Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société MND France (anciennement dénommée " société LST ") a demandé au tribunal administratif de Melun :
1°) d'ordonner à Ile-de-France Mobilités de suspendre l'exécution du marché ayant pour objet la création d'une ligne de transport par câble entre Créteil et Villeneuve-Saint-Georges ;
2°) d'annuler le marché litigieux ;
3°) d'enjoindre à Ile-de-France Mobilités de reprendre la procédure de passation du marché litigieux ;
4°) de mettre à la charge d'Ile-de-France Mobilités la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2105558 du 25 octobre 2022, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 22 décembre 2022, la société MND France, représentée par Me Lentini et Me Ginestié, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 octobre 2022 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler le marché litigieux ;
3°) d'enjoindre à Île-de-France Mobilités de reprendre la procédure de passation du marché ;
4°) de mettre à la charge d'Île-de-France Mobilités la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, d'une part, pour violation des principes du contradictoire et de l'égalité des armes, d'autre part, pour erreur de droit ;
- Ile-de-France Mobilités a méconnu les règles de publicité et de mise en concurrence en procédant à une mauvaise estimation du prix du marché, et en attribuant le marché à un groupement dont le prix de l'offre est supérieur de 21 millions d'euros à l'estimation du marché ;
- Ile-de-France Mobilités a commis des erreurs d'appréciation dans l'analyse de son offre ;
- Ile-de-France Mobilités a méconnu le principe d'impartialité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 novembre 2023, Ile-de-France mobilités, représenté par Me Charrel conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce que l'arrêt soit prononcé avec un effet différé de 18 mois et demande en tout état de cause à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société MND France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la requête est irrecevable faute de motivation en appel ;
- la requête est irrecevable pour irrecevabilité de la demande de première instance car la société requérante ne justifie pas d'un intérêt à agir dès lors qu'elle devait être exclue du groupement attributaire du marché du fait de la pression qu'elle a exercée indûment pour l'attribution du marché ;
- les moyens soulevés par la société MND France sont infondés, outre que le moyen tiré de l'insuffisance de publicité est inopérant ;
- à titre subsidiaire, l'intérêt général s'oppose à l'annulation du marché, à tout le moins exige une annulation avec un effet différé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er décembre 2023, la société Dopplemayer France, représentée par Me Robichon, conclut au rejet de la requête et demande, en outre, qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société MND France au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, la requête est irrecevable car la société requérante ne justifie pas d'un intérêt à agir dès lors qu'elle devait être exclue du groupement attributaire du marché du fait de la pression qu'elle a exercée indûment pour l'attribution du marché :
- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par la société MND France sont infondés.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 20 décembre 2023, la société MND France maintient ses conclusions par les mêmes moyens et en soutenant, en outre, que sa requête est recevable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2024, Ile-de-France mobilités maintient ses conclusions par les mêmes moyens et en soutenant, en outre, que la demande de première instance était également irrecevable faute de production du contrat attaqué.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 31 octobre 2024, la société MND France maintient ses conclusions par les mêmes moyens.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pagès ;
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,
- les observations de Me Lentini pour la société MND France,
- et les observations de Me Thareau pour Ile-de-France mobilités.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à concurrence du 25 octobre 2019, Ile-de-France Mobilités (" IDFM ") a lancé une procédure de consultation pour l'attribution d'un marché global de performance par procédure de dialogue compétitif ayant pour objet la création d'une ligne de transport par câble entre Créteil et Villeneuve-Saint-Georges, dénommée " Câble A ". Par un courrier en date du 7 avril 2021, IDFM a informé le groupement dont faisait partie la société MND France, anciennement dénommée " société LST ", de l'attribution du marché au groupement dont le mandataire est la société Dopplemayr France, avec une note globale de 82 ,75, l'offre du groupement de la requérante étant classée en deuxième position avec une note globale de 77,50. La société MND France a contesté la procédure par la voie d'une requête en référé précontractuel qui a été rejetée par une ordonnance du 26 avril 2021 du juge des référés. Le contrat a été signé le 30 avril 2021 entre IDFM et le groupement dont le mandataire est la société Dopplemayr France, pour un montant de 119 160 394 euros HT. L'avis d'attribution a été publié le 7 mai 2021. La société MND France a saisi le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à la suspension de l'exécution du marché et des actes y afférents, ainsi qu'à l'annulation du marché. Par un jugement du 25 octobre 2022 le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. La société MND France relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'annulation.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier de première instance que les premiers juges disposaient de suffisamment d'éléments pour se prononcer sans avoir à solliciter des pièces supplémentaires auprès d'Ile-de-France mobilités. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué pour méconnaissance des principes du contradictoire et de l'égalité des armes doit donc être écarté.
