Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Clécy et la société Fromagère de Sainte-Cécile ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 17 mars 2022 par laquelle l'inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à la direction départementale de la protection des populations de la Mayenne leur a enjoint de mettre en conformité, avec les dispositions du règlement (UE) n° 1151/2012 du 21 novembre 2012, l'étiquetage des fromages qu'elles commercialisent et qui ne bénéficient pas de l'AOP " Camembert de Normandie " ainsi que les décisions de rejet de leurs recours hiérarchiques contre cette décision.
Par un jugement no 2202022, 2202024, 2202025, 2302053 du 12 février 2024, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du 17 mars 2022.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 avril et 19 septembre 2024 sous le n° 24NT01129, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 12 février 2024 ;
2°) de rejeter les demandes présentées par la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Sainte-Cécile et la société Fromagère de Clécy devant le tribunal administratif de Caen.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'un mémoire en défense n'a pas été visé et que les parties n'ont pas été convoquées au moins sept jours avant l'audience, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 711-2 du code de justice administrative ;
- le moyen tiré de l'illégalité de la méthode suivie par la direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP) pour apprécier la conformité des étiquettes aux prescriptions du règlement n° 1151/2012 est inopérant ;
- la DDETSPP a procédé à un examen au cas par cas de l'ensemble des étiquetages des différentes marques de camemberts commercialisés par la société, conformément à ce qui a été annoncé par l'avis aux opérateurs économiques ;
- la mesure d'injonction en litige est intervenue après cet examen au cas par cas et elle ne pose aucune interdiction générale et absolue ;
- des mentions et graphismes étaient non-conformes à l'article 13 du règlement n° 1151/2012, le consommateur n'étant pas à même de distinguer entre un camembert AOP et un camembert non AOP ;
- l'article 14 du règlement n° 1151/2012 n'a pas été méconnu s'agissant des marques " Président ", " Le Châtelain " et " Cœur de Normandie ".
Par une intervention, enregistrée le 29 mai 2024, l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 12 février 2024 et de rejeter les demandes présentées par la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Clécy et la société Fromagère de Sainte-Cécile devant le tribunal administratif de Caen.
Il soutient que :
- les conditions d'une méconnaissance de l'article 13 du règlement n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 n'étaient pas réunies ; le moyen tiré de l'illégalité de la méthode suivie par la DDETSPP pour apprécier la conformité des étiquettes aux prescriptions du règlement était inopérant et le juge administratif devait seulement apprécier pour chacune des étiquettes contrôlées si les éléments relevés par la DDETSPP étaient de nature à conduire le consommateur à avoir directement à l'esprit le fromage bénéficiant de l'appellation d'origine " Camembert de Normandie " ;
- en tout état de cause, le tableau figurant au procès-verbal joint à la décision contestée recense les éléments caractérisant, au cas par cas, une méconnaissance des prescriptions du droit de l'Union ;
- l'injonction ne porte que sur la mise en conformité des étiquetages des produits cités dans le procès-verbal et ne pose aucune interdiction générale et absolue ;
- les autres moyens soulevés en première instance par la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Clécy et la société Fromagère de Sainte-Cécile ne sont pas fondés, y compris celui de l'exception de marque antérieure et celui tiré de la rupture d'égalité entre les fabricants de camemberts.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 1er août et 27 septembre 2024, la société Fromagère de Domfront, représentée par Me Bombardier, demande à la cour de rejeter la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre et l'INAO ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 1er août et 27 septembre 2024, la société Fromagère de Sainte-Cécile, représentée par Me Bombardier, demande à la cour de rejeter la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre et l'INAO ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 1er août et 27 septembre 2024, la société Lactalis Fromages, représentée par Me Bombardier, demande à la cour de rejeter la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre et l'INAO ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 1er août et 27 septembre 2024, la société Fromagère de Clécy, représentée par Me Bombardier, demande à la cour de rejeter la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre et l'INAO ne sont pas fondés.
II. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 avril et 26 août 2024 sous le n° 24NT01131, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Caen du 12 février 2024.
