Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014.
Par un jugement nos 2016006 et 2016010 du 31 janvier 2023, le tribunal administratif de Paris a notamment rejeté sa demande après avoir prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement accordé en cours d'instance à M. A... d'un montant de 13 108 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 3 avril 2023 et le 31 octobre 2024, M. A..., représenté par Me Morisset et Me Neto, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il lui est défavorable ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la proposition de rectification qui lui a été adressée est insuffisamment motivée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;
- l'administration ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de ce que les charges de location d'un bien à Antibes n'auraient pas été supportées dans l'intérêt de l'entreprise ; ce bien ne peut en tout état de cause être assimilé à une résidence de plaisance et d'agrément au sens du 4 de l'article 39 du code général des impôts ;
- l'administration ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de ce que les sommes litigieuses, imposées sur le fondement du e de l'article 111 du code général des impôts, ont été effectivement appréhendées par ses soins ;
- l'administration ne rapporte pas davantage la preuve de ce que les dépenses relatives aux indemnités kilométriques n'auraient pas de caractère professionnel ;
- l'administration ne rapporte pas non plus la preuve de l'appréhension effective de ces sommes par ses soins, alors qu'elle ne démontre pas sa qualité de maître de l'affaire ;
- les sommes en litige, qui ont fait l'objet d'une inscription individualisée dans la comptabilité de la société, ne peuvent pas être regardées comme des rémunérations ou avantages occultes au sens du c de l'article 111 du code général des impôts ;
- les intérêts de retard et les pénalités mises à sa charge sont assis sur des rappels injustifiés.
Par des mémoires en défense enregistrés le 22 juin 2023 et le 8 novembre 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lellig ;
- les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Neto, pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... est l'unique associé et le gérant de la société B... A... Architecture, laquelle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à la suite de laquelle les rehaussements proposés à la société ont donné lieu à la rectification des bases de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales de l'intéressé. M. A... relève appel du jugement du 31 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à hauteur des dégrèvements prononcés en cours d'instance, a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée ". Il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées, de manière à lui permettre de formuler utilement ses observations. En cas de motivation par référence, l'administration doit, en principe, annexer les documents auxquels elle se réfère dans la proposition de rectification ou en reprendre la teneur.
3. En l'espèce, d'une part, contrairement à ce qui est soutenu, la proposition de rectification adressée à M. A... le 25 juillet 2016 ne se borne pas à une motivation par référence à celle adressée à la société dont il était le gérant, mais en reprend la teneur s'agissant des charges qui ont été considérées comme non engagées dans l'intérêt de l'entreprise. D'autre part, la proposition de rectification en litige indique les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées. Elle précise également que le capital de la société vérifiée est détenu à 100 % par M. A... et que les charges relatives aux indemnités kilométriques ont été inscrites au compte courant de ce dernier. Elle conclut en indiquant que la prise en charge, par la société dont M. A... était le gérant et unique associé, de dépenses à caractère personnel constitue une distribution de revenus. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la proposition de rectification manque en fait et doit être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :
S'agissant des charges liées à la location d'un appartement :
4. L'administration, qui est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier une imposition par un nouveau fondement juridique, à la condition qu'une telle substitution de base légale ne prive le contribuable d'aucune garantie de procédure prévue par la loi, sollicite la substitution des dispositions du 4 de l'article 39 du code général des impôts, applicables au litige, à celles du 1 du même article initialement invoquées pour constater que les charges de location d'un bien à Antibes (Alpes-Maritimes) par la société requérante n'étaient pas engagées dans l'intérêt de l'entreprise.
5. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'œuvre, le loyer des immeubles dont l'entreprise est locataire (...). 4. Qu'elles soient supportées directement par l'entreprise ou sous forme d'allocations forfaitaires ou de remboursements de frais, sont exclues des charges déductibles pour l'établissement de l'impôt, d'une part, les dépenses et charges de toute nature ayant trait à l'exercice de la chasse ainsi qu'à l'exercice non professionnel de la pêche et, d'autre part, les charges, à l'exception de celles ayant un caractère social, résultant de l'achat, de la location ou de toute autre opération faite en vue d'obtenir la disposition de résidences de plaisance ou d'agrément, ainsi que de l'entretien de ces résidences ; les dépenses et charges ainsi définies comprennent notamment les amortissements. / (...) Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables aux charges exposées pour les besoins de l'exploitation et résultant de l'achat, de la location ou de l'entretien des demeures historiques classées, inscrites à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques ou agréés ou des résidences servant d'adresse ou de siège de l'entreprise en application des articles L. 123-10 et L. 123-11-1 du code de commerce, ou des résidences faisant partie intégrante d'un établissement de production et servant à l'accueil de la clientèle (...) ". Ces dernières dispositions visent les charges qu'expose une entreprise, fût-ce dans le cadre d'une gestion commerciale normale, du fait qu'elle dispose d'une résidence ayant vocation de plaisance ou d'agrément, à laquelle elle conserve ce caractère et dont elle ne fait pas une exploitation lucrative spécifique. Par résidence de plaisance ou d'agrément au sens de l'article précité, il y a lieu d'entendre les locaux ayant un caractère notamment de prestige qui, sans être directement affectés à une exploitation lucrative spécifique, sont cependant utilisés par celle-ci dans le cadre normal de son activité, notamment à des fins commerciales ou publicitaires ou qui sont destinés à un tel usage.
6. D'une part, les dispositions du 1 de l'article 39 du code général des impôts ne sont pas susceptibles de fonder la réintégration des charges en litige dès lors que l'administration ne conteste plus l'utilisation du bien immobilier à des fins professionnelles.
7. D'autre part, il résulte de l'instruction que la société B... A... Architecture a loué, à compter du 6 septembre 2012, une maison située à Antibes. Les pièces versées au dossier permettent d'attester de la réalité des projets conduits par la société dans cette région et l'administration ne conteste au demeurant plus l'utilisation de ce bien à des fins professionnelles. En outre, le constat d'huissier établi le 8 septembre 2016 témoigne de ce que cette résidence est pour partie vétuste et que l'autre partie, vide de toute occupation hormis un bureau, offre des équipements d'un confort rudimentaire. Il s'ensuit que le bien en question ne peut être qualifié de résidence ayant vocation de plaisance ou d'agrément, au sens des dispositions du 4° de l'article 39 du code général des impôts. Dans ces conditions, M. A..., qui soutient que cette location répondait à un projet d'extension d'une agence à Antibes, est fondé à soutenir que la demande de substitution de base légale formulée par l'administration en cours d'instance doit être rejetée.
8. Par suite, M. A... doit être déchargé, en droits et pénalités, des suppléments d'imposition et de cotisations sociales auxquels il a été assujetti en conséquence de la réintégration au bénéfice imposable de sa société des charges liées à la location d'un bien immobilier à Antibes pour un montant de 15 300 euros en 2013 et 16 800 euros en 2014.
S'agissant des indemnités kilométriques :
9. D'une part, il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a réintégré au résultat imposable de la société B... A... Architecture des montants de 26 598 euros et de 37 252 euros au titre, respectivement, des exercices clos en 2013 et 2014, considérant que l'utilisation du véhicule personnel de M. A... faisait double emploi avec l'acquisition par la société d'un troisième véhicule, de marque BMW série 3. Il n'est pas contesté que ce véhicule, qui n'aurait été utilisé que ponctuellement par les salariés de la société, a pourtant parcouru 35 000 kilomètres en 2013. En tout état de cause, si M. A... soutient que ce véhicule n'était que rarement utilisé et aurait parcouru moins de 10 000 kilomètres en 2014, justifiant ainsi de l'utilisation de son véhicule personnel, il ne verse au dossier, pas plus en appel qu'en première instance, aucune pièce permettant d'établir l'effectivité de l'utilisation de son véhicule personnel dans le cadre des déplacements professionnels allégués ou l'engagement pour ce faire de frais justifiant les remboursements effectués à hauteur de 120 000 kilomètres par an. Dans ces conditions, l'administration a pu, à bon droit, réintégrer ces charges au bénéfice imposable de la société B... A... Architecture.
