Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les décisions du 7 mai 2019 par lesquelles la ministre chargée du travail a, d'une part, retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par la société E... à l'encontre de la décision du 25 octobre 2018 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité départementale de Maine-et-Loire de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a rejeté la demande de cette société tendant à la délivrance d'une autorisation de procéder à son licenciement et a, d'autre part, annulé cette décision du 25 octobre 2018 et délivré l'autorisation de licencier M. B....
Par un jugement n°1907047 du 12 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions du 7 mai 2019 de la ministre chargée du travail.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 22 février 2023 et les 17 janvier, 24 janvier et 2 février 2024, la société E..., représentée par Me Contant, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 12 janvier 2023 ;
2°) de rejeter la demande de M. B... présentée devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement attaqué :
- le tribunal a soulevé d'office le moyen selon lequel des attestations produites par l'employeur n'émanaient pas de personnes qui travaillaient au côté de M. B..., sans appeler les parties à formuler des observations à ce sujet.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que les répercussions des propos tenus par M. B... sur le fonctionnement de la société E... n'apparaissaient pas telles qu'elles rendraient impossibles le maintien de ce salarié au sein de l'entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail ;
- la notion de " trouble objectif " est méconnue dans les motifs du jugement, il faut tenir compte de la répercussion des propos sur le fonctionnement de l'entreprise dans son ensemble, non pas seulement des seuls chantiers sur lesquels intervient M. B... ;
- plusieurs témoins ont exprimé leur indignation au point de demander à l'employeur de prendre les mesures eu égard aux répercussions dans l'entreprise rendant impossible le maintien de M. B... ;
- le tribunal en relevant que les propos ont été tenus par un salarié pour lequel il n'était fait état d'aucun antécédent particulier, en particulier dans son comportement vis-à-vis des salariées de la société, a ajouté des conditions non prévues par la jurisprudence pour autoriser le licenciement d'un salarié protégé auteur de propos " sexistes, dégradants et insultant " ;
- le tribunal a relevé à tort que des attestations produites par la société n'émanaient pas de personnes qui travaillaient au côté de M. B... ;
- la réalité des propos tenus par M. B... lors du comité central d'entreprise de la société E... du 22 mai 2018 est établie et ces faits sont confirmés par le procès-verbal rédigé par le secrétaire du comité central d'entreprise ;
- le procès-verbal de la réunion du 22 mai 2018 a été communiqué à l'ensemble des membres du comité central d'entreprise ;
- la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par la société E... à l'encontre de la décision du 25 octobre 2018 de l'inspectrice du travail de l'unité départementale de Maine-et-Loire de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire n'était pas définitive.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 novembre 2023, 22 janvier et 31 janvier 2024, M. B... conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge " in solidum " de l'Etat et de la société E... ou de l'une ou l'autre, la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société E... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
- et les observations de Me Manceau pour la société E....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été recruté par la société E..., à compter du 8 septembre 2008, en qualité de maçon coffreur et est affecté au sein de l'établissement de la société situé en Maine-et-Loire. Il exerce les mandats de délégué du personnel titulaire de cet établissement, de membre titulaire du comité de ce même établissement et de membre titulaire du comité central d'entreprise de la société E.... Il a fait l'objet d'une procédure de licenciement au motif que des propos tenus en dehors de l'exécution de son contrat de travail ont été de nature, compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l'entreprise, à rendre impossible son maintien dans celle-ci. L'inspectrice du travail de l'unité départementale de Maine-et-Loire de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a, le 25 octobre 2018, rejeté la demande d'autorisation présentée par la société E... tendant à la délivrance d'une autorisation de procéder à son licenciement, en raison de doutes sur la matérialité des faits reprochés et sur le déroulement des événements. La société a formé un recours hiérarchique, reçu par les services de la ministre du travail le 30 novembre 2018. Une décision implicite de rejet de ce recours est née le 31 mars 2019. Par une décision du 7 mai 2019, la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet, annulé la décision du 25 octobre 2018 de l'inspectrice du travail et délivré à la société E... l'autorisation de licencier M. B.... L'intéressé a demandé au tribunal l'annulation de ces décisions. Par un jugement du 12 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions du 7 mai 2019 de la ministre chargée du travail. La société E... relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En relevant dans ses motifs que certaines des attestations produites par l'employeur n'émanaient pas de personnes qui travaillaient au côté de M. B..., le tribunal s'est borné à apprécier les éléments soumis au débat contradictoire, sans soulever un moyen relevé d'office. Par suite, la société E... n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait irrégulier sur ce point.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement d'un salarié légalement investi de fonctions représentatives, qui bénéficie d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'il représente, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque son licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un acte ou un comportement du salarié survenu en dehors de l'exécution de son contrat de travail, notamment dans le cadre de l'exercice de ses fonctions représentatives et qui, ne méconnaissant pas les obligations découlant pour lui de son contrat de travail, ne constitue pas une faute, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits en cause sont établis puis, le cas échéant, s'ils sont de nature, compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l'entreprise, à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé.