Il soutient que les conditions posées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont remplies :
- la DDETSPP a procédé à un examen au cas par cas de l'ensemble des étiquetages des différentes marques de camemberts commercialisés par les sociétés, conformément à ce qui a été annoncé par l'avis aux opérateurs économiques ;
- la mesure d'injonction en litige est intervenue après cet examen au cas par cas et elle ne pose aucune interdiction générale et absolue ;
- l'ensemble des moyens de légalité externe soulevés en première instance par la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Clécy et la société Fromagère de Sainte-Cécile ne sont pas fondés ;
- des mentions et graphismes étaient non-conformes à l'article 13 du règlement n° 1151/2012, le consommateur n'étant pas à même de distinguer entre un camembert AOP et un camembert non AOP ;
- l'article 14 du règlement n° 1151/2012 n'a pas été méconnu s'agissant des marques " Président ", " Le Châtelain " et " Cœur de Normandie " ;
- la mesure d'injonction n'a pas créé de rupture d'égalité entre les fabricants de camemberts.
Par une intervention, enregistrée le 29 mai 2024, l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Caen du 12 février 2024.
Il soutient que :
- les conditions d'une méconnaissance de l'article 13 du règlement n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 n'étaient pas réunies ; le moyen tiré de l'illégalité de la méthode suivie par la DDETSPP pour apprécier la conformité des étiquettes aux prescriptions du règlement était inopérant et le juge administratif devait seulement apprécier pour chacune des étiquettes contrôlées si les éléments relevés par la DDETSPP étaient de nature à conduire le consommateur à avoir directement à l'esprit le fromage bénéficiant de l'appellation d'origine " Camembert de Normandie " ;
- en tout état de cause, le tableau figurant au procès-verbal joint à la décision contestée recense les éléments caractérisant, au cas par cas, une méconnaissance des prescriptions du droit de l'Union ;
- l'injonction ne porte que sur la mise en conformité des étiquetages des produits cités dans le procès-verbal et ne pose aucune interdiction générale et absolue ;
- les autres moyens soulevés en première instance par la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Clécy et la société Fromagère de Sainte-Cécile ne sont pas fondés, y compris celui de l'exception de marque antérieure et celui tiré de la rupture d'égalité entre les fabricants de camemberts.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2024 et un mémoire enregistré le
9 septembre 2024 qui n'a pas été communiqué, la société Fromagère de Clécy, représentée par Me Bombardier, demande à la cour de rejeter la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre et l'INAO ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2024 et un mémoire enregistré le
9 septembre 2024 qui n'a pas été communiqué, la société Fromagère de Domfront, représentée par Me Bombardier, demande à la cour de rejeter la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre et l'INAO ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2024, et un mémoire enregistré le
9 septembre 2024 qui n'a pas été communiqué, la société Fromagère de Sainte-Cécile, représentée par Me Bombardier, demande à la cour de rejeter la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre et l'INAO ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2024 et un mémoire enregistré le
6 septembre 2024 qui n'a pas été communiqué, la société Lactalis Fromages, représentée par Me Bombardier, demande à la cour de rejeter la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre et l'INAO ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le règlement n°207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil en date du 21 novembre 2012 ;
- le code de la consommation ;
- le code pénal ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 2007-628 du 27 avril 2007 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,
- et les observations de Mme A..., mandatée pour représenter le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, de Me Bombardier, représentant Lactalis Fromage France, la société Fromagère Domfront, la société Fromagère de Clécy, la société Fromagère Sainte-Cécile, et de Me Pinet, représentant l'Institut national de l'origine et de la qualité.
Une note en délibéré, présentée pour Lactalis Fromage France, la société Fromagère Domfront, la société Fromagère de Clécy, la société Fromagère Sainte-Cécile, par Me Bombardier, a été enregistrée le 11 décembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Plusieurs entités du groupe Lactalis, dont la société Lactalis Fromages, spécialisée dans la commercialisation de fromages, et les sociétés Fromagères de Domfront, Sainte-Cécile et Clécy, fabricantes de camemberts commercialisés sous diverses marques, dont certaines ne bénéficient pas de l'appellation d'origine protégée " Camembert de Normandie ", ont fait l'objet, le 27 mai 2021, d'un contrôle sur place de la direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP) de la Mayenne portant sur les étiquetages des camemberts ne bénéficiant pas de l'AOP. Ce contrôle ayant conduit l'inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à constater plusieurs infractions, il a été suivi de l'envoi à la société Lactalis Fromages d'un courrier de pré-injonction le 1er décembre 2021. Par une décision du 17 mars 2022, l'inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la direction départementale de la protection des populations de la Mayenne a enjoint à la société Lactalis Fromages de mettre en conformité, dans les six mois suivant la réception de cette décision, l'étiquetage de ses fromages qui ne bénéficient pas de l'AOP " Camembert de Normandie " avec les prescriptions de l'article 13 du règlement (UE) n° 1151/2012 du 21 novembre 2012. Les recours hiérarchiques présentés par la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Sainte-Cécile et la société Fromagère de Clécy ont été rejetés. La société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Sainte-Cécile et la société Fromagère de Clécy ont demandé au tribunal administratif de Caen l'annulation de la décision du 17 mars 2022 et des décisions rejetant leurs recours hiérarchiques contre cette décision. Par un jugement du 12 février 2024, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du 17 mars 2022. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour d'une part d'ordonner le sursis à exécution de ce jugement et d'autre part, d'annuler ce jugement.
