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10/01/2025 | FRANCE | N°24NT02075

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 10 janvier 2025, 24NT02075


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler, d'une part, la décision implicite par laquelle le préfet du Calvados a rejeté sa demande de titre de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et, d'autre part, l'arrêté du préfet du 29 janvier 2024 refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, fi

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler, d'une part, la décision implicite par laquelle le préfet du Calvados a rejeté sa demande de titre de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et, d'autre part, l'arrêté du préfet du 29 janvier 2024 refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de retour sur le territoire d'une durée de deux ans.

Par un jugement n°s 2302290 et 2400586 du 7 juin 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté les requêtes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 juillet et 12 septembre 2024, M. D..., représenté par Me Cavelier, demande à la cour :

1°) de lui accorder le bénéfice provisoire de l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler ce jugement du 7 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté ses requêtes ;

3°) d'annuler l'arrêté du 29 janvier 2024 du préfet du Calvados ;

4°) d'enjoindre au préfet du Calvados de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1200 euros en application de l'article

37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

sur la régularité du jugement attaqué :

- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de l'erreur de droit commise par le préfet dans l'application de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

sur la décision portant refus de titre de séjour :

- le préfet a commis une erreur de droit en ajoutant une condition à l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il a commis une erreur manifeste d'appréciation et méconnu les dispositions de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'article L. 435-2 du CESEDA ne prévoit pas l'obligation de suivre ou d'avoir suivi une formation professionnelle pour prétendre à la délivrance d'un titre de séjour ;

- la décision attaquée porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ;

sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est entachée d'erreur de droit, d'erreur d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :

- elle est entachée d'erreur de droit, d'erreur d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 juillet 2024, et un mémoire enregistré le

25 septembre 2024 qui n'a pas été communiqué, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

M. D... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 23 octobre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Chabernaud a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant de la République Démocratique du Congo (RDC) né le 1er janvier 1985, est entré en France le 24 août 2015. Il a déposé, le 30 janvier 2023, une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Sa demande a été rejetée implicitement par le préfet du Calvados puis explicitement, aux termes d'un arrêté du préfet du 29 janvier 2024 portant également obligation de quitter le territoire français dans le délai de 30 jours, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par un jugement du 7 juin 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté les requêtes dirigées contre cet arrêté. M. D... fait appel de ce jugement.

Sur la demande d'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ".

3. Par une décision du 23 octobre 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à

M. D... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dès lors, les conclusions présentées par ce dernier tendant à ce que la cour l'admette provisoirement à l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet. Il n'y a donc plus lieu d'y statuer.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Il ressort des pièces du dossier que M. D... avait invoqué devant le tribunal administratif de Caen, à l'encontre de la décision portant refus de titre de séjour du 29 janvier 2024, le moyen tiré de l'erreur de droit, en soutenant que le préfet avait fait de la prise en compte de sa situation familiale et de l'ancienneté de sa présence en France une condition supplémentaire à la délivrance du titre de séjour litigieux non prévue par les dispositions de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen, qui n'était pas inopérant. Par suite, son jugement doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions à fin d'annulation du requérant dirigées contre cette décision. En conséquence, il y a lieu de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions de M. D... dirigées contre la décision portant refus de titre de séjour du

29 janvier 2024 et par la voie de l'effet dévolutif de l'appel sur ses conclusions à fin d'annulation présentées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français et celle portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Sur les conclusions dirigées contre la décision portant refus de titre de séjour :

5. En premier lieu, par un arrêté du 4 octobre 2023, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, le préfet du Calvados a donné délégation à Mme B... C..., cheffe du bureau du séjour, à l'effet de signer tous les arrêtés et décisions relevant des attributions du bureau du séjour. Le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'acte doit, par suite, être écarté.

6. En second lieu, aux termes de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger accueilli par les organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles et justifiant de trois années d'activité ininterrompue au sein de ce dernier, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration, peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".

7. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée par un étranger sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger, dont la présence en France ne doit pas constituer une menace pour l'ordre public, est accueilli dans un organisme de travail solidaire et justifie de trois années d'activité ininterrompue auprès d'un ou plusieurs organismes relevant de cette catégorie. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

8. D'une part, il ressort de la décision du 29 janvier 2024 que le préfet, en tenant compte notamment des attaches familiales de M. D... et de l'ancienneté de sa présence en France, s'est borné à porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé en faisant application des dispositions précitées de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans ajouter une condition non prévue par ces dernières. Par ailleurs, si celles-ci n'imposent pas à l'étranger la production d'un contrat de travail, d'une promesse d'embauche ou la réalisation d'une formation professionnelle, leur absence peut toutefois être légalement retenue comme un élément de fait par le préfet dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, sans que celui-ci commette une erreur de droit.

9. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. D..., ressortissant de la République Démocratique du Congo (RDC) né le 1er janvier 1985, est entré en France le 24 août 2015. Il est accueilli par l'association Emmaüs depuis le 2 janvier 2020 où il a travaillé en tant qu'agent de tri puis comme agent affecté à la livraison et au ramassage des dons, avec un volume horaire hebdomadaire de 39 heures. Le rapport du 17 janvier 2023 établi par l'association Emmaüs, qui fait notamment état des compétences acquises par M. D... et de son bon relationnel avec les donateurs et ses collègues, établit le caractère réel et sérieux de cette activité. Toutefois, l'intéressé ne justifie d'aucune expérience professionnelle, promesse d'embauche ou diplôme qui lui permettraient d'occuper un emploi à l'issue de sa période de prise en charge par l'association. S'il se prévaut d'un stage de découverte dans le domaine de la peinture en bâtiment au sein d'une entreprise, effectué du 2 au 15 juillet 2024, celui-ci est cependant postérieur à la date de la décision litigieuse et, par suite, sans incidence sur la légalité de cette dernière. Par ailleurs, M. D... n'établit pas être toujours en couple avec la mère de son fils, né en France en 2016, l'intéressée étant, au demeurant, en situation irrégulière sur le territoire national. En outre, il justifie seulement de quelques éléments établissant qu'il contribue à l'éducation et à l'entretien de son fils. En tout état de cause, les intéressés sont de nationalité congolaise (RDC) et la cellule familiale peut donc être reconstituée dans ce pays, où M. D... a vécu la majorité de son existence et où résident ses parents, son frère et sa sœur ainsi que deux enfants mineurs nés en 2009 et 2010 d'une précédente union. Dans ces conditions, en estimant que

M. D... ne démontrait pas suffisamment de perspectives d'intégration au sens des dispositions précitées de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Calvados n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation. Il n'a pas non plus porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale, de nature à méconnaître les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur les conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français :

10. Les moyens tirés de ce que la décision litigieuse est entachée d'erreur de droit, d'erreur d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux qui ont été exposés au point 9 ci-dessus.

Sur les conclusions dirigées contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :

11. Les moyens tirés de ce que la décision litigieuse est entachée d'erreur de droit, d'erreur d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux qui ont été exposés au point 9 ci-dessus.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé, d'une part, à demander l'annulation de l'arrêté du 29 janvier 2024 du préfet du Calvados en tant qu'il lui refuse la délivrance d'un titre de séjour et, d'autre part, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de 30 jours, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

13. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la demande de M. D... aux fins d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Le jugement du 7 juin 2024 du tribunal administratif de Caen est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 29 janvier 2024 du préfet du Calvados en tant que celui-ci refuse la délivrance d'un titre de séjour.

Article 3 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Caen contre l'arrêté du 29 janvier 2024 du préfet du Calvados en tant qu'il refuse la délivrance d'un titre de séjour ainsi que le surplus des conclusions de sa requête d'appel sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président-assesseur,

- M. Chabernaud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2025.

Le rapporteur,

B. CHABERNAUDLe président,

L. LAINÉ

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT02075


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT02075
Date de la décision : 10/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: M. Benjamin CHABERNAUD
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : CAVELIER

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-10;24nt02075 ?
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