Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2024 par lequel le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement.
Par un jugement n° 2400478 du 24 mai 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 juin et 12 août 2024 et un mémoire, enregistré le 15 janvier 2025, non communiqué, Mme B..., représentée par Me Cavelier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 24 mai 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2024 du préfet de l'Orne ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Orne de réexaminer sa situation administrative et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, avec autorisation de travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le préfet de l'Orne a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet de l'Orne a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet de l'Orne a méconnu l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet de l'Orne a méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 août 2024, le préfet de l'Orne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Derlange, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante russe, née le 24 août 2001, entrée irrégulièrement en France le 24 juillet 2017, a demandé la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 17 avril 2023, le préfet de l'Orne a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement. Par un jugement du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Caen a annulé cet arrêté. Sur réexamen, le
25 janvier 2024, le préfet de l'Orne a de nouveau rejeté la demande de titre de séjour de Mme B..., l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement. Le tribunal administratif de Caen, par un jugement du 24 mai 2024, a rejeté le recours de Mme B... contre cet arrêté. Mme B... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... réside en France depuis 2017, avec les membres de sa famille, qu'elle a suivi sa scolarité avec sérieux et assiduité de sorte qu'elle a obtenu en 2021 son baccalauréat professionnel spécialité Services de proximité et vie locale puis son diplôme de BTS Services et prestations des secteurs sanitaire et social en 2023, et qu'elle était engagée, à la date de la décision contestée, dans une formation dispensée à l'institut régional des formations sanitaires et sociales de Normandie afin d'obtenir un diplôme d'Etat d'assistant de service social. Toutefois, il ressort également des pièces du dossier qu'elle est célibataire et que tous les membres de sa famille en France sont en situation irrégulière et objet d'une mesure d'éloignement équivalente. Elle n'établit pas être dépourvue d'attaches en Russie, pays dont elle a la nationalité et dont elle dispose d'un passeport valable jusqu'en 2032 et surtout en Arménie, pays de sa naissance et où elle ne conteste pas que résident sa grand-mère et une tante. Dans ces conditions, elle ne justifie pas de considérations humanitaires ni de motifs exceptionnels susceptibles de justifier son admission exceptionnelle au séjour et le préfet de l'Orne n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de lui accorder un titre de séjour.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".
5. Eu égard à ce qui a été dit au point 3 au sujet de son statut de célibataire, de ses attaches en Arménie et du caractère irrégulier du séjour des membres de sa famille en France, le préfet de l'Orne n'a pas porté d'atteinte disproportionnée au droit de Mme B... au respect de sa vie privée et familiale en prenant l'arrêté contesté. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
7. Si Mme B... soutient qu'elle sera exposée à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Arménie ou en Russie, du fait de groupes mafieux qui poursuivent les membres de sa famille, les éléments qu'elle produit ne sont pas suffisamment probants et crédibles pour établir la réalité des risques allégués. D'ailleurs, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'asile par une décision du 1er octobre 2020, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 22 mars 2021. Mme B... n'est donc pas fondée à soutenir que le préfet de l'Orne a méconnu les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. En quatrième et dernier lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. / L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation. ".
9. Par sa décision du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Caen a ordonné au préfet de l'Orne de de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Il ressort des pièces du dossier qu'il n'a pas procédé à ce réexamen dans le délai imparti et, en particulier, qu'il n'a pas informé Mme B... de sa décision de refus de séjour et d'obligation de quitter le territoire français litigieuse qui ne surviendra que le 25 janvier 2024. Par suite, en lui laissant un délai de seulement 30 jours pour quitter le territoire français à compter de la notification de cette décision alors qu'elle avait pu légitimement s'engager dans une formation professionnalisante au titre de l'année 2023/2024 faute de prise de position de l'administration avant qu'elle ne débute, le préfet de l'Orne a commis une erreur manifeste d'appréciation. Il y a lieu d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2024 en tant qu'il a ordonné à Mme B... de quitter le territoire français avant la fin de la scolarité 2023/2024, qui au vu des pièces du dossier doit être regardée comme étant le 1er juillet 2024 compte tenu du temps nécessaire pour organiser son départ.
10. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 25 janvier 2024 du préfet de l'Orne lui accordant un délai de trente jours pour quitter le territoire français, en tant qu'elle ne lui a pas permis de s'y maintenir jusqu'à la fin de sa formation, au plus tard le 1er juillet 2024.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Le présent arrêt, qui rejette la requête de Mme B... pour l'essentiel et n'annule l'arrêté contesté qu'au regard de ses effets jusqu'à une date passée, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de la requérante aux fins d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance compte tenu du rejet pour l'essentiel de la requête, le versement de la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 25 janvier 2024 du préfet de l'Orne accordant un délai de trente jours à Mme B... pour quitter le territoire français est annulée en tant qu'elle ne lui a pas permis de s'y maintenir jusqu'à la fin de sa formation, au plus tard le 1er juillet 2024.
Article 2 : Le jugement du 24 mai 2024 du tribunal administratif de Caen est annulé en tant qu'il est contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Cavelier et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de l'Orne.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 février 2025.
Le rapporteur,
S. DERLANGE
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01949