2. Ces deux recours sont dirigés contre le même jugement et présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu, dès lors, de les joindre pour se prononcer par un même arrêt.
Sur la requête n° 24NT01129 :
En ce qui concerne l'intervention de l'INAO :
3. L'Institut national de l'origine et de la qualité justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation du jugement attaqué. Ainsi, son intervention est recevable.
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision mentionne que l'audience a été publique, sauf s'il a été fait application des dispositions de l'article L. 731-1. Dans ce dernier cas, il est mentionné que l'audience a eu lieu ou s'est poursuivie hors la présence du public. / Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. (...) ". S'il ressort des pièces du dossier que le second mémoire en défense de la préfète de la Mayenne, enregistré le 10 novembre 2023 et communiqué, n'a pas été visé par le tribunal dans l'instance n° 2302053, contrairement au premier mémoire en défense du 23 mai 2023 qui a été visé et analysé, il résulte de l'examen du jugement attaqué que celui-ci a répondu à ce mémoire, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'indiquant d'ailleurs pas quels sont les moyens en défense qui auraient été uniquement développés dans ce second mémoire en défense et auxquels le tribunal n'aurait pas répondu. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à soutenir que le jugement était irrégulier sur ce point.
5. En second lieu, aux termes de l'article R. 711-2 du code de justice administrative : " (...) L'avertissement est donné sept jours au moins avant l'audience. Toutefois, en cas d'urgence, ce délai peut être réduit à deux jours par une décision expresse du président de la formation de jugement qui est mentionnée sur l'avis d'audience. ".
6. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'audience du tribunal, qui s'est tenue le 12 janvier 2024, la préfète de la Mayenne était représentée par Mme B.... Par conséquent, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ne peut utilement soutenir que le jugement attaqué était irrégulier au motif qu'un délai de sept jours francs ne s'était pas écoulé entre l'avis de renvoi d'audience et l'audience.
En ce qui concerne les moyens accueillis par le tribunal :
7. Aux termes de l'article 5 du règlement n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, l'appellation d'origine est une dénomination qui définit un produit " comme étant a) originaire d'un lieu déterminé, d'une région, ou, dans des cas exceptionnels, d'un pays ; b) dont la qualité ou les caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains ; et c) dont toutes les étapes de production ont lieu dans l'aire géographique délimitée ". Aux termes de l'article 13 du même règlement : " 1. Les dénominations enregistrées sont protégées contre : / a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte d'une dénomination enregistrée à l'égard des produits non couverts par l'enregistrement, lorsque ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou lorsque cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu'ingrédients ; / b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l'origine véritable des produits ou des services est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d'une expression telle que " genre ", " type ", " méthode ", " façon ", " imitation ", ou d'une expression similaire, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu'ingrédients ; / c) toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l'origine, la nature ou les qualités essentielles du produit qui figure sur le conditionnement ou l'emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, ainsi que contre l'utilisation pour le conditionnement d'un récipient de nature à créer une impression erronée sur l'origine du produit ; / d) toute autre pratique susceptible d'induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit. / Lorsqu'une appellation d'origine protégée ou une indication géographique protégée contient en elle-même le nom d'un produit considéré comme générique, l'utilisation de ce nom générique n'est pas considérée comme contraire au premier alinéa, point a) ou b). / 2. Les appellations d'origine protégées et les indications géographiques protégées ne peuvent pas devenir génériques. / 3. Les États membres prennent les mesures administratives ou judiciaires appropriées pour prévenir ou arrêter l'utilisation illégale visée au paragraphe 1 d'appellations d'origine protégées ou d'indications géographiques protégées qui sont produites ou commercialisées sur leur territoire (...) ". Aux termes du 6) de l'article 3 du même règlement, les mentions génériques sont définies comme les dénominations de produits qui, bien que se rapportant au lieu, à la région ou au pays de production ou de commercialisation initiale, sont devenues la dénomination commune d'un produit dans l'Union. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 643-2 du code rural et de la pêche maritime : " L'utilisation d'indication d'origine ou de provenance ne doit pas être susceptible d'induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques du produit, de détourner ou d'affaiblir la notoriété d'une dénomination reconnue comme appellation d'origine ou enregistrée comme indication géographique ou comme spécialité traditionnelle garantie, ou, de façon plus générale, de porter atteinte, notamment par l'utilisation abusive d'une mention géographique dans une dénomination de vente, au caractère spécifique de la protection réservée aux appellations d'origine, aux indications géographiques et aux spécialités traditionnelles garanties ".
