Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 juin 2023 par lequel le préfet de police lui a retiré sa carte de séjour pluriannuelle.
Par un jugement n° 2319163/5-3 du 11 décembre 2024, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 14 juin 2023, et a enjoint au préfet de police de restituer à M. A... une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 10 février 2025, et un mémoire complémentaire, enregistré le 18 février 2025, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Paris du 11 décembre 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'arrêté en litige avait porté une atteinte excessive à la vie privée et familiale de M. A... en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les autres moyens soulevés par M. A... en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2025, M. A..., représentée par Me Camus, demande à la Cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) de rejeter la requête du préfet de police ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé, et n'a pas été précédé d'un examen complet de sa situation ;
- il a été pris en méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, et repose sur une erreur manifeste d'appréciation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Niollet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant bangladais, né le 14 juin 1985 à Sunamganj (Bangladesh), entré en France en 2009 selon ses déclarations, s'est vu délivrer à partir du 28 avril 2014 une carte de séjour, puis une carte de séjour pluriannuelle, mention " vie privée et familiale ", qui a été renouvelée jusqu'au 22 décembre 2024. Par un arrêté du 14 juin 2023, le préfet de police lui a retiré cette carte de séjour pluriannuelle. M. A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler cet arrêté. Par un jugement du 11 décembre 2024, le tribunal administratif a fait droit à sa demande. Le préfet de police fait appel de ce jugement.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991, visée ci-dessus : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président (...) ".
3. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de prononcer, en application de ces dispositions, l'admission provisoire de M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur la requête du préfet de police :
4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
5. Aux termes de l'article L. 432-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle peut être retirée à tout employeur, titulaire d'une telle carte, en infraction avec l'article L. 8251-1 du code du travail ainsi qu'à tout étranger qui méconnaît les dispositions de l'article L. 5221-5 du même code ou qui exerce une activité professionnelle non salariée sans en avoir l'autorisation. " Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France (...) ".
6. Pour retirer le titre de séjour de M. A..., le préfet de police s'est, dans l'arrêté en litige, fondé sur les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 432-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et a estimé que M. A... avait méconnu l'interdiction édictée par l'article L. 8251-1 du code du travail, un contrôle réalisé par les services de police et par l'URSSAF sur réquisition du procureur près le tribunal judiciaire de Créteil le 17 janvier 2023 dans l'établissement de restauration rapide dont il est le gérant, ayant révélé la présence de trois salariés non déclarés, dont deux étaient démunis de titre de séjour et de travail. Le préfet de police a en outre relevé que M. A... était convoqué devant le tribunal judiciaire de Paris le 18 mars 2024 en raison de ces faits, et qu'il avait déjà été condamné, le 4 juin 2018 à dix mois d'emprisonnement et à 8 000 euros d'amende pour des faits d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France, en bande organisée.
7. Pour annuler l'arrêté du préfet de police, le tribunal administratif a relevé qu'à la date de cet arrêté, le tribunal judiciaire ne s'était pas encore prononcé sur les faits reprochés à l'intéressé, que M. A... est marié avec une ressortissante bangladaise résidant régulièrement en France depuis 2010, et qu'il est le père d'une fille née le 5 mai 2019 qui est scolarisée. Il a estimé que le retrait de sa carte de séjour pluriannuelle, qui n'a pas été remplacée par une carte de séjour temporaire, a porté une atteinte excessive à sa vie privée et familiale, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. Toutefois, la circonstance qu'à la date de l'arrêté en litige, le tribunal judiciaire ne s'était pas encore prononcé sur les faits reprochés à M. A..., est sans incidence sur l'appréciation de l'atteinte que cet arrêté a portée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
9. Par ailleurs, si M. A... a contesté devant le tribunal administratif la réalité des faits constatés lors du contrôle du 17 janvier 2023, le contrat de travail conclu entre son frère et un autre employeur le 1er décembre 2021 et ses bulletins de paie pour la période allant de janvier à mai 2023, sont insuffisants pour démontrer que le frère de M. A... n'aurait été présent le 17 janvier 2023 dans les locaux de son entreprise que pour lui rendre visite, et non pour travailler, alors que le rapport administratif établi à la suite du contrôle mentionne le contraire, en précisant qu'il a à cette occasion tenté de se faire passer pour l'autre salarié étranger mentionné dans l'arrêté en litige, et qu'il était démuni de titre de séjour et de travail.
10. De plus, si M. A... a fait valoir devant le tribunal administratif que le second salarié étranger mentionné dans l'arrêté en litige n'était pas présent lors du contrôle, et produit une déclaration préalable à l'embauche de ce salarié, déposée en septembre 2021, et ses bulletins de paie pour la période allant de janvier à mai 2023, il ne conteste pas que ce salarié, bien qu'inscrit au registre du personnel, n'était pas muni d'un titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France, alors que le rapport administratif établi à la suite du contrôle précise qu'il a été embauché sur présentation d'une demande d'asile qui ne l'autorisait pas à travailler.
11. En outre, il ressort des pièces du dossier que l'épouse de M. A... est, comme lui, de nationalité bangladaise, qu'à la date de l'arrêté en litige, leur fille n'était scolarisée qu'en moyenne section de maternelle, et qu'en dépit de la durée de la présence de son épouse en France, qui remonte à l'année 2010, et de la présence régulière de la famille de cette dernière en France, aucune circonstance particulière ne fait obstacle à ce que la communauté de vie de M. A..., de son épouse et de leur fille se reconstitue dans leur pays.
12. Enfin, si le préfet de police n'a pas délivré à M. A... une carte de séjour temporaire pour remplacer sa carte de séjour pluriannuelle, il n'a pas assorti le retrait de sa carte de séjour pluriannuelle d'une obligation de quitter le territoire français.
13. Dans ces conditions, et même si M. A... est présent en France depuis 2009, l'arrêté en litige ne peut, compte tenu de la gravité des faits constatés le 17 janvier 2023 et des faits pour lesquels il avait déjà été condamné le 4 juin 2018, être regardé comme portant une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le préfet de police est donc fondé à soutenir que le tribunal administratif ne pouvait annuler cet arrêté pour les motifs rappelés ci-dessus.
14. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif.
Sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris :
15. En premier lieu, l'arrêté en litige comporte l'exposé de l'ensemble des considérations de droit et de fait au vu desquelles il a été pris. Ainsi il est suffisamment motivé.
16. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'arrêté en litige n'aurait pas été précédé d'un examen complet de la situation de M. A....
17. En troisième lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 9 et 10 ci-dessus, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté en litige reposerait sur une erreur de fait concernant la réalité des faits qui lui ont été reprochés.
18. En quatrième lieu, la circonstance qu'à la date de l'arrêté en litige, le tribunal judiciaire ne s'était pas encore prononcé sur les faits reprochés à M. A..., est sans incidence sur la légalité de cet arrêté au regard de l'article L. 432-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
19. En cinquième lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 9 à 11 ci-dessus, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté en litige aurait été pris en méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, et qu'il reposerait sur une erreur manifeste d'appréciation.
20. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté en litige.
Sur les conclusions de M. A..., présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions mentionnées ci-dessus.
DÉCIDE :
Article 1er : M. A... est admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Le jugement n° 2319163/5-3 du tribunal administratif de Paris du 11 décembre 2024 est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. B....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Bonifacj, présidente de chambre,
M. Niollet, président-assesseur,
Mme Jayer, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 avril 2025.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLa présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 25PA00608