Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... et M. A... D... ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la commune de Deauville à leur verser la somme de 80 362,71 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la décision du 30 mai 2016 par laquelle le maire a décidé d'exercer son droit de priorité pour acquérir les biens cédés par l'Etat situés 7/9 rue Auguste Decaëns.
Par un jugement n° 2102675 du 22 novembre 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 janvier et 6 juin 2024, M. B... et M. D..., représentés par la SAS Hannotin Avocats, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 novembre 2023 du tribunal administratif de Caen ;
2°) de condamner la commune de Deauville à leur verser une somme de 54 201,53 euros assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Deauville une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal administratif de Caen n'a pas répondu aux moyens tirés de ce que, d'une part, le droit de priorité était déjà purgé et ne pouvait plus être exercé ni par la commune de Deauville ni par la communauté de communes Cœur Côte Fleurie et, d'autre part, que la communauté de communes s'était dessaisie de son droit de priorité et ne pouvait plus l'exercer ;
- la communauté de communes Cœur Côte Fleurie, pas plus que la commune de Deauville, ne pouvait exercer le droit de priorité à la suite de la nouvelle déclaration d'aliéner adressée par l'Etat le 4 avril 2016 dès lors que ce droit avait été précédemment, et définitivement, purgé ;
- la communauté de communes Cœur Côte Fleurie s'était dessaisie de cette compétence au profit de la commune de Deauville par une décision du 4 février 2016 ;
- la communauté de communes Cœur Côte Fleurie n'a jamais eu l'intention d'exercer le droit de priorité et ne justifiait d'ailleurs pas de la réalité d'un projet d'intérêt général répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ;
- les frais de logement et de stationnement exposés sur près de trois années en raison de l'illégalité fautive commise sont évalués à la somme de 26 028,00 euros ;
- le montant des réparations résultant de cette illégalité s'élève, en raison des dégradations commises par des squatters, à la somme de 8 457,43 euros ;
- les frais de déplacement nécessités pour surveiller leur bien se sont élevés à la somme de 4 716,10 euros ;
- le préjudice moral et les troubles dans leurs conditions d'existence doivent être indemnisés à hauteur de 15 000 euros ;
- ils ont droit aux intérêts au taux légal à compte du 1er octobre 2021, date de réception de la réclamation préalable indemnitaire par la commune de Deauville, et de leur capitalisation à compter du 1er octobre 2022.
Par des mémoires en défense enregistrés le 2 mai 2024 et le 24 juin 2024, ce dernier non communiqué, la commune de Deauville, représentée par Me Sur-Le Liboux, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge des requérants une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens des requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Derlange, président assesseur,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,
- et les observations de M. B..., et de Me Sur-Le Liboux pour la commune de Deauville.
Une note en délibéré, présentée pour MM. B... et D..., a été enregistrée le 2 mai 2025.
Considérant ce qui suit :
1. L'Etat a souhaité vendre d'anciens logements de fonctions d'éclusiers, dont il était propriétaire 7/9 rue Auguste Decaëns à Deauville. Il a notifié à la commune de Deauville une déclaration d'intention d'aliéner ces biens le 20 juillet 2015 au prix de 440 000 euros. La commune ayant informé l'Etat qu'elle ne souhaitait pas acquérir à ce prix, le bien a été mis en vente par adjudication. MM. D... et B..., qui ont été les mieux-disants, ont signé un compromis de vente à hauteur de 280 000 euros, le 8 janvier 2016. Mais, le maire de Deauville a décidé d'exercer son droit de priorité le 8 février 2016. Il a toutefois retiré cette décision le 16 mars 2016 au motif, selon les écritures de la commune, de l'irrégularité de la notification par l'État de la déclaration d'intention d'aliéner. L'Etat a notifié, le 4 avril 2016, une nouvelle déclaration d'intention d'aliéner au prix de 300 000 euros. Le 30 mai 2016, le maire de Deauville a décidé d'acquérir le bien en exerçant le droit de priorité. Cette décision a toutefois été annulée par le tribunal administratif de Caen, par un jugement du 28 juin 2018, au motif que le maire de Deauville n'était pas compétent pour exercer ce droit. MM. D... et B..., qui ont acquis le bien par un acte du 5 octobre 2018, ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la commune de Deauville à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 30 mai 2016. Ils font appel du jugement du 22 novembre 2023 par lequel le tribunal a rejeté leur demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En jugeant, au point 7 du jugement attaqué, après avoir constaté que la commune de Deauville n'était pas compétente pour exercer le droit de priorité qu'" il ne résulte pas de l'instruction que la communauté de communes Cœur Côte Fleurie avait déjà fait, elle-même, usage de son droit de priorité, qu'elle pouvait dès lors exercer dans un délai de deux mois suivant la notification de la déclaration d'aliéner de l'Etat, qui lui a été adressée le 6 février 2016 ", les premiers juges ont nécessairement répondu aux moyens tirés de ce que le droit de priorité était déjà purgé et ne pouvait plus être exercé ni par la commune de Deauville ni par la communauté de communes Cœur Côte Fleurie et que la communauté de communes s'était dessaisie de son droit de priorité et ne pouvait plus l'exercer. Par suite, MM. D... et B... ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier en raison de l'omission des premiers juges d'examiner de tels moyens.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'incompétence, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente. Dans le cas où il juge qu'une même décision aurait été prise par l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice d'incompétence qui entachait la décision administrative illégale.
4. En l'espèce, MM. D... et B... contestent que l'autorité compétente aurait pu prendre légalement la décision du 30 mai 2016 par laquelle le maire de Deauville a incompétemment décidé d'acquérir les biens de l'Etat en exerçant le droit de priorité.