3. En second lieu, le grief tiré de l'erreur de droit, qui relève d'ailleurs du contrôle du juge de cassation et non de celui du juge d'appel, est sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Si le représentant de l'État dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
5. Aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique relatif à l'attribution d'un marché global de performance par procédure de dialogue compétitif : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution (...) ". Aux termes de l'article R. 2152-6 du même code : " Les offres régulières, acceptables et appropriées et qui n'ont pas été rejetées en application des articles R. 2152-3 à R. 2152-5 et R. 2153-3, sont classées par ordre décroissant en appliquant les critères d'attributions ". Aux termes de l'article 19.2 du règlement de consultation, les offres des candidats devaient être analysées et notées selon cinq critères dont, outre le critère concernant le prix et représentant 50 % de l'appel d'offres, le " Critère 2 : Solution technique, maintenabilité du système notamment jugés sur l'atteinte des niveaux performanciels qualitatifs et quantitatifs de Fiabilité, Disponibilité maintenance et d'efficacité énergétique ", devant être développé dans les première et troisième parties, et points 4.1 et 4.2 du dossier technique, et noté sur 15 points, et le " Critère 3 : Insertion urbaine et paysagère, Design architectural et confort des voyageurs qui seront notamment jugés sur l'atteinte des niveaux performanciels qualitatifs et quantitatifs en terme d'écoresponsabilité et écoconception ", devant être développé dans la deuxième partie et au point 1.9 du dossier technique, et noté sur 15 points. Enfin l'article 12.5.2 du règlement de consultation précise le plan et les points attendus dans le dossier technique de l'offre finale de chaque candidat.
6. En premier lieu, dès lors que la société requérante s'est portée effectivement candidate pour l'attribution du marché litigieux le manquement allégué aux règles de publicité, à le supposer établi, est sans rapport direct avec son éviction. Ce moyen doit donc être écarté comme inopérant.
7. En deuxième lieu, la société MND France soutient que le pouvoir adjudicateur a méconnu les règles de mise en concurrence en procédant à une mauvaise estimation du prix du marché, et en attribuant le marché à un groupement dont le prix de l'offre est supérieur de 21 millions d'euros à l'estimation du marché. Toutefois, la procédure du dialogue compétitif permet que tous les aspects du marché puissent être discutés avec les sociétés candidats, notamment le prix, en application des dispositions de l'article R. 2161-26 du code de la commande publique. En outre, il n'est pas établi ni même allégué que le prix du groupement attributaire excédait les crédits budgétaires qu'Ile-de-France mobilités pouvait allouer à ce marché. Le prix proposé par le groupement attributaire ne rendait donc pas son offre irrégulière mais impliquait seulement, comme cela a été le cas, qu'il obtienne une moins bonne note sur le critère du prix alors que le groupement dont était membre la société requérante a obtenu la note maximale sur ce critère. Ce moyen doit donc également être écarté.
8. En troisième lieu, la société requérante soutient qu'Ile-de-France mobilités a commis plusieurs erreurs manifestes d'appréciation dans l'analyse de son offre.
9. Premièrement, il résulte de l'analyse du critère 2 que l'offre du groupement de la requérante présente les pylônes de manière sommaire, alors que l'analyse du critère 3 indique que le design des pylônes est clairement détaillé. Toutefois, comme l'a relevé à juste titre le tribunal, cette circonstance ne saurait relever d'une incohérence dans l'analyse de son offre notamment dans l'appréciation du critère 2, dès lors qu'il était attendu des candidats qu'ils procèdent à une description technique des pylônes au titre du critère 2 et à une description du design de ces équipements au titre du critère 3.