10. D'autre part, l'administration, qui est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier une imposition par un nouveau fondement juridique, à la condition qu'une telle substitution de base légale ne prive le contribuable d'aucune garantie de procédure prévue par la loi, sollicite la substitution des dispositions de l'article 54 bis et du c de l'article 111 du code général des impôts, applicables au litige, à celles du 1 de l'article 39 et du 1° du 1 de l'article 109 du même code initialement invoquées pour constater que les dépenses de frais kilométriques de la société requérante n'avaient pas été engagées dans l'intérêt de l'entreprise et qu'elles devaient être considérées comme des revenus distribués.
11. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ; / d. La fraction des rémunérations qui n'est pas déductible en vertu du 1° du 1 de l'article 39 (...) ". Aux termes de l'article 62 du même code : " Les traitements, remboursements forfaitaires de frais et toutes autres rémunérations sont soumis à l'impôt sur le revenu au nom de leurs bénéficiaires s'ils sont admis en déduction des bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés par application de l'article 211, même si les résultats de l'exercice social sont déficitaires, lorsqu'ils sont alloués : / Aux gérants majoritaires des sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes (...) ".
12. Les remboursements de frais de déplacements perçus par un gérant majoritaire de société à responsabilité limitée constituent, en principe, même en l'absence de justificatifs, un élément de sa rémunération imposable, en application de l'article 62 du code général des impôts, dans la catégorie des rémunérations allouées aux gérants majoritaires de société à responsabilité limitée, sauf si l'administration établit que les sommes correspondantes n'ont pas fait l'objet d'une comptabilisation explicite en tant que remboursements octroyés au personnel ou que leur montant, ajouté aux autres éléments de la rémunération, a pour effet de porter le total de celle-ci à un niveau excessif. Dans chacun de ces deux derniers cas, ces sommes sont imposées dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement, respectivement, des c et d de l'article 111 du même code.
13. En l'espèce, l'administration n'apporte aucun élément permettant d'établir que les frais kilométriques remis en cause seraient insusceptibles de se rattacher aux fonctions exercées par M. A... dans l'entreprise, l'absence de justification du caractère professionnel de remboursements de frais de déplacements n'étant pas à elle seule de nature à écarter la qualification d'élément de la rémunération imposable de l'intéressé. Par ailleurs, il n'est pas contesté que les remboursements de frais litigieux, bien qu'inscrits au crédit du compte courant d'associé de M. A..., avaient été explicitement comptabilisés comme tels dans la comptabilité de cette société. Dès lors que le ministre ne se prévaut pas de ce que les remboursements en cause portaient la rémunération de M. A... à un niveau excessif, ces sommes ne peuvent être imposées dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, seule base légale invoquée par l'administration. M. A... est dès lors fondé à obtenir la décharge des impositions correspondantes.
En ce qui concerne les pénalités :
14. Conformément à ce qui a été exposé précédemment, M. A... est fondé à demander la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti à hauteur de la réintégration injustifiée des charges liées à la location d'un bien immobilier à Antibes et aux remboursements de frais kilométriques dans les résultats imposables de sa société.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus de sa demande.
Sur les frais d'instance :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : M. A... est déchargé, en droits et pénalités, du surplus des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de cotisations sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014.
Article 2 : Le jugement n° 2016006-2016010 du 31 janvier 2023 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal d'Ile-de-France (division juridique).
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Barthez, président de chambre,
- Mme Milon, présidente assesseure,
- Mme Lellig, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 janvier 2025.
La rapporteure,
W. LELLIGLe président,
A. BARTHEZ
La greffière,
A. MAIGNAN
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA01355 2