5. D'une part, aux termes de l'article L. 211-2 du code de l'urbanisme : " Lorsque la commune fait partie d'un établissement public de coopération intercommunale y ayant vocation, elle peut, en accord avec cet établissement, lui déléguer tout ou partie des compétences qui lui sont attribuées par le présent chapitre [le droit de préemption urbain]. (...) / Toutefois, la compétence d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre (...), emporte leur compétence de plein droit en matière de droit de préemption urbain. (...) ". Aux termes de l'article L. 211-2-3 du même code : " Le titulaire du droit de préemption urbain peut déléguer ce droit à une personne y ayant vocation (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 211-3 de ce code : " Le droit de préemption urbain n'est pas applicable aux aliénations de biens et droits immobiliers ayant fait l'objet de la notification prévue par l'article L. 240-3 du présent code (...) ".
6. D'autre part, aux termes de l'article L. 240-1 du code de l'urbanisme : " Il est créé en faveur des communes et des établissements publics de coopération intercommunale titulaires du droit de préemption urbain un droit de priorité sur tout projet de cession d'un immeuble ou de droits sociaux donnant vocation à l'attribution en propriété ou en jouissance d'un immeuble ou d'une partie d'immeuble situé sur leur territoire et appartenant à l'Etat (...) ". Aux termes de l'article L. 240-3 du code de l'urbanisme : " L'Etat, (...) notifient à la commune ou à l'établissement public de coopération intercommunale compétent leur intention d'aliéner leurs biens et droits immobiliers et en indiquent le prix de vente tel qu'il est estimé par le directeur départemental des finances publiques. La commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent peut, dans un délai de deux mois à compter de cette notification, décider d'acquérir les biens et droits immobiliers au prix déclaré (...) / En cas de refus d'acquérir au prix estimé par le directeur départemental des finances publiques, d'absence de saisine du juge de l'expropriation, de refus d'acquérir au prix fixé par lui ou à défaut de réponse dans le délai de deux mois mentionné dans la cinquième phrase du premier alinéa, la procédure d'aliénation des biens peut se poursuivre. (...) / Si les biens et droits immobiliers n'ont pas été aliénés dans un délai de trois ans à compter de la notification de la déclaration d'intention d'aliéner ou de la décision devenue définitive du juge de l'expropriation, la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale recouvre son droit de priorité. ".
7. En premier lieu, MM. D... et B... soutiennent que la communauté de communes Cœur Côte Fleurie s'était dessaisie de son droit de priorité au profit de la commune de Deauville par une décision du 4 février 2016. Toutefois, à supposer même que cette décision soit légale et ait dessaisi la communauté de communes de sa compétence propre, cela ne l'aurait pas empêchée de reprendre elle-même légalement la décision du 30 mai 2016, le cas échéant en abrogeant sa décision du 4 février 2016.
8. En deuxième lieu, MM. D... et B... soutiennent que ni la communauté de communes Cœur Côte Fleurie, ni la commune de Deauville ne pouvaient exercer le droit de priorité à la suite de la nouvelle déclaration d'aliéner adressée par l'Etat le 4 avril 2016 dès lors que ce droit avait été précédemment, et définitivement, purgé du fait qu'il n'y a pas eu exercice de ce droit dans le délai de deux mois prévu par les dispositions précitées de l'article L. 240-3 du code de l'urbanisme. Cependant, il résulte de l'instruction que c'était la communauté de communes Cœur Côte Fleurie seule qui était compétente pour exercer le droit de priorité sur le bien en cause. Eu égard aux dispositions précitées de l'article L. 240-3 du code de l'urbanisme, les réponses apportées par la commune de Deauville et le silence de la communauté de communes Cœur Côte Fleurie aux diverses déclarations d'intention d'aliéner dont elles ont été les destinataires sont sans influence sur la capacité qu'aurait eu la communauté de communes d'exercer son droit de priorité à la date du 30 mai 2016, si elle avait réalisé qu'elle était seule compétente pour ce faire, dès lors qu'elle n'avait pas déjà exercé un tel droit auparavant.
9. En troisième et dernier lieu, MM. D... et B... soutiennent que la communauté de communes Cœur Côte Fleurie n'a jamais eu l'intention d'exercer le droit de priorité et ne justifiait d'ailleurs pas de la réalité d'un projet d'intérêt général répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme. Mais il résulte de l'instruction que l'acquisition des biens situés au 7/9 rue Auguste Decaëns à Deauville présentait, de par la situation géographique et l'état général de ces biens, les caractéristiques nécessaires pour permettre la poursuite des objectifs communaux en matière de développement et de diversification de l'activité économique et de création de logements pour les habitants permanents, objectifs également poursuivis par la communauté de communes Cœur Côte Fleurie, notamment réaffirmés dans les orientations d'aménagement et de programmation " habitat ", valant programme local de l'habitat, dans le projet d'aménagement et de développement durables du plan local d'urbanisme intercommunal, et que la communauté de communes était parfaitement partie-prenante au projet d'acquérir le bien, comme cela ressort en particulier d'une délibération de son conseil communautaire du 14 mai 2016.
10. Il résulte ainsi de l'instruction que la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente de la communauté de communes Cœur Côte Fleurie. Le préjudice allégué par MM. D... et B... ne peut dès lors être regardé comme la conséquence directe du vice d'incompétence qui entachait la décision du 30 mai 2016 du maire de la commune de Deauville. Par suite, MM. D... et B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Deauville, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par MM. D... et B....
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de MM. D... et B... une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Deauville et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de MM. D... et B... est rejetée.
Article 2 : MM. D... et B... verseront ensemble une somme de 1 500 euros à la commune de Deauville au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à M. C... B... et à la commune de Deauville.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2025.
Le rapporteur,
S. DERLANGE
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au préfet du Calvados, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00147