10. Deuxièmement, l'article 1.20.1 du cahier des clauses particulières précise que l'acheteur pourra solliciter de l'attributaire, au titre de potentielles modifications du marché fondées sur l'article R. 2194-1 du code de la commande publique, la suppression ou le phasage du tronçon Emile Combes - Bois Matar. Dans ces conditions, c'est sans faire une application manifestement inexacte de son deuxième critère qu'Île-de-France mobilités attendait des offres des candidats, et notamment de celle du groupement de la requérante, une description du phasage potentiel du tronçon Emile Combes - Bois Matar, qui peut, en cas de mise en œuvre de la clause de réexamen, faire partie du projet. Or, le groupement dont était membre la requérante n'a pas procédé à cette description.
11. Troisièmement, s'agissant des pôles bus, la société requérante soutient qu'il a été répondu aux contraintes d'exploitation. Toutefois, elle n'apporte aucun élément permettant de venir au soutien de ses allégations, notamment sur les deux exemples d'insuffisance de son offre sur ce point relevés en défense par Ile-de-France mobilités.
12. Quatrièmement, s'agissant des consommations énergétiques, la société requérante soutient que toutes les valeurs sont présentées dans la pièce 1.11 de l'offre. Toutefois, elle ne justifie pas d'une description technique détaillée des performances du système.
13. Cinquièmement, si la société requérante soutient qu'elle a présenté la démarche " haute qualité environnementale " au titre du point 4.2 de son mémoire, comme le souligne Ile-de-France mobilités dans son premier mémoire en défense la démarche " haute qualité environnementale " n'était pas développée au titre du critère numéro 3 mais seulement au titre du critère numéro 2.
14. Sixièmement, la circonstance selon laquelle les points forts de l'offre du groupement de la requérante n'auraient pas été relevés par IDFM dans l'analyse de son offre serait sans incidence sur le rejet de son offre. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que cette analyse, communiquée au mandataire du groupement de la requérante à l'occasion du rejet de son offre, mentionne les points positifs de l'offre.
15. Il résulte de ce qui précède que la société MND France n'est pas fondée à soutenir que les critères de notation auraient été irrégulièrement mis en œuvre et que l'éviction de son groupement résulterait d'une quelconque erreur manifeste d'appréciation dans l'analyse de son offre.
16. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 3 du code de la commande publique : " Les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d'accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code. (...) ". Le principe d'égalité de traitement des candidats impose l'impartialité de l'acheteur ainsi que des personnes physiques ou morales qui l'assistent lors de la procédure d'achat public.
17. La société MND France expose que le marché en litige a été attribué à un groupement d'entreprises dont fait partie la société Egis Rail, dont le capital appartient à hauteur de 75 % à la Caisse des dépôts et consignations et qu'IDFM a été assistée lors de la procédure de passation par la société Transamo, ayant notamment pour actionnaire la société Transdev, détenue par la Caisse des dépôts et consignations à hauteur de 66 %, et par la société Ingelo, cabinet d'ingénierie de la société Compagnie des Alpes, filiale cotée de la Caisse des dépôts et consignations. Toutefois, d'une part, ces seuls liens capitalistiques, au demeurant, indirects, par le biais de la Caisse des dépôts et consignations, ne sauraient à eux seuls caractériser un manquement au principe d'impartialité objective, de la part des assistants d'Ile-de-France Mobilité ou de la part d'Ile-de-France Mobilités qui ne se serait pas assuré de l'impartialité de ses assistants. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que le comportement des assistants à la procédure de passation en cause soit de nature à faire naître un doute quant à leur impartialité subjective. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, le moyen tiré d'une méconnaissance du principe d'impartialité doit être écarté.
18. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par Ile-de-France mobilités et par la société Dopplemayr France, que la société MND France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
19. Enfin, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société MND France, au titre du même article, d'une part une somme de 1 500 euros au profit d'Ile-de-France mobilités et d'autre part la même somme de 1 500 euros au profit de la société Dopplemayr France.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société MND France est rejetée.
Article 2 : La société MND France versera une somme de 1 500 euros à Ile-de-France mobilités et une somme de 1 500 euros à la société Dopplemayr France, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société MND France, à Ile-de-France mobilités et à la société Dopplemayr France.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Bonifacj, présidente de chambre,
- M. Niollet, président assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 novembre 2024.
Le rapporteur,
D. PAGES
La présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA05438