8. La dénomination " camembert de Normandie " constitue une appellation d'origine protégée au sens du titre II du règlement (UE) n° 1151/2012. Elle bénéficie, par suite, de la protection résultant des dispositions citées au point 7. Si tout fromage répondant aux prescriptions du décret du 27 avril 2007 " relatif aux fromages et spécialités fromagères " concernant le produit dénommé " camembert " peut, conformément au dernier alinéa du paragraphe 1 de l'article 13 de ce même règlement, utiliser la dénomination " camembert ", dont il est constant qu'elle présente un caractère générique, il résulte de ces dispositions qu'il ne peut le faire que dans des conditions qui ne sont pas de nature à porter atteinte à la protection attachée à la dénomination " camembert de Normandie ". En particulier, il ne saurait être fait mention, en association avec le terme générique " camembert ", de l'origine " Normandie ", laquelle ne constitue pas un terme générique, d'une manière telle que cette association de termes, en reprenant l'essentiel de la dénomination protégée, conduise le consommateur à avoir directement à l'esprit, à la lecture de cette mention, le fromage bénéficiant de l'appellation d'origine.
9. En premier lieu, il ressort du procès-verbal de constats du 1er décembre 2021, joint à la décision de pré-injonction du 1er décembre 2021 ainsi qu'à la décision contestée du
17 mars 2022, que les agents de la DDETSPP de la Mayenne ont demandé à examiner l'ensemble des étiquetages des camemberts, commercialisés par la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Sainte-Cécile et la société Fromagère de Clécy, ne bénéficiant pas de l'AOP " Camembert de Normandie ". Le tableau de synthèse inséré dans ce rapport détaille, pour chaque étiquetage de camemberts, les différentes mentions présentes et leur emplacement sur les emballages. Dans ce tableau et à sa suite figure une analyse de la conformité des différentes mentions au regard de l'article 13 du règlement n° 1151/2012. Des anomalies affectant plusieurs références de produits ont été relevées, avec la précision, dans le rapport de contrôle, des mentions ou graphismes en cause, ces mentions étant reprises dans la décision contestée. La seule circonstance que d'autres références, en tout point identiques à celles retenues par la DDETSPP, ne sont pas incluses dans l'injonction contestée ne suffit pas à démontrer l'absence d'examen au cas par cas des références faisant l'objet de l'injonction litigieuse. S'agissant des mentions constatées sur les sites internet des marques Président et Lepetit, le ministre de l'économie a produit deux procès-verbaux de constats internet des 1er et 7 octobre 2021 comportant des captures d'écran des sites www.lepetit.fr et www.president.fr, faisant figurer les extraits de textes, les mentions en litige et les emballages de camemberts. Ces procès-verbaux étaient en annexes du procès-verbal de constats du 1er décembre 2021. En outre, la décision de rejet du recours hiérarchique rappelle que " le contrôle se fonde sur l'analyse d'un faisceau de références graphiques ou textuelles utilisées, leur agencement et les modalités concrètes d'apposition ". Par suite, le moyen tiré de l'absence d'examen au cas par cas effectué par la DDETSPP préalablement à la décision contestée doit être écarté et c'est à tort que les premiers juges ont accueilli ce moyen pour annuler la décision contestée.
10. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision d'injonction du 17 mars 2022 indique les mentions qui ont été considérées comme non-conformes à l'article 13 du règlement n° 1151/2012 et précise que " ces infractions sont détaillées dans le procès-verbal de constatations joint en annexe ". Par conséquent, le moyen tiré de ce que la décision contestée poserait une interdiction générale et absolue, qui excéderait les compétences de l'inspectrice de la DDETSPP, doit être écarté et c'est à tort que les premiers juges ont accueilli ce moyen pour annuler la décision contestée.
11. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Sainte-Cécile et la société Fromagère de Clécy devant le tribunal administratif et devant la cour.
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la préfète de la Mayenne en première instance :
12. Il ressort des pièces du dossier que les sociétés Fromagères de Domfront, Sainte-Cécile et de Clécy, qui disposent d'une personnalité morale propre, vendent l'intégralité des fromages qu'elles produisent à la société Lactalis Fromages. Dans ces conditions, si l'injonction contestée ne leur est pas directement adressée, son application aura nécessairement des conséquences financières pour ces sociétés. Par suite, la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de ces sociétés doit être écartée.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Sainte-Cécile et la société Fromagère de Clécy :
13. En premier lieu, comme il a été dit au point 9, un examen au cas par cas a été effectué par la DDETSPP préalablement à la décision contestée et rien ne vient étayer le soupçon de partialité dont aurait fait preuve l'agent chargé du contrôle. Par conséquent, le moyen tiré de ce que l'injonction contestée est entachée d'un vice de procédure en raison de la partialité de l'inspectrice de la DDETSPP doit être écarté.
14. En deuxième lieu, aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. ".
15. Comme l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, " le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. En particulier, doivent être respectés le principe de la légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle. (...) L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est compétente, d'une part, pour constater les infractions et manquements aux obligations posées par ces diverses dispositions, enjoindre au professionnel de se conformer à celles-ci, de cesser tout agissement illicite ou de supprimer toute clause illicite et, d'autre part, pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements relevés ainsi que l'inexécution des mesures d'injonction. Conformément au principe du respect des droits de la défense, dans chaque cas, l'injonction adressée au professionnel de se conformer à ses obligations ou de cesser tout comportement illicite survient après une procédure contradictoire. L'administration, avant de prononcer une sanction, informe le professionnel mis en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'il peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix. L'administration doit également inviter le professionnel dans un délai de soixante jours à présenter ses observations écrites et le cas échéant ses observations orales. Au terme du délai, l'autorité administrative peut prononcer l'amende par une décision motivée. Il appartiendra au juge administratif, compétent pour connaître du contentieux de ces sanctions administratives, de veiller au respect de la procédure prévue par le législateur. En adoptant les dispositions [notamment de l'article L. 521-1 du code de la consommation], le législateur n'a pas méconnu les exigences [posées par l'article 16 de la Déclaration de 1789]. ". Pour les mêmes motifs que ceux mentionnés par le Conseil constitutionnel, la méconnaissance, par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de la consommation, de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas davantage établie. Par conséquent, le moyen tiré de ce que l'injonction méconnait les principes de séparation des pouvoirs, d'indépendance et d'impartialité puisque l'auteur du procès-verbal de constatations d'infraction, joint à l'injonction, est également l'auteur de l'injonction doit être écarté.
16. En troisième lieu, la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Sainte-Cécile et la société Fromagère de Clécy se prévalent, d'une part, de ce que, conformément à l'accord ayant présidé à la reconnaissance de cette appellation d'origine, tant le décret n° 83-778 du 31 août 1983 relatif à l'appellation d'origine " Camembert de Normandie " que le décret n° 86-1361 du 29 décembre 1986 qui l'a abrogé et remplacé disposaient, au second alinéa de leur article 7, que : " Sous réserve des dispositions qui précèdent, l'emploi de la mention "Fabriqué en Normandie" est autorisé pour l'indication du lieu de fabrication prévu par la réglementation relative aux fromages, sur l'étiquetage des camemberts ne bénéficiant pas de l'appellation d'origine. " et, d'autre part, de ce que la pratique administrative a toujours laissé coexister sur le marché les fromages répondant au cahier des charges de l'AOP, qui exige l'emploi de lait cru, le moulage à la louche ainsi qu'une durée de pâturage de six mois pour des vaches devant provenir à 50 % de race normande, seuls autorisés à porter la mention " camembert de Normandie ", et des fromages portant la dénomination " camembert " et conformes à la définition de ce produit résultant du décret du 27 avril 2007 relatif aux fromages et spécialités fromagères, mais qui étant à base de lait pasteurisé ou thermisé ne peuvent bénéficier de l'AOP, comportant néanmoins sur leur étiquette la mention " fabriqué en Normandie ".
