Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision du 24 mai 2022 des autorités consulaires françaises à C... (République Démocratique du Congo) refusant de lui délivrer un visa de long séjour au titre du regroupement familial.
Par un jugement n° 2213785, 2213790 du 24 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er décembre 2023 et 5 avril 2024, M. D..., représenté par Me Tuendimbadi Kapumba, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 24 octobre 2023 en tant qu'il le concerne ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au consul de France à C... de délivrer le visa sollicité ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement supplétif rendu par la justice congolaise bénéficie de l'autorité de la chose jugée, laquelle ne peut être remise en cause que par une action en faux ;
- les actes d'état civil initiaux viennent d'être régularisés par les autorités congolaises ;
- la décision contestée est contraire aux stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Gélard rapporteure, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant congolais, relève appel du jugement du 24 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision du 24 mai 2022 des autorités consulaires françaises à C... (République Démocratique du Congo) refusant de lui délivrer un visa de long séjour au titre du regroupement familial.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Les dispositions de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent que si le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de refus d'une demande de visa fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision implicite, qui se substitue à la décision initiale, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale. Dans le cadre de la procédure de recours administratif préalable obligatoire applicable aux refus de visa, il en va de même, avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, si le demandeur a été averti au préalable par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'une telle appropriation en cas de rejet implicite de sa demande.
3. Il ressort des pièces du dossier que l'accusé de réception du recours administratif préalable obligatoire par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, adressé le 25 juillet 2022 au conseil de M. D..., mentionne qu'en l'absence de réponse expresse de la commission dans un délai de deux mois, la décision implicite de rejet est réputée prise pour les mêmes motifs que ceux de la décision consulaire. Pour rejeter sa demande les autorités consulaires françaises à C... ont estimé que l'acte d'état civil produit par l'intéressé n'était pas conforme à la législation locale. Dès lors, la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est réputée être fondée sur ce même motif.
4. Aux termes de l'article L. 434-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévu par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial : (...) 2° Et par les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. ". Si la venue en France de ressortissants étrangers a été autorisée au titre du regroupement familial, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que l'autorité consulaire use du pouvoir qui lui appartient de refuser leur entrée en France en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur des motifs d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère authentique des actes d'état civil produits.
5. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ", ce dernier disposant que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".
6. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Par ailleurs, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux, ou révélerait une situation contraire à la conception française de l'ordre public international.
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... B... a épousé un ressortissant français le 2 mars 2017. Le 19 avril 2019, elle a présenté une demande de regroupement familial au profit de trois enfants, parmi lesquels figurait M. D..., né le 22 décembre 2001, qui allait donc avoir dix-huit ans. Par une décision du 10 mars 2021, le préfet de l'Isère a fait droit à sa demande. Le 23 août 2022, M. D... a présenté une demande de visa de long séjour au titre du regroupement familial. Pour contester la décision litigieuse rejetant sa demande de visa de long séjour, le requérant se prévaut d'un jugement supplétif du tribunal pour enfants de C... en date du 6 février 2019, d'un certificat de non-appel, ainsi que d'un extrait d'acte de naissance dressé le 25 mai 2021 en transcription de ce jugement. Le ministre de l'intérieur soutient que ce jugement comporte de nombreuses incohérences. Il fait valoir que si ce jugement indique que M. D... est né de " père inconnu ", cette mention est contraire aux dispositions des articles 630 et 649 du code de la famille congolais. Il ajoute que ce jugement aurait dû, en vertu de l'article 106 du code mentionné ci-dessus, être transcrit dans l'état civil local au cours de l'année 2019 et non en 2021. Toutefois, ces seuls éléments, à les supposés avérés, ne suffisent pas, à eux seuls à établir le caractère frauduleux de ce jugement supplétif, qui n'est pas autrement démontré par le ministre. Dans ces conditions, et en dépit du fait que, par une erreur purement matérielle, la copie d'acte de naissance dont se prévaut le requérant porte le patronyme de " Lulu Kisimbila ", le lien de filiation de Mme E... B... à l'égard de M. D... doit être tenu pour établi par ce jugement. Par suite, le ministre de l'intérieur ne peut utilement soutenir que l'acte de naissance dressé le 25 mai 2021 et transcrivant ce jugement supplétif du 6 février 2019 serait entaché d'anomalies remettant en cause sa valeur probante. Dès lors, en confirmant les refus de visa opposés au requérant, au motif, invoqué par le ministre dans ses écritures de première instance et d'appel, que le lien de filiation allégué à l'appui de sa demande n'était pas établi, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'illégalité.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
9. Eu égard au motif d'annulation sur lequel le présent arrêt est fondé et alors que le ministre de l'intérieur n'invoque aucun autre motif d'ordre public, son exécution implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à M. D.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement au requérant d'une somme de 1 200 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2213785, 2213790 du 24 octobre 2023 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. A... D... un visa de long séjour, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. D... la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 3 mai 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mai 2024
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
C. VILLEROT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03562