 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n°2301059 du 16 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer à Mme B... le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- l'intéressée est inscrite dans une formation " Bachelor of Business Administration " au sein de l'IPAG Business School du campus de Nice qui n'est pas homologuée sur le site gouvernementale France Compétence, autorité nationale unique de régulation et de financement de la formation professionnelle et de l'apprentissage qui a remplacé la Commission nationale de la certification professionnelle ; ainsi le cycle d'études que veut suivre en France Mme B... " n'est ni reconnu par cet Etat membre et n'est pas sanctionné par la délivrance conformément au droit national des diplômes de l'enseignement supérieur reconnus ou d'autres qualifications de niveau supérieur reconnues ", au sens de la directive 2016/801 ;
- Mme B... n'a pas les ressources nécessaires pour financer son projet d'études en France ; il demande, ce faisant, que la cour procède à une substitution de motif si elle ne retenait pas le motif de refus précédemment développé et tiré de l'absence d'homologation de la formation dans laquelle elle est inscrite ; le certificat d'inscription indique que les frais de scolarité s'élèvent à 8 900 euros et que la demanderesse de visa n'a payé - à titre d'acompte - que la somme de 2 200 euros ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mars 2024, Mme B..., représentée par Me Lekeufack, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des
outre-mer n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la directive 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Coiffet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante camerounaise née le 21 mai 2001, a sollicité de l'autorité consulaire française à Douala (Cameroun) la délivrance d'un visa de long séjour en qualité d'étudiante. Par une décision du 4 janvier 2023 cette autorité a rejeté cette demande. L'intéressée a alors saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France d'un recours formé contre cette décision consulaire, dont il a été accusé réception le 13 janvier 2023.
2. Mme B... a, le 23 janvier 2023, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande qui a été regardée comme tendant à l'annulation du rejet implicite de son recours par la commission, décision qui s'est substituée à la décision consulaire à l'encontre de laquelle elle avait dirigé ses conclusions à fin d'annulation. Par un jugement du 16 octobre 2023, cette juridiction a annulé la décision de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de de faire délivrer à Mme B... le visa de séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312-7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. L'administration en informe le demandeur dans l'accusé de réception de son recours. ".
4. Pour rejeter le recours préalable formé à l'encontre de la décision consulaire, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France doit être regardée comme s'étant fondée sur le motif retenu par la décision consulaire, tiré de ce " qu'il existe des éléments suffisamment probants et des motifs sérieux permettant d'établir que la requérante séjournera en France à d'autres fins que celles pour lesquelles elle demande un visa pour études ".
5. Tout d'abord, aux termes de l'article 3 f) de la directive 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d'études, de formation, de volontariat et de programmes d'échange d'élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair définit un étudiant comme " un ressortissant de pays tiers qui a été admis dans un établissement d'enseignement supérieur et est admis sur le territoire d'un État membre pour suivre, à titre d'activité principale, un cycle d'études à plein temps menant à l'obtention d'un titre d'enseignement supérieur reconnu par cet État membre, y compris les diplômes, les certificats ou les doctorats délivrés par un établissement d'enseignement supérieur, qui peut comprendre un programme de préparation à ce type d'enseignement, conformément au droit national, ou une formation obligatoire. ". Selon l'article 5 de cette même directive, l'admission d'un ressortissant d'un pays tiers à des fins d'études est soumise à des conditions générales, fixées par l'article 7, telles que l'existence de ressources suffisantes pour couvrir ses frais de subsistance durant son séjour ainsi que ses frais de retour et à des conditions particulières, fixées par l'article 11, ou que l'admission dans un établissement d'enseignement supérieur, ainsi que le paiement des droits d'inscription. L'article 20 de la même directive, qui définit précisément les motifs de rejet d'une demande d'admission, prévoit qu'un Etat membre rejette une demande d'admission si ces conditions ne sont pas remplies ou encore, peut rejeter la demande, selon le f) du 2, " s'il possède des preuves ou des motifs sérieux et objectifs pour établir que l'auteur de la demande souhaite séjourner sur son territoire à d'autres fins que celles pour lesquelles il demande son admission ".
6. S'il est possible, pour le ressortissant d'un pays tiers, d'être admis en France et d'y séjourner pour y effectuer des études sur le fondement d'un visa de long séjour dans les mêmes conditions que le titulaire d'une carte de séjour, ainsi que le prévoient les articles L. 312-2 et L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er mai 2021, les dispositions relatives aux conditions de délivrance d'une carte de séjour portant la mention " étudiant " d'une durée inférieure ou égale à un an, telles que précisées par les articles L. 422-1 et suivants du même code et les dispositions règlementaires prises pour leur application, ne sont pas pour autant applicables aux demandes présentées pour l'octroi d'un tel visa.