17. Toutefois, d'une part, l'article 7 du décret du 29 décembre 1986 a été abrogé par l'article 3 du décret n° 2008-984 du 18 septembre 2008 relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Camembert de Normandie ". Le règlement d'exécution (UE) n° 1209/2013 de la Commission européenne du 25 novembre 2013, qui a approuvé en dernier lieu le cahier des charges de l'appellation d'origine protégée " Camembert de Normandie ", ne contient aucune prescription relative à l'emploi de la mention " fabriqué en Normandie ", pas davantage qu'aucune disposition législative ou réglementaire du droit de l'Union ou du droit interne. Nul n'ayant de droit acquis au maintien d'une règlementation, la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Sainte-Cécile et la société Fromagère de Clécy ne sauraient soutenir que la suppression de la dérogation initialement admise porterait atteinte aux droits des fabricants concernés. D'autre part, s'il ressort des pièces du dossier que, durant plusieurs années, postérieurement à l'intervention du décret du 18 septembre 2008, l'administration, tout en avisant les producteurs concernés que l'apposition de mentions non réglementaires était libre à condition de ne pas être de nature à induire le consommateur en erreur ou à détourner la notoriété d'une appellation d'origine, n'a pris aucune mesure à l'égard des camemberts étiquetés " fabriqué en Normandie ", afin de laisser à l'ensemble des producteurs concernés la possibilité de s'entendre sur un aménagement du cahier des charges de l'AOP, cette circonstance ne saurait avoir créé, au profit des producteurs de camembert hors AOP, un droit à porter atteinte à la protection attachée à l'AOP. Par suite, la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Sainte-Cécile et la société Fromagère de Clécy ne sont pas fondées à soutenir que la mention " fabriqué en Normandie " est devenue un usage dont bénéficient les producteurs de camemberts non-AOP fabriqués en Normandie.
18. En quatrième lieu, comme il a été dit au point 10, la décision contestée n'édicte pas une interdiction générale et absolue s'agissant de l'utilisation des mentions relatives à la Normandie. Par conséquent, le moyen tiré de ce qu'en interdisant de façon absolue ces mentions, en l'absence d'évolution significative de la réglementation et notamment de l'article 13 du règlement européen, l'injonction méconnait le principe de sécurité juridique, doit être écarté.
19. En cinquième lieu, s'agissant des camemberts de la marque " Cœur de Normandie ", commercialisés par la société Fromagerie de Domfront, mentionnée en gros caractères, sur l'étiquette du couvercle, cet élément, associant directement la Normandie au terme de camembert lui-même, est de nature à conduire le consommateur à avoir directement à l'esprit le fromage bénéficiant de l'appellation d'origine protégée. Il en est de même de l'utilisation du blason normand, sur fond rouge et donc très visible, dans le même champ visuel que le terme " camembert ", sur l'étiquette du couvercle et/ou sur le fond de boîte et/ou la targe de plusieurs références des camemberts de la marque " Le Châtelain ", " Président ", " Nu ", " Cambert de Campagne ", " Casino ", " Camembert intense Belgique 6 ", " Cam aromatique " " Camembert papier 250 gr 1er prix " " Carrefour ", " Les Croisés ", " Eurocasino " et " Cœur de Normandie " commercialisés par la société Fromagerie de Domfront, la société Fromagerie de Clécy et la société Fromagerie de Sainte Cécile. La mention " fabriqué en Normandie " ou " élaboré en Normandie ", sur les étiquettes du couvercle et/ou sur la targe ou le fond de boîte pour les fromages " Le Châtelain ", " Le Roitelet ", " Bridel ", " Le Bon Moine ", " Ambassador ", " Président ", " Le voyageur ", " Camembert de Campagne ", " Camembert bio Pré Fleuri ", " Petit Paris ", " JA Vlog ", " Casino ", " Le Roitelet ", et Cœur de Normandie ", commercialisés par la société Fromagerie de Domfront, la société Fromagerie de Clécy et la société Fromagerie de Sainte Cécile, est également dans le même champ visuel que le terme " camembert ", en gros caractères, et est de nature à tromper le consommateur, ainsi que la mention, sur le couvercle, " soft cheese, specially selected from the heart of normandy " pour le fromage " Petit Camembert Marks et Spencer " destiné à l'export, en caractères facilement lisibles et à proximité du terme " camembert ". Il en est de même de la mention " 100% lait normand " sur le couvercle des boîtes " Président ", de la mention " C'est donc en Normandie et avec du bon lait normand " en fond de boîte du fromage " Petit Camembert Président " et du fromage " Président l'extra fondant et de la mention " au bon lait normand affiné dans notre fromagerie de Sainte Cécile, en Normandie " sur la face arrière du camembert " Le Petit ".
