Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 23 janvier 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités croates.
Par un jugement n° 2402107 du 23 février 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 23 janvier 2024 du préfet de Maine-et-Loire (article 1er), a enjoint à celui-ci de procéder à un réexamen de la situation administrative de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce jugement (article 2) et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais de procès (article 3).
Procédures devant la cour :
I. Par une requête n° 24NT00869, enregistrée le 21 mars 2024, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 23 février 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- le résumé de l'entretien individuel de M. B... comporte le tampon " Préfecture de la Loire-Atlantique l'agent habilité ", avec les initiales de l'agent ayant mené l'entretien ;
- le fait que l'identité et la qualité de l'agent ayant conduit l'entretien ne figurent pas dans le résumé de l'entretien individuel, alors qu'aucune disposition du règlement (UE)
n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni aucune disposition nationale ne l'impose, n'a pas privé M. B... de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien ;
- les entretiens sont saisis dans une application dont l'accès est réservé, par mot de passe personnel, à des agents qualifiés en vertu du droit national ;
- il ressort de l'arrêté portant délégation de signature du 13 septembre 2023, à la directrice des migrations et de l'intégration, que le résumé d'entretien de M. B... a été signé par la cheffe du bureau de l'asile et de l'intégration, qualifiée en vertu du droit national ;
- il s'en rapporte à ses écritures de première instance pour justifier du rejet de la demande de M. B....
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2024, M. B..., représenté par
Me Moreau Talbot, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de Maine-et-Loire ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 juin 2024.
II. Par une requête n° 24NT00870, enregistrée le 21 mars 2024, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 23 février 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le résumé de l'entretien individuel de M. B... comporte le tampon " Préfecture de la Loire-Atlantique l'agent habilité ", avec les initiales de l'agent ayant mené l'entretien ;
- le fait que l'identité et la qualité de l'agent ayant conduit l'entretien ne figurent pas dans le résumé de l'entretien individuel, alors qu'aucune disposition du règlement (UE)
n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni aucune disposition nationale ne l'impose, n'a pas privé
M. B... de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien ;
- les entretiens sont saisis dans une application dont l'accès est réservé, par mot de passe personnel, à des agents qualifiés en vertu du droit national ;
- il ressort de l'arrêté portant délégation de signature du 13 septembre 2023, à la directrice des migrations et de l'intégration, que le résumé d'entretien de M. B... a été signé par la cheffe du bureau de l'asile et de l'intégration, qualifiée en vertu du droit national.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Derlange, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant turc, né le 7 février 2005, a sollicité l'asile le 19 décembre 2023. Par un arrêté du 23 janvier 2024, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné son transfert aux autorités croates. Le préfet relève appel du jugement du 23 février 2024 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes, sur demande de M. B..., a annulé cet arrêté, au motif qu'il avait méconnu l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du
26 juin 2013, et lui a enjoint de réexaminer la situation administrative de l'intéressé. Par une requête distincte, il demande à la cour de surseoir à l'exécution du même jugement.
2. Les requêtes enregistrées sous les numéros 24NT00869 et 24NT00870, présentées par le préfet de Maine-et-Loire, sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour se prononcerer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ". S'il ne résulte ni de ces dispositions, ni d'aucun principe que devrait figurer sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, il appartient à l'autorité administrative, en cas de contestation sur ce point, d'établir par tous moyens que l'entretien a bien, en application desdites dispositions été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".
4. Il ressort du résumé de l'entretien individuel mené avec M. B... le 19 décembre 2023 que cet entretien a été conduit par un agent de la préfecture de la Loire-Atlantique qui y a apposé ses initiales. Le préfet de Maine-et-Loire justifie du fait que ces initiales correspondent à celles d'une attachée principale, qui disposait d'une délégation de signature en vertu d'un arrêté du 13 septembre 2023, en tant que cheffe du bureau de l'asile et de l'intégration de la préfecture de la Loire-Atlantique. Dans ces conditions, faute de contestation plus précise de M. B..., cet agent doit être regardé comme qualifié en vertu du droit national au sens de l'article 5 du règlement mentionné ci-dessus. En outre, il n'est pas établi que cet entretien n'ait pas été conduit en tout confidentialité et dans une langue comprise par l'intéressé. Il s'ensuit que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 23 janvier 2024 en se fondant sur la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens développés en première instance par M. B... à l'encontre de cet arrêté.
6. En premier lieu, l'arrêté contesté a été signé par Mme A... D..., cheffe du pôle régional Dublin, qui, par un arrêté n° 2023-35 du 26 septembre 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture n° 126 du 26 septembre 2023, a reçu délégation du préfet de Maine-et-Loire, à l'effet de signer les décisions d'application du règlement " Dublin III ". Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit être écarté.
7. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. B..., en particulier au regard des dispositions des articles 3 et 17 du règlement du 26 juin 2013.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".
9. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
10. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu remettre, le 19 décembre 2023, le jour même de l'enregistrement de sa demande d'asile en préfecture, et à l'occasion de l'entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, en langue turque, qu'il a déclaré comprendre, dont il a signé les pages de garde et qui contiennent les informations prescrites par les dispositions précitées. Il ressort en outre du compte-rendu de son entretien du même jour qu'il a déclaré que " Le guide du demandeur d'asile et l'information sur les règlements communautaires m'ont été remis dans une langue que je déclare comprendre " et " Je reconnais que les informations contenues dans le guide du demandeur d'asile, ainsi que dans les brochures A et B m'ont été communiquées oralement et je reconnais les avoir comprises ". Il ressort du compte-rendu de l'entretien du 19 décembre 2023 que M. B... a eu le temps de s'exprimer sur sa situation. Enfin, dès lors que l'information prescrite à l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 a été remise à M. B... lors de l'introduction de sa demande d'asile et au plus tard lors de l'entretien qui a été conduit à cette occasion, il n'est pas fondé à soutenir que cette information ne lui aurait pas été donnée en temps utile. Dans ces conditions, son droit à l'information résultant de l'article 4 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'a pas été méconnu.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 13 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) no 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. (...) ". Aux termes de l'article 18 du même règlement : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) / b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre (...) ". Aux termes de l'article 20 du même règlement : " 5. L'État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu, dans les conditions prévues aux articles
23, 24, 25 et 29, et en vue d'achever le processus de détermination de l'État membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale, de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre État membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre État membre pendant le processus de détermination de l'État membre responsable. / Cette obligation cesse lorsque l'État membre auquel il est demandé d'achever le processus de détermination de l'État membre responsable peut établir que le demandeur a quitté entre-temps le territoire des États membres pendant une période d'au moins trois mois ou a obtenu un titre de séjour d'un autre État membre. / Toute demande introduite après la période d'absence visée au deuxième alinéa est considérée comme une nouvelle demande donnant lieu à une nouvelle procédure de détermination de l'État membre responsable. ".
12. Il ressort des pièces du dossier que la consultation du fichier Eurodac a révélé que M. B... avait déposé une demande de protection internationale en Croatie, où ses empreintes digitales ont été enregistrées le 16 octobre 2023. En l'absence d'éléments permettant, en application des critères énumérés aux articles 7 et 15 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, de désigner un autre Etat membre comme responsable de sa demande d'asile présentée ensuite en France, les autorités croates ont été sollicitées par les autorités françaises sur le fondement du 1b de l'article 18 du même règlement. Elles ont accepté explicitement, le 5 janvier 2024, de reprendre en charge M. B..., en application du 5 de l'article 20 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
13. Contrairement à ce que soutient M. B..., l'arrêté contesté, qui expose ces éléments de fait, permet de déterminer de manière suffisamment claire les critères du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 qui ont permis de déterminer l'Etat membre responsable de sa demande d'asile.
14. En outre, le moyen tiré de ce que l'article 24 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 serait méconnu faute de justification de l'accord explicite des autorités croates pour reprendre en charge M. B... manque en fait dès lors que le préfet de Maine-et-Loire a produit un courrier de ces autorités, en date du 5 janvier 2024, par lequel elles acceptent explicitement une telle reprise en charge.
15. Enfin, il résulte de la combinaison des dispositions précitées des articles 13 et 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 que les critères prévus à l'article 13 ne sont susceptibles de s'appliquer que lorsque le ressortissant d'un pays tiers présente une demande d'asile pour la première fois depuis son entrée sur le territoire de l'un ou l'autre des Etats membres et qu'en particulier, les dispositions de cet article ne s'appliquent pas lorsque le ressortissant d'un pays tiers présente, fût-ce pour la première fois, une demande d'asile dans un Etat membre après avoir déposé une demande d'asile dans un autre Etat membre, que cette dernière ait été rejetée ou soit encore en cours d'instruction. Par suite, nonobstant les dispositions de l'article 13 du règlement du 26 juin 2013 qu'il invoque, la Croatie est l'Etat responsable du traitement de la demandes d'asile de M. B... en application du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE)
n° 604/2013. Le moyen tiré de l'erreur de droit quant à la mise en œuvre des critères de détermination de l'Etat responsable doit donc être écarté.
16. En cinquième et dernier lieu, En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article
3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) / (...) ".
17. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article
3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
18. M. B... soutient qu'il a été victime de traitements indignes lors de son passage en Croatie et qu'il n'a pas pu voir traiter sa demande d'asile conformément à ses droits. Il soutient également que les demandeurs d'asile sont systématiquement victimes de violences en Croatie et que leurs conditions de séjour y sont indignes, mais les documents qu'il produit à l'appui de ces affirmations ne permettent pas de tenir pour établi que sa propre demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par ces autorités dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que la Croatie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les autres éléments présentés n'établissent pas qu'il se trouvait à la date de l'arrêté contesté dans une situation de vulnérabilité exceptionnelle imposant d'instruire sa demande d'asile en France. En particulier, si M. B... fait état de la présence en France de son père, ayant le statut de réfugié et de son frère, il ne justifie pas de la réalité des liens familiaux allégués alors qu'il avait déclaré lors de son entretien du 19 décembre 2023 n'avoir aucun membre de sa famille résidant sur le territoire. Au surplus, cette circonstance n'est pas déterminante au regard de l'âge de l'intéressé et au fait qu'il a vécu séparé de son père pendant une vingtaine d'année et que son frère a fait l'objet de la même mesure de transfert en Croatie le même jour. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait contraire à l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement doivent être écartés.
19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Maine-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté contesté, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son conseil, en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Dès lors, ce jugement doit être annulé et les conclusions de première instance de M. B..., y compris celles à fin d'injonction et présentées au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :
20. Par le présent arrêt, la cour se prononce sur l'appel du préfet de Maine-et-Loire contre le jugement du 23 février 2024. Par suite, les conclusions de la requête n° 24NT00870 aux fins de sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les frais liés au litige :
21. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de
M. B... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24NT00870 à fin de sursis à exécution du jugement du 23 février 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes.
Article 2 : Le jugement n° 2402107 du 23 février 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 4 : Les conclusions de M. B... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié M. C... B..., à Me Moreau Talbot et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 11 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2024.
Le rapporteur,
S. DERLANGE
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
Nos 24NT00869, 24NT00870