4. En premier lieu, la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société E... est motivée par des propos qu'aurait tenus M. B... lors de la réunion du comité central d'entreprise du 22 mai 2018, alors que le comité débattait sur un point de l'ordre du jour intitulé : " information / consultation sur le rapport sur la situation comparée des hommes et des femmes au 31 décembre 2017 et sur le plan d'actions 2018 ". Selon les termes du procès-verbal de cette réunion, édité le 4 juin 2018 : " Le projet de plan d'action présente tout d'abord la mesure des objectifs fixés l'année précédente. Il est à noter que le pourcentage d'embauche des femmes en 2017 est de 50%. Les actions déjà initiées en 2017 seront poursuivies en 2018 sur le recrutement, la communication, la rémunération effective et la formation. Le tableau de la situation comparée homme femme (...) fait l'objet d'un échange. Lors de la lecture du tableau reprenant la situation comparée homme femme au 31 décembre 2017 sur le sujet de la sécurité et santé au travail et plus particulièrement du nombre moyen de jours d'absence maladie, M. B... relève le fait que le nombre moyen de jours d'absence des femmes cadres (18,71) est équivalent à celui des ouvriers (19,25) et rappelle que l'on refuse d'accorder des jours de carence aux ouvriers alors qu'ils ont le même taux d'absentéisme que les femmes cadres. Il précise alors que les femmes font 'le tapin'. M. C... indique à M. B... que ces propos sont indécents, et qu'il trouve cela très choquant. M. B... rétorque qu'il peut tout dire en réunion et réitère alors deux fois ses propos, à savoir 'que les femmes tapinent' ".
5. Pour annuler les décisions du 7 mai 2019 de la ministre chargée du travail, le tribunal a relevé tout d'abord que les faits invoqués par la société E... à l'appui de sa demande d'autorisation de procéder au licenciement de M. B..., dont la ministre du travail a, dans la décision attaquée, admis l'exactitude matérielle, devaient être regardés comme établis, mais il a ensuite estimé que les attestations produites par l'employeur au soutien de sa demande n'émanaient pas de personnes qui travaillaient au côté de M. B... et qu'elles exprimaient surtout une forme d'indignation de principe face à la tenue, par ce dernier, des propos précités sans relever clairement que, au regard de l'indignation qu'ils suscitaient, de tels propos commandaient de la part de l'employeur le prononcé d'un licenciement. Il a également relevé que ces propos avaient été tenus par un salarié pour lequel il n'était fait état d'aucun antécédent particulier, en particulier dans son comportement vis-à-vis des salariées de la société et que les répercussions des propos tenus par M. B... dans le fonctionnement de la société E... n'apparaissaient pas telles qu'elles auraient rendu impossible le maintien de ce salarié au sein de cette entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail.
6. Les propos tenus par M. B... sont consignés au procès-verbal de la réunion du 22 mai 2018 et le contexte dans lequel ils ont été tenus est confirmé par cinq des sept personnes, dont M. C..., membre titulaire du comité central représentant le collège " Etam/cadre " de la société E..., qui étaient présentes au côté de l'intéressé au moment de l'examen du rapport d'information sur la situation comparée des hommes et des femmes au 31 décembre 2017 et du plan d'actions pour 2018. L'attestation de M. A... produite par M. B... n'est pas suffisante pour remettre en cause la valeur probante de ces attestations. Ces attestations concordantes sont suffisamment circonstanciées pour établir la réalité des propos injurieux et insultants tenus par M. B... à l'égard du personnel cadre féminin de l'entreprise. A cet égard, la circonstance que les règles relatives à l'établissement et à l'approbation des procès-verbaux de réunion n'aient pas été suivies, s'agissant du compte-rendu de la réunion du 22 mai 2018 au cours de laquelle ont été tenus lesdits propos, est sans incidence sur la matérialité des faits invoqués par l'employeur à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement. Par suite, les faits invoqués par la société E... à l'appui de sa demande d'autorisation de procéder au licenciement de M. B..., dont la ministre du travail a, dans la décision attaquée, admis l'exactitude matérielle, doivent être regardés comme établis.
7. Toutefois, si une trentaine de salariés de l'entreprise a tenu à exprimer à l'employeur, par courriels ou par attestations, son indignation et le caractère choquant des propos tenus par M. B..., cette réaction d'un nombre significatif de salariés à l'encontre des propos dégradants et insultants de l'intéressé, en sa qualité de membre du comité d'entreprise, à l'égard du personnel cadre féminin de la société et de l'image donnée de la fonction d'élu du personnel, ne sauraient caractériser l'existence d'un trouble objectif rendant impossible le maintien de M. B... dans l'entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail. Si ces personnes expriment toutes leur indignation face à la tenue, par ce dernier, des propos précités, elles se bornent à recommander la prise d'une sanction lourde à son égard et qu'il soit démis de ses fonctions au sein du comité central d'entreprise, sans demander expressément son licenciement. En outre, il n'est fait état d'aucun antécédent particulier, en particulier concernant le comportement de M. B... vis-à-vis des salariées de la société et il ne ressort pas des pièces du dossier que les propos reprochés, tenus uniquement au sein du comité d'entreprise, auraient affecté le dialogue social ou le fonctionnement de l'entreprise au point de rendre impossible le maintien du salarié au sein de la société. Enfin, M. B... occupe seulement un emploi à durée indéterminée de maçon coffreur au sein de l'entreprise. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la société E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a estimé que la ministre du travail n'avait pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, autoriser le licenciement de M. B....
8. En second lieu, aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ".
9. En l'espèce, la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par la société E... à l'encontre de la décision du 25 octobre 2018 de l'inspectrice du travail est née le 31 mars 2019. La décision de retrait est intervenue le 7 mai 2019, à l'intérieur du délai de quatre mois prescrit par les dispositions précitées. Enfin, il résulte de ce qui précède que la décision du 25 octobre 2018 de l'inspectrice du travail était illégale. Par suite, la décision implicite née le 31 mars 2019 du silence gardé par l'administration n'était pas définitive et pouvait donc être légalement retirée par la ministre en charge du travail.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes, par son jugement du 12 janvier 2023, a fait droit à la demande de M. B....
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la société E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société E... la somme de 1 500 euros sur le même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société E... est rejetée.
Article 2 : La société E... versera à M. B... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société E... et à M. D... B....
Délibéré après l'audience du 13 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er octobre 2024.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°23NT00484