20. En revanche, la mention " fabriqué en Normandie " sur les étiquettes du couvercle des fromages " Bridelight " et " Cœurmandie ", qui ne sont pas qualifiés de camembert, n'est pas de nature à induire le consommateur en erreur s'agissant de l'AOP " camembert de Normandie ". Par conséquent, la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Sainte-Cécile et la société Fromagère de Clécy sont fondées à soutenir que la décision contestée a été prise en méconnaissance de l'article 13 du règlement n° 1151/2012 mais uniquement s'agissant de la mention " Fabriqué en Normandie " portée sur l'étiquette du couvercle du fromage " Bridelight " commercialisé par la société Fromagerie de Sainte-Cécile et sur l'étiquette du couvercle du fromage " Cœurmandie " commercialisé par la société Fromagerie de Domfront.
21. En sixième lieu, aux termes du paragraphe 2 de l'article 14 du règlement (UE) n° 1151/2012 : " Sans préjudice de l'article 6, paragraphe 4, une marque dont l'utilisation enfreint l'article 13, paragraphe 1, et qui a été déposée, enregistrée, ou acquise par l'usage dans les cas où cela est prévu par la législation concernée, de bonne foi sur le territoire de l'Union, avant la date du dépôt auprès de la Commission de la demande de protection relative à l'appellation d'origine ou à l'indication géographique, peut continuer à être utilisée et renouvelée pour ce produit nonobstant l'enregistrement d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique, pour autant qu'aucun motif de nullité ou de déchéance, au titre du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire ou de la directive 2008/95/CE, ne pèse sur la marque. En pareil cas, l'utilisation tant de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée que des marques concernées est autorisée ". Aux termes de l'article 51 du règlement n°207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque de l'Union européenne : " Causes de déchéance : 1. (...) c) si, par suite de l'usage qui en est fait par le titulaire de la marque ou avec son consentement pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, la marque est propre à induire le public en erreur notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique de ces produits ou de ces services. (...) ". Aux termes de l'article 52 du même règlement : " Causes de nullité absolue (...) b) lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque. (...) ".
22. Il n'est pas contesté que les marques " Le Châtelain ", " Cœur de Normandie " et " Président ", marques incorporant le blason de la Normandie, ont été enregistrés à l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) respectivement le 16 août 1993, le
16 mai 1991 et le 27 juin 1990, soit avant la date du dépôt auprès de la Commission de la demande de protection relative à l'AOP " Camembert de Normandie ", le 24 janvier 1994. Toutefois, l'article 7 du décret du 29 décembre 1986 cité au point 16 disposait : " L'emploi de toute indication, de tout mode de présentation ou de tout signe susceptible de faire croire à l'acheteur qu'un fromage a droit à l'appellation d'origine "Camembert de Normandie" alors qu'il ne répond pas à toutes les conditions fixées par le présent décret est poursuivi conformément à la législation en vigueur sur la répression des fraudes et sur la protection des appellations d'origine. / Sous réserve des dispositions qui précèdent, l'emploi de la mention "Fabriqué en Normandie" est autorisé pour l'indication du lieu de fabrication prévu par la réglementation relative aux fromages, sur l'étiquetage des camemberts ne bénéficiant pas de l'appellation d'origine. ". Les marques de camemberts non AOC (et non AOP) " Le Châtelain ", " Cœur de Normandie " et " Président ", créées postérieurement à l'AOC " Camembert de Normandie ", étaient, dès l'origine, susceptibles d'induire l'acheteur en erreur sur la qualification d'AOC et méconnaissaient par conséquent l'article 7 du décret du 29 décembre 1986. La société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Sainte-Cécile et la société Fromagère de Clécy ne peuvent utilement se prévaloir, pour justifier leur bonne foi s'agissant du dépôt de ces marques, de l'autorisation, jusqu'en 2008, de la mention " Fabriqué en Normandie ", cette-dernière autorisation ne portant que sur l'origine du produit et non sur sa marque. Par conséquent, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et l'Institut national de l'origine et de la qualité établissent, par ces éléments, que le titulaire des marques " Le Châtelain ", " Cœur de Normandie " et " Président " avait introduit la demande d'enregistrement de ces marques avec l'intention de bénéficier, indument, de l'image de l'AOC " Camembert de Normandie ". Il ne peut donc être regardé comme de bonne foi lors du dépôt de la demande de marque. Au surplus, par l'usage qui en est fait, ces marques sont propres, depuis 1994, à induire le public en erreur sur la qualité des produits commercialisés, par la confusion pouvant être faite par les acheteurs entre les camemberts des marques " Le Châtelain ", " Cœur de Normandie " et " Président " et l'AOP " Camembert de Normandie ". Par conséquent, la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Sainte-Cécile et la société Fromagère de Clécy ne sont pas fondées à se prévaloir de l'exception d'antériorité prévue à l'article 14 du règlement (UE) n° 1151/2012.