7. Ensuite, en l'absence de dispositions spécifiques figurant dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une telle demande est notamment soumise aux instructions générales établies par le ministre chargé de l'immigration prévues par le décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions des chefs de mission diplomatique et des chefs de poste consulaire en matière de visas, en particulier son article 3, pris sur le fondement de l'article L. 311- 1 de ce code. L'instruction applicable est, s'agissant des demandes de visas de long séjour en qualité d'étudiant mentionnée à l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'instruction ministérielle du 4 juillet 2019 relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive (UE) 2016/801, laquelle participe de la transposition de cette même directive.
8. Enfin, cette même instruction, en son point 2.4 intitulé " Autres vérifications par l'autorité consulaire ", indique que cette dernière " (...) peut opposer un refus s'il existe des éléments suffisamment probants et des motifs sérieux permettant d'établir que le demandeur séjournera en France à d'autres fins que celles pour lesquelles il demande un visa pour études. ". Ainsi, l'autorité administrative peut, le cas échéant, et sous le contrôle des juges de l'excès de pouvoir restreint à l'erreur manifeste, rejeter la demande de visa de long séjour pour effectuer des études en se fondant sur le défaut de caractère sérieux et cohérent des études envisagées, de nature à révéler que l'intéressé sollicite ce visa à d'autres fins que son projet d'études.
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal :
9. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été admise le 7 novembre 2022 en deuxième année de " Bachelor of Business Administration " au sein de l'IPAG Business School du campus de Nice, qu'une attestation d'inscription lui a été délivrée, qu'elle s'est acquittée des frais de scolarité et dispose d'une assurance et d'un logement, ainsi qu'il en a été attesté par deux documents établis les 9 décembre 2022 et 1er janvier 2023. Le caractère sérieux et cohérent de son projet d'études, qui doit ainsi être regardé comme établi, n'est pas remis en cause par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, qui soutient comme en première instance que le diplôme auquel la formation dans laquelle elle est inscrite prépare n'est pas reconnu dès lors que cette formation n'est pas homologuée sur le site gouvernemental de l'autorité nationale unique " France Compétence " et qu'en conséquence, elle ne peut prétendre au statut d'étudiante au sens de l'article 3 de la directive 2016/801.
10. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier, en particulier d'un rapport d'information de la commission sociale du Sénat, que, " France Compétence " est un établissement unique qui, comme le ministre l'indique d'ailleurs, est exclusivement en charge du développement de l'apprentissage et de la formation professionnelle en France, lesquels s'appuient sur les centre de formation à l'apprentissage (CFA) et des outils comme le compte personnel de formation (CPF), le conseil en évolution professionnelle (CEP), le projet de transition professionnelle (PTP), dispositifs qui sont totalement étrangers aux enseignements conduisant au diplôme que veut préparer Mme B.... D'autre part, la formation dans laquelle est inscrite l'intéressée, qui ne saurait être regardée, ainsi qu'il vient d'être dit, comme relevant de la formation professionnelle ou de l'apprentissage, est référencée par " Campus France ", établissement public placé sous la double tutelle du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et de celui de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé, notamment, de l'accueil des étudiants étrangers en France, et dont le site internet propose, dans ce cadre, une liste des diplômes et formations auxquels ces étudiants peuvent postuler. Dans ces conditions, Mme B... était fondée à soutenir, comme l'ont estimé à bon droit les premiers juges, que c'est à tort que la commission de recours a considéré qu'elle entendait séjourner en France à d'autres fins que ses études.
En ce qui concerne la demande de substitution de motifs :
11. L'administration peut faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
12. Le ministre de l'intérieur sollicite de la cour une substitution de motifs en soutenant que Mme B... n'a pas les ressources nécessaires pour financer son projet d'études en France puis en relevant seulement qu'alors que le certificat d'inscription indique que les frais de scolarité s'élèvent à 8 900 euros, la demanderesse de visa n'a payé que la somme de 2 200 euros. Toutefois, d'une part, et ainsi que le mentionne le certificat d'inscription évoqué, la somme de 2200 euros versée par Mme B... ne l'a été qu'à titre d'acompte. D'autre part, cette dernière justifie, par les pièces versées au débat, qu'elle est en mesure de financer cette formation et dispose de ressources suffisantes pour couvrir ses frais de subsistance durant son séjour ainsi que ses frais de retour. Dans ces conditions, il n'y pas lieu d'accueillir la demande de substitution de motifs.
13. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre la décision de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer à Mme B... le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la requérante d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme A... B... la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B....
Délibéré après l'audience du 5 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024.
Le rapporteur,
O. COIFFETLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°23NT03517 2