Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant implicitement le recours formé contre la décision du 7 août 2022 par laquelle les autorités consulaires françaises en poste au Caire (Egypte) ont opposé un refus à sa demande de visa de long séjour pour motif professionnel.
Par un jugement n° 2300150 du 6 mai 2024, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de lui délivrer un visa de long séjour.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 juin 2024, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 mai 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient qu'il existe un risque avéré de détournement de l'objet du visa.
Par des mémoires en défense, enregistré le 1er octobre 2024 et le 10 mars 2025, M. A... et la société à responsabilité limitée (SARL) B..., représentés par Me Cavelier, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que le moyen soulevé par le ministre de l'intérieur n'est pas fondé.
Par une lettre du 18 mars 2025, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions émanant de la SARL B..., cette dernière n'étant pas partie en première instance et n'ayant pas d'intérêt à agir contre le refus de visa opposé à M. A....
Des observations, présentées par M. A..., en réponse à la lettre adressée aux parties par la cour en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, ont été enregistrées le 24 mars 2025 et communiquées au ministre de l'intérieur.
Vu :
- l'arrêt n° 24NT01984 du 14 août 2024 rejetant la demande de sursis à exécution du jugement attaqué ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant égyptien né en 1998, a sollicité la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France en vue d'y exercer une activité professionnelle. Les autorités consulaires françaises en poste au Caire (Egypte) ont, le 7 août 2022, opposé un refus à cette demande. Par un jugement du 6 mai 2024, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. A..., la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé par l'intéressé, le 26 septembre 2022, contre la décision consulaire. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail ". La circonstance qu'un travailleur étranger dispose d'une autorisation de travail ne fait pas obstacle à ce que l'autorité compétente refuse de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en France en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur tout motif d'intérêt général. Constitue notamment un tel motif le risque avéré de détournement de l'objet du visa sollicité, lorsque l'administration établit que le motif indiqué dans la demande ne correspond manifestement pas à la finalité réelle du séjour de l'étranger en France. S'agissant d'un visa sollicité en qualité de salarié, ce risque peut notamment résulter de l'inadéquation entre la qualification et l'expérience professionnelles du demandeur et l'emploi sollicité.
3. Il ressort des pièces du dossier que la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée sur le risque de détournement de l'objet du visa sollicité par M. A.... Le ministre de l'intérieur soutient que la réalité de ce risque est démontrée, d'une part, par l'inadéquation entre le profil professionnel de M. A... et les caractéristiques du poste qu'il se propose d'occuper et, d'autre part, par le " recrutement intrafamilial organisé par son frère (...), qui souhaite également employer en même temps un troisième frère ".
4. Par une décision du 30 mars 2022, le ministre de l'intérieur a délivré à la société à responsabilité limitée (SARL) B..., dont l'activité principale porte sur des travaux de peinture intérieure et extérieure ainsi que des travaux de revêtement des sols et des murs, une autorisation de travail concernant M. A... en vue de pourvoir, sous couvert d'un contrat de travail à durée indéterminée, un emploi de peintre en bâtiment. M. A... détient, depuis le 8 mars 2021, 25 % des parts sociales de cette société créée en 2017 par son frère aîné, qui en est également le gérant. Il ressort des pièces du dossier que la société, qui a connu une activité croissante entre 2019 et 2021, a sollicité, en vue du recrutement d'un peintre expérimenté, la chargée de mission " entreprises " de Caen La Mer Emploi et Compétences ainsi qu'en témoigne le courriel de cette dernière du 21 septembre 2020. Elle a également, au mois de décembre 2021 puis de septembre 2022, publié sur le site de Pôle Emploi des offres d'emploi pour des postes de peintre en bâtiment, poseur de revêtements souples muraux et applicateur d'enduits. Le gérant de la société explique qu'aucune des quatre candidatures présentées n'a été retenue faute de présenter les compétences recherchées en pose de revêtement mural de type vinylique et manipulation de machines à projeter certain type d'enduit. Si le ministre de l'intérieur met en doute la sincérité de la démarche et les explications de l'employeur, il ressort de l'enquête sur le besoin en main d'œuvre dans le département du Calvados pour l'année 2022 que les difficultés à recruter s'élevaient, s'agissant des ouvriers qualifiés de la peinture et de la finition du bâtiment, à 92,3 %. Par ailleurs, M. A... produit deux certificats de travail dont il ressort qu'il a travaillé du 1er juillet 2015 au 1er septembre 2020 pour une compagnie générale de travaux où lui a été confiée la réalisation de travaux de décoration et de revêtement de sols puis, du 1er janvier 2021 au 1er mars 2023, au sein du département conception et décoration d'un promoteur immobilier. Alors même qu'il ne justifie pas d'un diplôme, l'expérience professionnelle de M. A... n'apparait pas en inadéquation avec l'emploi pour lequel il a sollicité la délivrance d'un visa. La circonstance qu'un autre de ses frères, qui justifie des mêmes expériences professionnelles, a également sollicité la délivrance d'un visa de long séjour en vue de participer à l'activité dont il et détient lui aussi 25 % des parts, ne démontre pas, par elle-même, que les intéressés n'auraient pas l'intention d'effectivement travailler au sein de la SARL B... ni, par suite, que le motif professionnel indiqué dans leurs demandes de visa ne correspondrait pas à la finalité réelle de leur séjour. Il suit de là qu'en se fondant, pour confirmer le refus de visa opposé à M. A... sur le risque de détournement de l'objet du visa, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte appréciation des faits de l'espèce.
5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les frais liés au litige :
6. La SARL B..., qui n'était pas partie en première instance et qui ne justifie pas d'un intérêt à agir contre le refus de visa opposé à M. A... n'est pas recevable à demander la mise à la charge de l'Etat du versement d'une somme sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'Etat, en application de ces dispositions, le versement à M. A... de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par la SARL B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. C... D... A... et la société à responsabilité limité B....
Délibéré après l'audience du 28 mars 2025, à laquelle siégeaient :
M. Gaspon, président de chambre,
M. Coiffet, président-assesseur,
Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 avril 2025.
La rapporteure,
K. BOUGRINE
Le président,
O. GASPONLa greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01983