23. En septième et dernier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. En l'espèce, comme il a été indiqué précédemment, la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Sainte-Cécile et la société Fromagère de Clécy ne sont pas fondées à soutenir que l'administration a interdit, de façon générale et absolue, toute référence à la Normandie sur l'emballage d'un camembert fabriqué en Normandie. En tout état de cause, les fabricants normands de camembert ne sont pas dans la même situation que les fabricants de camembert qui élaborent leur produit dans une autre région et la différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l'objet de la règlementation relative à la protection prévue en faveur de l'appellation d'origine protégée " Camembert de Normandie " et n'est pas manifestement disproportionnée. Au demeurant, l'interdiction, dans les conditions décrites ci-dessus, des mentions relatives à la Normandie n'empêche aucunement les producteurs concernés de mentionner, selon des modalités appropriées, le nom et l'adresse de l'entreprise de fabrication. Par conséquent, le moyen tiré de la rupture d'égalité entre les fabricants de camemberts non-AOP doit être écarté.
24. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du 17 mars 2022 de l'inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la DDETSPP de la Mayenne, excepté s'agissant de la mention " Fabriqué en Normandie " portée sur l'étiquette du couvercle du fromage " Bridelight " commercialisé par la société Fromagère de Sainte-Cécile et sur l'étiquette du couvercle du fromage " Cœurmandie " commercialisé par la société Fromagère de Domfront.
Sur la requête n° 24NT01131 :
En ce qui concerne l'intervention de l'INAO :
25. L'Institut national de l'origine et de la qualité justifie d'un intérêt suffisant au sursis à exécution du jugement attaqué. Ainsi, son intervention est recevable.
En ce qui concerne le non-lieu à statuer :
26. Dès lors qu'il est statué par le présent arrêt sur les conclusions du recours du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.
Sur les frais liés au litige :
27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, pour l'essentiel, dans la présente instance, la somme que la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Sainte-Cécile et la société Fromagère de Clécy demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Les interventions de l'Institut national de l'origine et de la qualité sont admises.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête enregistrée sous le n° 24NT01131 tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Caen du 12 février 2024.
Article 3 : La décision du 17 mars 2022 de l'inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations de la Mayenne est annulée en tant qu'elle concerne la mention " Fabriqué en Normandie " portée sur l'étiquette du couvercle du fromage " Bridelight " commercialisé par la société Fromagerie de Sainte-Cécile et sur l'étiquette du couvercle du fromage " Cœurmandie " commercialisé par la société Fromagerie de Domfront.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 12 février 2024 est réformé en tant qu'il est contraire à l'article 3 ci-dessus.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par la société Lactalis Fromages, la société Fromagère de Domfront, la société Fromagère de Sainte-Cécile et la société Fromagère de Clécy devant le tribunal administratif de Caen et devant la cour est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la société Lactalis Fromages, à la société Fromagère de Domfront, à la société Fromagère de Sainte-Cécile, à la société Fromagère de Clécy et à l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO).
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Mayenne.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2025.
La rapporteure,
P. PICQUET
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 24NT01129, 24NT01131