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09/07/2024 | FRANCE | N°24PA01301

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 09 juillet 2024, 24PA01301


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 2 janvier 2024 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui octroyer un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2400147 du 26 février 2024, le tribunal administratif de Montreuil a reje

té sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregistrée le 19 ma...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 2 janvier 2024 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui octroyer un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2400147 du 26 février 2024, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 mars 2024, M. A..., représenté par Me Malik, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montreuil du 26 février 2024 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 2 janvier 2024, mentionné ci-dessus ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de mettre fin à son signalement dans le fichier d'information Schengen, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans les mêmes conditions ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier, les premiers juges ayant omis de statuer sur les moyens qu'il avait tirés de violations des dispositions des articles L. 233-1, L. 234-1 et L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 611-3 de ce code ;

- il a été pris en violation des dispositions des articles L. 233-1 et L. 234-1 de ce code ;

- il est entaché d'une erreur de fait en ce qui concerne les faits qui lui sont reprochés sur le fondement de l'article L. 251-1 du même code ;

- il méconnaît les stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ainsi que celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,

- et les observations de Me Malik, pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant roumain, né le 13 août 1983 à Bucarest (Roumanie) est entré en France en 2005, selon ses déclarations. Par un arrêté du 2 janvier 2024, le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui octroyer un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de deux ans. M. A... fait appel du jugement du 26 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort de la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Montreuil qu'il avait soulevé un moyen tiré d'une violation des dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Le tribunal administratif n'a pas répondu à ce moyen qui n'était pas inopérant, et ne l'a pas analysé dans les visas de son jugement. M. A... est donc fondé à soutenir que ce jugement est irrégulier, et à en demander l'annulation.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Montreuil.

Sur la légalité de l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis :

4. En premier lieu, l'arrêté attaqué comporte l'exposé de l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Ainsi, il est suffisamment motivé.

5. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Seine-Saint-Denis ne se serait pas livré à un examen complet de la situation de M. A....

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " (...) ".

7. En faisant état de son entrée sur le territoire français en 2005, de son mariage avec une compatriote, célébré au Bourget le 12 décembre 2009, de la naissance de sa fille à Paris le 24 mars 2013 et de son embauche en tant que chef de chantier à Asnières-sur-Seine le 28 septembre 2017, sans produire aucune pièce de nature à établir la continuité de sa présence en France entre le 2 janvier 2014 et le 28 septembre 2017, M. A... n'établit pas avoir résidé régulièrement en France depuis plus de dix ans, à la date de la décision attaquée. Il n'est donc pas fondé à invoquer les dispositions citées ci-dessus.

8. En quatrième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : 1° Ils ne justifient plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 232-1, L. 233-1, L. 233-2 ou L. 233-3 ; 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société (...) ".

9. D'autre part, aux termes de l'article L. 232-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tant qu'ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale mentionné par la directive 2004/38 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relatif au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, les citoyens de l'Union européenne ainsi que les membres de leur famille, tels que définis aux articles L. 200-4 et L. 200-5 et accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne, ont le droit de séjourner en France pour une durée maximale de trois mois, sans autre condition ou formalité que celles prévues pour l'entrée sur le territoire français. (...) ". Aux termes de l'article L. 233-1 du même code : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes : / 1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; / 2° Ils disposent pour eux et pour leurs membres de famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; / 3° Ils sont inscrits dans un établissement fonctionnant conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur pour y suivre à titre principal des études ou, dans ce cadre, une formation professionnelle, et garantissent disposer d'une assurance maladie ainsi que de ressources suffisantes pour eux et pour leurs conjoints ou descendants directs à charge qui les accompagnent ou les rejoignent, afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale ; / 4° Ils sont membres de famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées aux 1° ou 2° ; / 5° Ils sont le conjoint ou le descendant direct à charge accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées au 3°. ". L'article R. 233-1 dudit code précise que : " (...) Lorsqu'il est exigé, le caractère suffisant des ressources est apprécié en tenant compte de la situation personnelle de l'intéressé. En aucun cas, le montant exigé ne peut excéder le montant forfaitaire du revenu de solidarité active mentionné à l'article L. 262-2 du code de l'action sociale et des familles. (...) ".

10. Il ressort des pièces produites par M. A... que, contrairement à ce que le préfet de la Seine-Saint-Denis a estimé dans son arrêté, il exerce une activité professionnelle en France, et ne constitue pas une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale français. Il ressort en outre de ces pièces, particulièrement du jugement rendu le 4 janvier 2024 par le tribunal correctionnel de Bobigny, qu'il a été relaxé des poursuites dont il avait fait l'objet à raison des faits de violence sur une personne dépositaire de l'autorité publique suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours, d'outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique et de rébellion, sur lesquels le préfet s'est également fondé dans son arrêté. En se bornant à produire ce jugement, M. A... n'établit pas avoir été relaxé des poursuites dont il avait fait l'objet à raison des faits de violence sans incapacité par une personne étant ou ayant été conjoint concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, et de violence avec usage ou menace d'une arme sans incapacité que le préfet a aussi relevés pour estimer que son comportement constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. Or, il ressort des pièces du dossier que le préfet aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur ces faits. Les moyens tirés de violations des articles L. 233-1 et L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que d'une erreur de fait au regard de l'article L. 251-1 de ce code, ne peuvent donc qu'être écartés.

11. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, (...) l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

12. Compte tenu de la gravité des faits relevés au point 10, et de la nationalité roumaine de son épouse, et alors qu'il n'établit pas qu'ils seraient dépourvus d'attaches familiales dans leur pays où lui-même a vécu au moins jusqu'à l'âge de vingt-deux ans, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ou qu'il n'aurait pas tenu compte de l'intérêt supérieur de sa fille, en violation des stipulations citées ci-dessus, ou encore qu'il reposerait sur une appréciation manifestement erronée de sa situation.

13. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté attaqué.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2400147 du tribunal administratif de Montreuil du 26 février 2024 est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... et sa demande devant le tribunal administratif de Montreuil sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Bonifacj, présidente de chambre,

M. Niollet, président-assesseur,

Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juillet 2024.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLETLa présidente,

J. BONIFACJ

La greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°24PA01301


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA01301
Date de la décision : 09/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : MALIK

Origine de la décision
Date de l'import : 20/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-09;24pa01301 ?
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